Évolution prévisionnelle des armements et de la guerre (6)
Jean-François GENESTE

Nous allons dans cet épisode nous intéresser à l’industrie. Elle est bien évidemment un élément majeur de la performance militaire d’un pays, mais nous allons présenter cela sous un jour quelque peu nouveau et original qui étonnera, et peut-être même choquera la plupart des lecteurs.
Les performances des armements
Commençons par ce sujet brûlant qui a été mis en exergue lors du conflit ukrainien. Nous parlons ici des performances intrinsèques des armes ; par exemple, leur portée, leur vitesse, leur furtivité, etc. Dans Logique de défense : 30 idées en 200 pages[1], j’ai démontré que depuis 1945, l’Europe a fait jeu égal avec les États-Unis en consommant en moyenne 3,5 fois moins de budget dans l’aéronautique, 12 fois moins dans le domaine des missiles et environ 25 fois moins dans le secteur spatial. Et encore, en parlant d’Europe, la France se taille-t-elle une place tout à fait à part, grâce au programme du général de Gaulle, ce qui nous met, historiquement, dans une performance assez exceptionnelle.
Cela a été possible grâce à un système éducatif extrêmement compétitif qui n’a eu de rival, au monde, que celui qui était soviétique. On peut faire remonter la décadence au moins à René Haby[2], puis se sont succédé à la tête du ministère que des destructeurs, très probablement stipendiés par des intérêts extérieurs, mais nous n’en aurons peut-être jamais la confirmation contrairement à ceux qui ont érigé l’Union européenne (UE) que furent Jean Monnet et Robert Schuman.
L’opération militaire spéciale (OMS) nous a montré une supériorité russe incontestable dans bien des domaines. Elle a en partie été acquise pendant la Guerre froide, mais aussi depuis. Or, même si nos canons Caesar ont, semble-t-il, été plutôt performants, nos missiles l’ont été beaucoup moins, ce qui témoigne d’un retard substantiel pris depuis l’effondrement du mur de Berlin au minimum. Et, malheureusement, bien d’autres champs sont à l’unisson. À l’actif de cela, on mettra la baisse continue des budgets militaires depuis la fin des années 70 et l’écroulement du niveau scientifique (mais aussi littéraire !) des élèves, toutes classes confondues, y compris à l’université ou dans lesdites « grandes » écoles.
Nous constatons aussi une évolution asymptotique des matériels pour lesquels des incréments de coûts exponentiels sont nécessaires pour des différences de performances bien souvent négligeables. Comparez – et nous ne citerons pas de noms pour ne faire d’ombre à personne – les versions, disons 1 et 3, 4 ou 5 de tel armement. Regardez combien a été dépensé et pour quelles caractéristiques supplémentaires et quelles améliorations par rapport à celles initialement existantes.
La capacité industrielle
La production
L’Opération militaire spéciale nous a montré l’intérêt d’avoir une capacité de production importante et cela d’autant plus que le conflit est long. Sans vouloir entrer dans un débat trop technique, le ratio entre le nombre d’obus tirés par les Russes et ceux par les Ukrainiens a été particulièrement important et il en va ainsi de tous les matériels présents sur le champ de bataille qui n’ont cessé d’être renouvelés au cours des opérations. Cela sous-entend un dimensionnement des chaînes de fabrication qui soit correct dès le temps de paix. Cela nécessite des biens qui soient faciles à assembler et par du personnel peu qualifié, parce qu’il va falloir recruter massivement en période de guerre ! Tout cela a été documenté, dès 2007, dans mon ouvrage cité plus haut. Mais rien, bien sûr, n’a été fait. Les matériels sont très complexes, et donc aussi très fragiles, et demandent une main-d’œuvre experte que l’on met des années à former.
Prenons un exemple dans le domaine spatial où, chez Astrium, vers 2002, alors que l’on avait 3 000 salariés en France, il n’y avait que 27 ouvriers. Or ce sont eux qui devraient fabriquer ! Vous voyez bien que ce type de secteur n’est absolument pas prêt pour la guerre ! Je n’ai pas les bilans sociaux actuels d’Airbus Defense & Space, mais je doute que la situation se soit arrangée.
