Quand les Occidentaux s’en remettent au Qatar pour sortir des crises auxquelles l’émirat a contribué… à leur demande !
Tawfik BOURGOU
Le 7 octobre 2023 a mis à nu un épisode inédit dans les annales des jeux d’arrières-scènes et des arcanes de la diplomatie « grise » : une grande puissance révèle de façon indirecte et gênée ce que beaucoup avaient révélé depuis au moins douze ans[1] : la délégation de la gestion d’un ordre régional à un micro-État sans antériorité historique, sans aucune capacité stratégique, sans aucune tradition diplomatique.
Cette sous-traitance a été exécutée à travers le financement de façon « occulte » de partis religieux et de nébuleuses politico-djihadistes en lien avec les Frères musulmans.
Ce fait est tellement remarquable que malgré l’alternance des administrations, les États-Unis ont continué agir par le biais de cet État supplétif en lui délégant l’organisation du transfert de l’administration de l’Afghanistan aux Talibans, pendant que Washington essayait de se persuader que le gouvernement de Kaboul allait résister. Un remake de la fin de la guerre du Vietnam. D’ailleurs le départ des Américains dans la confusion ressemblait étrangement à la fuite éperdue de Saïgon presque un demi-siècle plus tôt.
La « sous-traitance » de la gestion de deux régions par le micro-État gazier montre le peu d’intérêt, voire le dédain avec lequel les administrations américaines depuis Obama jusqu’à Biden, traitent le Machrek et le Maghreb, auxquels ils ne semblent pas comprendre grand-chose.
Le 7 octobre et l’aveu du rôle du Qatar dans le financement du Hamas et des Frères musulmans ont révélé un mode inédit d’interventionnisme, ainsi que les méfaits du « Leading from behind » de Washington et ont surtout mis en lumière les effets fortement déstabilisants pour les sociétés et les États ciblés de l’ingénierie transformationnelle américaine tant au Moyen-Orient qu’au Maghreb.
En enrôlant le Qatar et les Frères musulmans dans leur stratégie à partir de 2011, les Etats-Unis ne pouvaient ignorer que loin de favoriser la démocratie dans les pays ciblés (Tunisie, Libye, Égypte, Syrie), celle-ci allait promouvoir des acteurs rétrogrades, violents, avec pour certains un lourd passé terroriste, y compris contre les États-Unis. Certains avaient participé au 11 septembre 2011 et collectivement tous l’avaient fêté. Washington ne pouvait pas ignorer non plus que le financement par le Qatar des « révolutions arabes » ne devait conduire qu’à l’enracinement de la violence, du terrorisme et des atteintes aux droits de l’homme.
De fait, le 7 octobre nous révèle que la gestion du jeu de transformation de ces républiques par l’intermédiaire d’une monarchie gazière ressemble plus à une opération de déstabilisation, à une Covert Operation, qu’à une aide à la démocratisation. C’est ainsi qu’on pourra comprendre l’action entreprise en Tunisie, en Libye, en Égypte et en Syrie. En fait, nous sommes dans le cadre d’une combinaison entre des actions de déstabilisation typiques années 1960/70 et des nouvelles formes de guerre hybride (acteurs religieux agissant dans le champ politique). A travers le 7 octobre nous avons une idée plus claire quant à l’identité des architectes. Il s’agit plus d’acteurs venant du monde du renseignement que de Spin Doctors de la « Global Democracy ».
Le 7 octobre révèle l’enracinement de l’action du Qatar, qui bien que responsable de façon directe du naufrage d’au moins deux pays – responsabilité qu’il partage in solidum avec son parrain -, a encore les faveurs des jeux diplomatiques, notamment dans le cadre de la recherche d’un règlement à la crise du Moyen Orient à laquelle il a participé.
La conférence de Paris montre encore plus les errements diplomatiques des grandes puissances s’appuyant sur des acteurs supplétifs aux objectifs incertains.
Le 7 octobre nous révèle enfin à la fois la faillite conceptuelle des ingérences démocratiques dont les impacts négatifs sur au moins quatre pays ne peuvent être cachés. Il nous montre que les États-Unis, dans cette partie du monde, sont en panne de projets et de concepts. C’est la fin d’un cycle et certainement l’échec définitif de la démocratisation dans le monde arabe.
Signe des temps, c’est à travers une société de mercenaires que les États-Unis entreprennent d’agir dans certains des pays du Sahel.
[1] Éric Denécé (dir.) La face cachée des printemps arabes, Ellipses, Paris, 2012,