Une révolution conduite par des cyber-activistes. Est-elle envisageable en France ?
Yves-Marie PEYRY
Nous sommes le 11 février 2012, place de la Bastille à Paris. Plusieurs centaines de manifestants arborent le masque de Guy Fawkes, ce masque devenu le symbole des hackers informatiques Anonymous et l’emblème d’une lutte contre le pouvoir établi jugé irrespectueux des libertés individuelles. Sur les pancartes brandies par les cyber-militants on peut lire « c’est sous couvert d’anonymat que la révolution est née », « l’insurrection qui monte – en 2012 nous viendrons pour vous » ou encore « nous n’oublions pas – nous sommes prêts pour 2012 – redoutez-nous ». Ici, le MP5 sur une étoile à cinq branches de la bande à Baader est remplacé par un clavier informatique. Le poing serré des groupes anarchistes apparaît également pour illustrer la devise d’Anonymous « Nous sommes anonymes. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez-nous ». Un décor aux apparats radicaux qui, à l’image de l’impact de la cyber-dissidence au cœur des révolutions arabes, interroge sur la possibilité de voir émerger, en France, un courant révolutionnaire sous-tendu par des cyber-activistes.
Ces derniers mois, plusieurs actions de piratage informatique ont mis en exergue la volonté d’exprimer un combat politique. Après la disparition du groupe LulzSec en juillet dernier (lulz : se moquer, sec : sécurité), on voit réapparaître un groupe à la connotation plus radicale, AntiSec (contre la sécurité) et même la création d’un nouveau groupe, DestructiveSec (détruire la sécurité). Ainsi, les hackers évoluant au sein de ces groupes, ne se contentent plus de se jouer de la sécurité des réseaux mais engagent, désormais, leurs actions dans une lutte destinée à exprimer leur désaccord, « contre », et leur volonté de détruire ces barrières informatiques, actuelles ou futures, imposées par un pouvoir jugé illégitime. Une radicalisation qui s’exprime également sur les défaçages (modifications de la page d’accueil) opérés lors des attaques informatiques. Ainsi, le 24 décembre dernier, l’attaque du cabinet d’expertise en intelligence économique Stratfor revendiquée par le groupe AntiSec a été assortie, en plus des données confidentielles subtilisées lors de cette action et mises sur le Net, d’un défaçage faisant référence à « l’insurrection qui vient », extrait du « livre vert » qualifié de « bréviaire anarchiste » lors de l’affaire française de Tarnac. Cette citation, reprise par plusieurs sites internet proches de mouvances hackers, marque fortement l’empreinte idéologique qui semble désormais sous-tendre de nombreuses actions de piratage informatique.
Des actions qui n’hésitent plus à s’attaquer aux fondamentaux de la République française. Le 20 janvier dernier, le site internet de l’Elysée était la victime d’un piratage à grande échelle. Sur l’un des défaçages d’url réalisés à cette occasion, on pouvait lire « Sarko, le peuple aura ta peau ». Selon Anonymous, plusieurs centaines d’internautes ont été mobilisés à cette occasion. Une mobilisation effectuée sur les réseaux sociaux et chats IRC par la « cellule action » du groupe Anonymous qui compterait moins de 100 personnes en France selon un de ses membres.
Quelques semaines plus tôt, un message vidéo à l’attention de Nicolas Sarkozy avait été adressé par Anonymous sur Youtube, affirmant un peu plus la menace directe adressée au sommet de l’Etat français : « Nous, citoyennes et citoyens du peuple souverain de France nous n’admettons plus la trahison et l’imposture générale de nos institutions et de nos dirigeants corrompus… ». Dans un autre message, adressé au « peuple de France », le groupe ajoutait : « peuple de France, la crise que vous vivez est artificielle, elle est une illusion créée dans le seul but de nous affaiblir et de nous maintenir dans un stress insupportable et de nous faire accepter leur nouvel ordre mondial… ».
Dès 2011, Anonymous lançait un « appel aux armes, un appel aux combattants de la liberté pour l’année 2012 ». Selon un membre français, l’année 2012 est une année charnière pour les peuples occidentaux, une année où s’ouvre une « révolution virtuelle » pour exprimer le désaccord des peuples face à « ces brutes qui vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient. Ils n’ont pas tenu leurs merveilleuses promesses : jamais ils ne le feront » (citation d’une vidéo d’Anonymous accompagnée d’images de plusieurs dirigeants occidentaux dont le Président français, Nicolas Sarkozy). En écho, Rick Falkvinge, le fondateur du Parti pirate suédois, confiait sur son blog « une grande proportion de la population des pays occidentaux a observé le Printemps arabe et se prépare à devoir probablement faire la même chose de leur vivant. (…) La photo qui illustre cet article, le pistolet et la cible, n’est pas tirée d’un catalogue comme 99% des photos de ce blog. Cette photo a été prise dans mon bureau, à cinquante centimètres de là où je suis assis… ».