Le lecteur remarquera que je ne critique pas les dirigeants de l’époque, mais bien le système de commandes qui ne permettait pas de songer à une quelconque production en série. Cette dernière est d’ailleurs venue des États-Unis, via Elon Musk, qui, Dieu le sait, a été plus que décrié et a imposé son modèle, mais que le reste du monde n’arrive pas à suivre, y compris conceptuellement, à part la Chine. Cela a néanmoins donné naissance à ce que l’on appelle le « New Space[3] » qui résulte en un gâchis d’argent considérable avec rien de nouveau et bien des échecs prévisibles à la clé.
La conception
Nous avons abordé plus haut la question des performances et ces dernières vont directement dépendre de la manière dont la conception s’est déroulée. Seulement voilà, avec les restrictions budgétaires, on fait un programme nouveau de missile tous les 10 à 15 ans, idem pour les lanceurs et les satellites ; et on passe à 40 ans pour les avions, etc.
Quand j’écris « nouveau », il faut comprendre hors d’une amélioration à la marge de l’existant. Prenons un exemple non militaire et qui concerne Airbus. Son produit phare s’appelle l’A320. Il a été conçu en 1983 et a donc 40 ans. Il représente aujourd’hui 80 % de son carnet de commandes. Qui sait faire un avion chez Airbus actuellement et a eu l’expérience d’en faire déjà un dans sa carrière ? Même avec le recul de l’âge de la retraite, personne !
Quand j’étais plus jeune, comme c’est la tradition, un collègue de Dassault fêtait sa fin d’activité via un « pot de départ ». Il avait passé sa vie professionnelle sur trois projets dont je vous ferai grâce, mais dont aucun n’avait abouti ! Ainsi qu’on le dit trivialement, « c’est pas du boulot » !
Le modèle économique
Il est très simple ! Vous concevez des armements qu’achète votre pays en petites quantités et vous vous financez sur les ventes à l’exportation. Néanmoins, cela n’a rien à voir avec une attitude de défense visant à protéger la nation. Que faudrait-il faire en réalité ? Il faudrait être prêt le jour J. Pour cela, il faudrait favoriser les développements de prototypes et avoir, par exemple, un nouveau programme chaque année. Quand j’ai commencé à travailler dans le domaine des missiles, les anciens avaient souvenir, dans une société de 3 000 personnes, de la réalisation en parallèle de quatre à cinq produits différents.
Néanmoins, nous avons un grand problème auquel faire face. En effet, jamais un développement en lui-même n’est rentable. La profitabilité ne peut arriver que via les ventes. Pis, il est très rare que la phase de conception suive le calendrier établi et plus on prend des risques, plus la probabilité de dérapage est forte. Nous avons donc bien affaire à une question fondamentale : savoir comment faire vivre une industrie de l’armement qui soit à la fois prête lorsque le conflit se déclenche, qui soit au top niveau et qui soit capable de survivre financièrement en période de paix.
Cela peut se régler de diverses façons qui n’ont jamais été réellement mises en œuvre efficacement. Nous connaissons le cas des arsenaux sous tutelle totale de l’État. Cela a marché un moment, mais très vite, de fort mauvaises habitudes, avec des temps de travail effectif extrêmement faibles, ont pris le dessus malgré une sélection très serrée des compétences. L’industrie purement privée n’a guère donné satisfaction non plus. Son but étant avant tout le profit, son cœur de métier est un peu éloigné de l’objectif originel qu’est la défense. Nous avons alors eu des sociétés mixtes, c’est-à-dire de droit privé, mais plus ou moins contrôlées par l’État, via, par exemple, des Golden Shares. Ce fut un échec patent, les représentants du gouvernement ayant toujours été incompétents quand encore ils y attachaient un intérêt. Le dernier avatar est une « ligne Maginot » qui s’appelle Europe et qui conduira aux pires catastrophes industrielles. Nous avons déjà eu, en raison de la mondialisation, quelques pertes substantielles, comme Alcatel (entre autres), mais l’UE, a mis sur pied une forme hybride d’arsenal[4] favorisant la corruption individuelle[5].
