Le jour où les services de renseignement Américains sont devenus des « dieux »
William DAVID
Edward Snowden, whistleblower de la NSA ?
Les autorités françaises s’offusquent. Les médias s’agitent. Les diplomates s’affairent avec gravité. Les Américains nous espionnent ! Comment une telle évidence, connue depuis des décennies, a-t-elle pu entraîner une couverture médiatique aussi importante en quelques heures ?
A cette question, on peut répondre que l’ampleur des interceptions révélées par l’ancien analyste Edouard Snowden a de quoi surprendre. Pourtant, de nombreuses enquêtes sur le réseau Echelon révélaient déjà la formidable capacité d’espionnage américaine. Un espionnage massif, à la volée, programmé pour s’activer sur des mots clés. Mais ces enquêtes n’avaient reçu qu’un faible écho auprès des médias. En effet, pour le grand public, cet espionnage, certes omnipotent, ne forçait l’intimité que des réseaux terroristes, politiques, économiques ou industriels. Une intrusion finalement très éloignée du quotidien de la plupart de nos concitoyens. Les révélations de Snowden vont totalement changer la donne.
En effet, à l’annonce du volume d’enregistrements téléphoniques réalisés – un peu plus de deux millions par jour et uniquement pour la France – tout le monde peut se sentir concerné. Aucun secret, même les plus intimes, ne semble pouvoir échapper aux services américains. Ils planent sur nos vies comme des dieux inaccessibles et silencieux. Car la révélation de Snowden, loin de fragiliser la puissance américaine, participe au contraire à son renforcement. Le monde entier est désormais plongé dans un état de paranoïa aigu. Les États-Unis sont partout. Un règne absolu et sans concession, à peine tempéré par les balbutiements d’une vague contrition du président américain. En face, le reste de la planète qui n’a plus que l’indignation comme illusoire contre-offensive d’une guerre perdue d’avance.
Une guerre contre la souveraineté d’Etats impuissants à protéger la vie privée de leurs concitoyens face à un pays étranger que l’on dit « ami ». Et, peut-être plus grave encore, l’opinion publique réalise peu à peu que ses dirigeants n’ont pas pu ignorer cet espionnage massif. Pourtant, ils n’ont rien dit. Un constat qui ne pourra que fragiliser un peu plus des gouvernements déjà touchés par une profonde crise de confiance et une situation économique défavorable.
Indiscutablement, les révélations de Snowden proclament une victoire écrasante de « l’allié » américain sur la « vieille Europe », celle d’une omniscience totale et donc d’un contrôle quasi absolu sur l’information. Et celui qui détient l’information, détient le pouvoir. Une évidence confirmée par les révolutions arabes où une cyberdissidence sous influence américaine a permis, via les réseaux sociaux, d’exporter les révolutions et d’assurer leur réussite.
Si les révélations de Snowden confortent autant les États-Unis, pourrait-on envisager l’audacieuse hypothèse d’une fuite sous contrôle américain, voire même d’une opération savamment orchestrée ? Une question, en apparence, sans fondement tangible et digne des élucubrations d’adeptes du complot. Toutefois, on peut noter certains éléments troublants autour de l’affaire Snowden.
Dès le début, Vladimir Poutine a accusé les Etats-Unis d’avoir volontairement « coincé » Snowden sur le sol russe. Selon plusieurs sources, le FSB (l’ex KGB) n’a pas écarté la possibilité d’un « faux transfuge ». Une suspicion qui aurait été renforcée par une découverte surprenante. Edouard Snowden continuait à pouvoir se connecter aux serveurs de la NSA alors qu’il se trouvait à l’aéroport de Moscou, normalement coupé du monde et sous le coup d’un mandat d’arrêt américain.
L’attitude de Snowden à Hong-Kong, son premier lieu d’exil, a également surpris plusieurs journalistes présents. L’un d’eux confie : « Snowden cherchait plus à entrer en contact avec les autorités chinoises qu’avec des journalistes alors qu’il justifiait sa démarche par la défense des libertés individuelles. La Chine n’est pas vraiment le pays auquel on pense en premier pour mener ce type de projet ». Il ajoute : « Il donnait parfois l’impression d’attendre des ordres de l’extérieur ». A Moscou, une militante russe des droits de l’homme s’étonnera du temps mis par Snowden pour formuler une demande d’asile. Elle concluera « tout cela commence à ressembler à quelque chose de peu sérieux ».
La biographie de Snowden est également déroutante. Comment un élève aussi médiocre, qui n’a même pas validé son diplôme de fin de lycée, a pu intégrer l’élite du renseignement américain ? En seulement quelques mois, Snowden serait passé d’un poste de vigile à l’université du Maryland à un poste d’expert en sécurité informatique au sein de la CIA, alors qu’il ne disposait d’aucun diplôme dans cette spécialité.
Pour des spécialistes du renseignement, la biographie de Snowden a tout d’une « légende personnelle », cette construction fictive dont se servent les espions pour accomplir leur infiltration. A ce titre, une photo d’Edward Snowden conforte les doutes. Un cliché où il est pris à côté d’un ordinateur portable orné d’autocollants à l’effigie d’associations promouvant un internet libre comme l’EFF (Electronic Frontier Foundation) ou TOR [1]. Ces organismes ont démenti avoir eu quelque contact avec Snowden, contrairement à ce que ce dernier avait pu laisser entendre auprès de la presse.
Manipulation chinoise ou américaine ? Individu isolé en quête de reconnaissance ? Ces questions restent, pour l’instant, sans réponse. Toutefois, de nombreuses zones d’ombre orientent vers une vérité dissimulée. La question première de tout enquêteur est de savoir « à qui profite le crime » ? Contrairement aux apparences, force est de constater que ces révélations ne fragilisent pas la puissance américaine mais au contraire, elles la proclament en plaçant les États-Unis comme les grands vainqueurs d’une guerre auxquelles participent tous les États, celle du renseignement et du contrôle sur l’information.