Des propos et des actions teintés également d’engagements altermondialistes et écologistes. Le blocage du site institutionnel d’EDF, en avril et juin 2011, qui a conduit aux interpellations récentes de membres français supposés d’Anonymous était le résultat d’une des actions de l’opération Green rights. Une opération décidée par le groupe Anonymous suite à la catastrophe de Fukushima et ayant pour objectif de « s’en prendre aux géants de l’énergie qui causent du tort à la planète » (Anonymous à propos de l’action Green rights). Deux autres fournisseurs d’électricité, la société italienne Enel et General Electric, ont également été victimes d’attaques du groupe par DDOS (déni de service). Un soutien important a également été apporté au mouvement dit des « indignés » ou des « 99% ». D’ailleurs, selon certains spécialistes, le rapprochement d’Anonymous avec le mouvement des indignés a entrainé une profonde mutation du groupe qui est résolument passé d’un activisme technique à un activisme politique.
Selon un membre d’une communauté hacker proche d’Anonymous, « une révolution virtuelle est en marche pour un reboot de la démocratie ». Il ajoute « Au regard de la situation politique et économique actuelle, la démocratie participative n’a plus de légitimité. La démocratie directe doit désormais s’exercer et les réseaux sociaux, internet, la conscience collective qui émane du web en seront les armes d’expression. Le report des projets PIPA/SOPA, qui représentent une réelle menace pour la liberté d’expression sur le web, est une première victoire de la mobilisation mondiale de milliers d’internautes à travers le monde. Et, comme le dit si bien la devise d’Anonymous, nous sommes légion ».
Au regard des éléments précités, une question demeure : les moyens techniques à disposition de la communauté hacker peuvent-ils permettre ce « reboot de la démocratie » ? A cette question, un message d’Anonymous est particulièrement inquiétant et indique « nous avons infiltré vos armées, vos polices et vos informaticiens » (extrait du message vidéo adressé au peuple de France). Si on peut ne voir dans cette déclaration qu’un excès de langage, des éléments troublants renforcent pourtant ces propos. En effet, début février, Anonymous diffusait en ligne l’interception d’une audio-conférence téléphonique non publique entre plusieurs services de renseignement occidentaux, dont des membres du ministère de l’intérieur français. Cette réunion était consacrée aux activités de ces mêmes « hackers ». Le FBI, qui organisait cette conférence, a reconnu que « l’information était uniquement destinée aux responsables des forces de l’ordre et a été obtenue illégalement« . Comment une communication confidentielle qui exposait des éléments d’enquête et les stratégies envisagées par des services de renseignement pour lutter contre l’activité hacker a pu tomber entre les mains de ces mêmes hackers ? De plus, le groupe Anonymous surenchérit en annonçant « le FBI doit être curieux de savoir comment nous sommes capables de lire en permanence leurs communications internes, depuis longtemps maintenant ». Complicités internes ou piratage informatique ? La question demeure mais, dans tous les cas, cette action démontre la puissance des moyens à la disposition de cette communauté hacker. En corollaire, on peut également citer la publication régulière sur un site d’échange de données confidentielles concernant les techniques d’investigation informatique utilisées par le FBI ou même des mails échangés entre des agents fédéraux américains.
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Un vivier contestataire aux ambitions révolutionnaires semble ainsi se dessiner au sein de ces activistes informatiques dont les actions sont quotidiennement relayées par les médias. Appuyés par des moyens techniques, humains et logistiques importants, ces « cyber-révolutionnaires » peuvent-ils trouver en France un terrain privilégié d’action ? A cette question, un analyste politique confie « Il y a en France un terreau révolutionnaire constant depuis 1789 et, dans l’esprit inconscient des français comme un goût amer d’inachevé. La raison est simple : les pouvoirs accordés au Président, comme le droit de grâce ou le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, sont perçus, par certains, comme une survivance monarchique. Conjugués à une crise économique majeure, à des révolutions arabes en cascade et en pleine période électorale, la France présente une grande vulnérabilité face à des courants radicaux qui pourraient utiliser, comme dans les pays arabes entrés en révolution, la toile internet comme source de mobilisation et d’action ».
Yves-Marie Peyry
Membre du comité de rédaction de Renseignor
Webmaster du blog Signal Monitoring
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In Francia è individuabile una rivoluzione condotta da ciberattivisti ?