N’hésitons pas à faire un parallèle entre l’affaire du Covid avec l’octroi, au niveau européen, de 71 milliards d’euros de budget – principalement alloués à Pfizer et Moderna pour un résultat nul – et ce qui se passe actuellement avec la montée en puissance de la fable de la menace russe sur l’OTAN qui devrait se traduire par une guerre d’ici très peu d’années. Les mêmes causes créant les mêmes effets, cette fois-ci ce ne sera pas quelques dizaines, mais des centaines voire des milliers de milliards d’euros qui iront dans des poches indues, lesquelles ne manqueront pas d’être protégées par des SMS disparus ou autres moyens plus modernes de communication… et pour une issue lamentable s’il devait y avoir de vraies hostilités. La preuve ? Comme expliqué en introduction, les armements russes étant plus performants, il ne sert à rien d’augmenter les cadences de production d’équipements inutiles, mais il vaudrait mieux penser à concevoir de nouveaux biens. Or, dans une zone où les natifs ne sont plus mathématiciens, ni physiciens ou chimistes – mais plutôt avocats, banquiers, commerciaux et, le cas échéant, fonctionnaires européens -, cela n’est tout simplement pas possible, sans parler du fait que ceux qui commanderaient des programmes novateurs ne seraient même pas capables de comprendre ce dont nous aurions vraiment besoin.
Volontairement ici, nous ne proposerons pas de solution à la question traitée, même si nous avons notre propre idée qui sera développée par ailleurs et en dehors du terrain de l’écriture.
Les ressources
Faire de l’industrie sans ressources est impossible. Il est nécessaire avant tout d’avoir de l’énergie et des matières premières. L’Europe n’a rien, même pas la compétence technique ou si peu… À titre d’exemple, il nous faut actuellement 15 ans pour faire un EPR quand 5 sont suffisants en Chine ! Nous avons abdiqué les activités minières et l’indépendance industrielle et, d’ailleurs, les terres rares viennent quasiment et exclusivement de Chine à l’ère de l’électronique ! Les voitures électriques sont le prochain scandale européen. On pouvait lire récemment que Volskwagen a interdit l’importation de 22 automobiles de sa marque depuis la Chine[6]. Ce qui n’est pas dit dans l’article qui est « orienté », c’est que le différentiel de coût, pour la même voiture, est de plus de 20 000 €[7]. Voilà où nous en sommes en termes de capacités industrielles, car la plupart des équipements du secteur, assemblés en Allemagne, viennent de l’étranger et notamment de l’Empire du Milieu.
En France plus particulièrement, nous refusons d’exploiter nos mines d’uranium alors que nous sommes le pays qui a la plus grande production électrique nucléaire par habitant au monde. Nous importons du gaz de schiste américain ou russe, mais nous refusons même de prospecter notre territoire et on pourrait multiplier les exemples. Et je terminerai en remarquant que nous avons la nation qui a la plus substantielle surface maritime du globe, qui ne cherche pas à utiliser ni à développer l’extraction de quoi que ce soit dans ces zones, mais pis, qui ne protège pas ses eaux des prédateurs étrangers, asiatiques notamment.
Avant de songer à s’engager dans quelque guerre avec qui que ce soit, on serait donc bien mieux inspiré de défendre et surveiller vraiment notre espace maritime, le faire prospérer dans un souci d’autonomie et d’indépendance. Bref ! Exactement le contraire de ce qui se fait depuis maintenant des décennies.
Mais que faire concernant les ressources ? La première chose à considérer, comme expliqué plus haut, est d’avoir de l’énergie à profusion et bon marché. Nos anciens ont mis la filière nucléaire en place qui a été largement gâchée par leurs successeurs ignares et incultes. Rappelons ici que la France possède sur son sol pour 4 500 ans de combustible nucléaire à 10 % de croissance de consommation par an si on utilisait des surgénérateurs. Notre indépendance est donc acquise. Encore faut-il développer cette filière et non la saborder comme cela s’est fait en deux occasions : la destruction de Superphénix par le gouvernement Jospin[8] et l’arrêt du programme Astrid sous Emmanuel Macron[9]. Nous avons ainsi, à ce stade, résolu un problème si tant est que l’on change une stratégie qui s’est révélée catastrophique depuis au moins 1997.
Pour les matériaux, nous avons peu de ressources, avons-nous dit. Mais la bonne industrie, n’est-ce pas remplacer la matière par l’intelligence ? Regardez ce qui se passe dans le cas de l’utilisation des composites en suppléants des métaux par exemple. C’est exactement cela ! Néanmoins, nous avons de grands progrès à faire. Dans le domaine automobile, nous ne pouvons que constater la difficulté rencontrée par les ingénieurs à substituer le platine par d’autres substances, et ce depuis maintenant des années. Un effort conséquent de rehausse du niveau de nos chercheurs pourrait se révéler salutaire. Par ailleurs, regardons ce qu’ont fait les États-Unis. Ils se sont dotés d’une législation leur permettant d’annexer n’importe quel astéroïde pour l’exploiter. Le Luxembourg est le seul pays européen à les avoir suivis. Qu’attend la France pour en faire autant ? Veut-elle traiter ce sujet comme elle le fait avec sa façade maritime ?
La guerre pendant la paix
Il y a un sujet qui n’est jamais abordé et qui pourtant est de la plus haute importance. On se demande même s’il est identifié comme tel dans quelque État de la planète que ce soit. Il s’agit des normes et des décisions de mise sur le marché d’un certain nombre de produits. Prenons le cas de l’électronique. Une fois standardisés les composants, cela détermine à peu près les possibilités de ce que l’on peut construire comme systèmes à partir d’eux, ainsi que les performances.
Si nous nous concentrons sur ce secteur et regardons ce qui s’est passé avec du recul, constatons d’abord qu’il y a eu des subsides initiaux venant du militaire lesquels, de fait, ont adapté les composants aux besoins de l’armée américaine. Puis, le marché civil s’est développé, et c’est lui qui aurait dû conduire l’exigence. Mais ce ne fut pas le cas pour les éléments « essentiels » que sont les microprocesseurs, car ce sont encore les militaires qui ont nécessité toujours plus de puissance de calcul. Ainsi, aujourd’hui, d’où qu’ils proviennent, ces produits sont les mieux appropriés pour les impératifs martiaux américains et cela conduit les Russes comme les Chinois à engager des approches similaires, rendant les conflits plus symétriques, mais à l’avantage du concepteur originel pour qui ces outils ont été élaborés sur mesure et dans un contexte d’utilisation culturelle, alors que les adversaires sont potentiellement hors de leur culture.
Il s’agit donc d’un avantage exorbitant. C’est aussi un enjeu insoupçonné, car si le passé appartient à l’Amérique, le futur est à la Chine et le choc, culturel là encore, risque d’être tout simplement énorme avec un effondrement de la puissance occidentale très brutal.
La guerre se fait par conséquent également en temps de paix, mais ne se nomme pas de cette façon. Le lecteur aura remarqué qu’elle ne se fait même pas en termes de compétition, mais d’hégémonie culturelle. Dans ces conditions, l’Europe n’existe pas, ce dont on peut se rendre compte au premier coup d’œil. Qui plus est, nous n’avons aucun espoir de nous en sortir un jour, car la caractéristique de notre continent est une hétérogénéité des cultures. L’homogénéité ne pourrait s’atteindre qu’avec une langue unique, ce qui ne sera, fort heureusement, jamais le cas.
Dès lors, certains seraient tentés de soulever une question quant à notre efficacité française encensée plus haut dans ce texte. C’est vrai, mais nous ne nous sommes contentés que de développer des concepts américains avec, disons, dix ans de retard. Nous n’avons pas fait de rupture, nous n’avons pas été leaders. Peut-être vaut-il la peine de citer des exemples. Commençons dans le domaine civil, mais à sa marge, lorsque nous avons voulu nous émanciper en construisant le Concorde. Clairement et volontairement, les États-Unis nous l’ont coulé. Je n’épiloguerai pas là-dessus, et vous renvoie à la littérature consacrée à ce sujet qui est bien pusillanime. Passons au lanceur Ariane qui a été leader mondial pendant trente ans, comme copie de ses homologues américains suite à l’erreur stratégique de la navette spatiale, mais qui n’a produit aucune innovation durant cette période, pour se voir doubler en 15 ans par Space X, qui a divisé le coût du kilogramme en orbite par 5 et introduit les étages récupérables, qui, désormais, sont devenus un standard, non encore possédé par l’Europe et pour longtemps (2035 au mieux !).
Alors que faire ? Tout d’abord avoir du courage. De Gaulle a bien su dire et faire appliquer, en 1966, le fameux « US go home » en sortant du commandement intégré de l’OTAN. La multipolarité qui se met en place, si on sait en prendre le train, pourrait se révéler très porteuse pour la France qui pourrait être le premier pays du bloc de l’ouest, s’il en a la volonté, à s’échapper du giron atlantique. Enfin, nous devons avant tout nous penser en leader pour élaborer des concepts nouveaux et qui s’imposeront, par leurs qualités, au reste du monde. Nous l’avons fait dans un passé maintenant lointain, et il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas reproduire cela. Nous avons eu suffisamment de grands érudits et d’hommes d’exception pour être confiants que nous pouvons encore en produire.
L’instruction
Il est aussi une guerre en temps de paix qui n’est jamais identifiée et qui concerne le domaine de l’instruction. En dehors de l’utilisation massive de chair à canon, on peut raisonnablement penser qu’un conflit se gagnera par l’intelligence d’une part et la technologie de l’autre. Or le mot intelligence recouvre au moins deux notions ici. La première est ce que l’on entend naturellement par ce mot, c’est-à-dire la capacité à comprendre et à s’adapter au mieux à une situation. Mais cela est secondé par la connaissance. Plus cette dernière sera importante, plus la faculté à se fondre dans le paysage sera forte. Et c’est là que l’instruction joue un rôle.
Soyons concrets et évoquons l’histoire d’Henri Becquerel : « En 1896, Becquerel découvre la radioactivité de manière inattendue, alors qu’il fait des recherches sur la fluorescence des sels d’uranium 5. Sur une suggestion d’Henri Poincaré, il chercha à déterminer si ce phénomène était de même nature que les rayons X, produits artificiellement par un tube de Crookes. C’est en observant une plaque photographique mise en contact avec le matériau qu’il s’aperçoit qu’elle est impressionnée même lorsque le matériau n’a pas été soumis à la lumière du Soleil : le matériau émet son propre rayonnement sans nécessiter une excitation par de la lumière. Ce rayonnement fut baptisé hyperphosphorescence. Il annonce ses résultats le 2 mars 1896, avec quelques jours d’avance sur les travaux de Silvanus P. Thompson qui travaillait en parallèle sur le même sujet à Londres.Cette découverte lui vaut la médaille Rumford en 1900[10] ».
Si l’impression des plaques photographiques avait été fortuitement observée par un photographe lambda, alors la radioactivité n’aurait pas été découverte ! C’est bien parce que Becquerel était un grand physicien[11], qu’il fut à même de faire sa découverte. Il en va de même de tout ce qui concerne l’intelligence qui s’exprime bien mieux quand elle est secondée par de la connaissance.
Or, en Occident, nous avons abandonné toute velléité de transmission. Les pédagogues n’ont-ils pas imposé de mettre en pratique leur lubie comme quoi l’enfant devait construire lui-même son savoir, insistant pour que le professeur s’abstienne de communiquer le sien ? Nous en voyons le résultat aujourd’hui ! Des occidentaux qui ne deviennent plus scientifiques, accumulent un retard significatif dans le domaine des missiles, et encore n’est-ce que la pointe de l’iceberg, car bien d’autres faiblesses nous caractérisent, hélas ! Déjà, en 2023, la Chine a déposé près de la moitié des demandes de brevets du monde entier, c’est-à-dire qu’à elle en dépose seule autant que le reste du globe. Qui pourrait penser que cela n’aurait pas d’incidence en temps de guerre ?
La recherche
Si le degré d’instruction joue un rôle en matière de recherche, la question est toutefois ici fondamentalement différente. J’ai encensé, plus haut, notre ancien système d’enseignement. Il n’a pas seulement connu un abaissement considérable, mais aussi une diminution extraordinaire de la capacité à réfléchir, à exercer un esprit critique et à sortir du conformisme. Le peu de savoir inculqué aujourd’hui, bien moins conséquent qu’avant, est traduit en discours quasi religieux et la structure ne sélectionne que les orthodoxes. En langage « moderne », on dirait des clones. Qui est capable de remettre en cause les dogmes appris à l’école ? Qui voit, par exemple, concernant la thèse du réchauffement climatique, que l’on parle de consensus, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque démarche scientifique ? Cela n’a pas empêché beaucoup d’étudiants de grandes écoles, récemment, de cracher dans la soupe et de demander encore plus d’endoctrinement[12].
Nous en saisissons le résultat ! Feu mon ami Georges Lochak, directeur de recherche au CNRS et ancien président de la Fondation Louis de Broglie, aimait à répéter que depuis 1956 et la découverte de la violation de la parité par des Japonais au Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN), rien de nouveau et fondamental n’avait été révélé en physique. Mais comment faire lorsque, d’une part, le niveau des connaissances baisse et, d’autre part, le conformisme augmente ?
Alors en temps de guerre, que faire d’un chef d’état-major peu lettré, peu instruit et conventionnel ? Est-ce comme cela que l’on gagnera ? Il en va de même pour la conception des armements, la vivacité à comprendre les problématiques de terrain et à leur trouver des solutions technologiques, etc.
Et le système nous cantonne bien dans cet état. Regardez les prix Nobel de physique qui ont été attribués à des Français ces dernières décennies : tous des expérimentateurs ! Où sont les théoriciens qui pourraient avoir de nouvelles idées ? Ah, oui ! J’avais oublié ! Dans notre partie du monde, les concepts ne peuvent venir que d’outre-Atlantique ! Nous voyons-là un indice de plus de notre colonisation. Nous sommes dans un état de servitude avancée ! Et c’est bien connu, seuls les peuples libres se battent bien !
Je ne résisterai pas, ici, à donner un exemple : j’avais proposé à un service officiel un développement exceptionnel, que la plupart des spécialistes du secteur pensaient impossible, pour lequel un dépôt de requête de brevet avait été fait. La première réaction fut – tenez-vous bien – de me demander pourquoi cela n’avait pas déjà été testé aux États-Unis. On appréciera !
Alors, pour le prochain conflit, serons-nous à même, intellectuellement, de concevoir rapidement la technologie dont auront besoin nos soldats pour éviter la défaite ? Actuellement la réponse est clairement non. Mais comme nous avons décliné, nous pourrions à nouveau progresser à condition toutefois de mettre en œuvre de sévères réformes qui feront grincer bien des dents. Cela ne se fera que si c’est une question de survie et nous n’en sommes pas loin.
*
Nous allons nous arrêter là, mais le lecteur comprendra bien que si l’on abordait tous les sujets de manière exhaustive il faudrait plusieurs tomes. Dans ce court texte, nous conclurons dans la perspective de la série déjà écrite[13], en particulier la partie consacrée à l’ingénierie système. L’industrie est un système complexe ! Il doit se bâtir méthodiquement en commençant par rédiger une spécification de besoins. Cela a-t-il été fait à l’heure où les politiciens nous parlent de réindustrialisation ? Bien sûr que non ! En bref, nous avons besoin de vrais professionnels alors que nous n’avons que des amateurs.
Alors, une guerre ? Avec la Russie qui voudrait nous envahir[14] ? Mais au-delà du fait que la Moscou ne le veut pas, notre situation ferait que, si elle le souhaitait, elle entrerait en Europe sans même avoir à déclencher un conflit. Et c’est tant mieux pour la chair à canon, la seule pour laquelle nos gouvernants ne sont pas économes[15].
[1] https://www.amazon.fr/Logique-défense-idées-200-pages/dp/2756309001
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/René_Haby
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/NewSpace
[4] Par exemple en France, nous connaissons une situation de quasi-monopole des différents acteurs qui n’ont plus de concurrents. C’est notamment le cas de MBDA depuis la fusion entre Matra BAe et Aérospatiale missiles.
[5] En la matière, le passé parle de lui-même pour la France (frégates à Taiwan, sous-marins au Pakistan), mais la presse européenne grouille de cas similaires dans d’autres États, concernant des industriels qui ne demandent qu’à devenir européens. A cet égard, la gestion des contrats Covid par la Commission, ainsi que certaines malversations de personnages très haut placés dans sa hiérarchie, n’incitent pas à l’optimisme.
[6] https://www.frandroid.com/survoltes/voitures-electriques/1896351_importer-des-voitures-electriques-moins-chers-de-chine-le-cas-du-volkswagen-id-6
[7] Le Volkswagen ID.6 est vendu 28 000 € en Chine mais n’est pas pour l’instant n’est commercialisé en Allemagne. Cependant, à titre de comparaison, l’ID.Buzz coûte 56 990 € et un ID.4 44 000 € outre-Rhin. D’où notre évaluation de l’ordre de 20 000 € d’écart.
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Superphénix
[9] https://www.usinenouvelle.com/article/comment-le-gouvernement-justifie-l-arret-du-projet-nucleaire-astrid.N879365
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Becquerel
[11] Son père et son grand-père étaient eux-mêmes des physiciens reconnus.
[12] https://www.youtube.com/watch?v=eU98x7HfpY0
[13] https://cf2r.org/analyses/rta/
[14] https://cf2r.org/editorial/les-faux-postulats-de-la-guerre-dukraine/
[15] Nous l’avons vu, hélas, lors de la Première Guerre mondiale. Nous le voyons à nouveau aujourd’hui via le soutien à l’Ukraine qui est une véritable boucherie pour les soldats de ce pays alors qu’ils n’ont jamais eu la moindre chance de gagner ce conflit, comme l’affirmait dès le départ, le colonel américain Douglas MacGregor.