« Ethnopsy » et renseignement
Adrielle SIDAWI et Yannick BRESSAN
L’ethnopsychiatrie (ou « ethnopsy ») est une discipline récente qui combine l’ethnologie et la psychiatrie et qui peut s’avérer fondamentale pour la détection de profils terroristes.
En raison de l’évolution des flux migratoires mondiaux, qui sont devenus une préoccupation majeure pour la sécurité de nombreux pays, il s’avère important de recueillir des informations sur ce qui est « étranger » – sans réduire, bien entendu, le mot à une connotation xénophobe – ou plus exactement, sur ce qui semble méconnu ou non-maîtrisé en provenance des pays étrangers, pour des raisons de sécurité, afin de ne pas laisser entrer sur le territoire des personnes cherchant à nuire. C’est pourquoi il indispensable de se pencher sur le profil culturel, cultuel et psychique d’individus arrivant dans notre pays, pour mieux appréhender et cibler ceux des migrants étant des « profils à risque ». Ainsi, « l’ethnopsy » pourrait être essentielle à la sécurité nationale.
L’ethnologie et la psychiatrie offrent deux approches complémentaires pour la détection et l’analyse des profils à risque. L’ethnologie peut se définir comme l’étude comparative de l’ensemble des caractères sociaux et culturels. La psychiatrie, quant à elle, est une spécialité médicale traitant de la maladie mentale. Ainsi, l’ethnopsychiatrie permet de comprendre les pathologies psychiatriques en lien avec la culture, l’appartenance tribale ou ethnique du sujet. Elle peut se révéler très utile en permettant une analyse multidimensionnelle et multifactorielle d’un sujet.
En effet, les dimensions identitaire, transgénérationnelle, culturelle et cultuelle doivent être prises en considération afin d’appréhender au mieux les profils à risque. Il ne faut pas non plus négliger l’origine nationale d’un individu. Par exemple, cela doit être le cas pour les personnes d’origine algérienne ayant un passif historique, identitaire et familial complexe. Elles peuvent, pour certaines d’entre elles, poser problème dans le cadre d’une intégration réussie en France. Certains individus ayant la double nationalité franco-algérienne peuvent en effet souffrir d’une inadaptation sociétale : sentiment de rejet et de persécution dans les deux pays, rancœurs historiques, voire porosité aux théories radicales.
Nous ne devons pas nous contenter d’un seule expertise technique psychique. Le contexte socioculturel dans lequel évolue l’individu est aussi à prendre en compte pour évaluer les potentiels traumatismes psychiques, notamment chez les migrants demandant l’asile politique.
En effet, s’il y a crainte de passage à l’acte d’une personne en fonction de ses origines géographiques ou religieuses, il faut pouvoir mettre en place une analyse ethnopsychiatrique des plus précises afin d’éviter toute erreur. « L’ethnopsy », pourrait ainsi permettre de cibler davantage les profils à risque.
« Connais ton ennemi et tu pourras le combattre ». En nuançant cette maxime, nous pouvons comprendre que sans la connaissance précise d’une culture, il est réducteur, dangereux et stigmatisant de faire des analyses psychologiques hâtives. Prendre une décision concernant un profil ciblé est insuffisant, voire contreproductif, sans une approche ethnopsychiatrique préalable. L’actualité quotidienne nous le prouve à travers les mobilisations répétées de groupes ou de communautés s’estimant, à tort ou à raison, stigmatisés (cf. militants pour Adama Traoré, communauté tchétchène, etc.).
Les populations migrantes sont en général stigmatisées et vivent dans des conditions précaires dans un pays dont elles ne maîtrisent pas les règles politiques ni les codes sociétaux. Cela ne fait que renforcer leur sentiment de rejet – à l’image des migrants présents dans « la jungle de Calais », milieu « parallèle » multiculturel et multiconfessionnel – au risque d’accentuer le clivage social.
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L’ethnopsychiatrie offre de nouvelles possibilités d’analyse. Dans une note récente, « La radicalisation islamiste en milieu carcéral point de vue clinique »[1], nous avons identifié cinq types de profils radicalisés à l’issue d’une analyse aussi bien criminologique qu’ethnopsychiatrique. Les médias les qualifient généralement de « cas psy » ou de « marginaux de la société ».
Certains des islamistes radicaux ayant commis des actes terroristes sur le territoire national sont souvent passés par le milieu carcéral et/ou psychiatrique. Les services de sécurité et de lutte contre la radicalisation pourraient faire appel à l’ethnopsychiatrie pour mieux comprendre et mieux cibler les individus à risque, notamment les migrants qui ne cessent d’arriver en Europe. L’apport de « l’ethnopsy » à la détection précoce des risques peut aussi être utile à la prise en charge – aussi bien médico-psychologique que juridique – des migrants mineurs en errance sur un territoire étranger et présentant une forte perméabilité aux idéologies extrémistes ou criminelles[2].
[1] Note Psyops n°6, janvier 2020 (https://cf2r.org/psyops/la-radicalisation-islamiste-dans-le-monde-penitentiaire-point-de-vue-clinique/)
[2] Marie-Rose Moro et Rita Finco, Mineurs ou jeunes adultes migrants ? Nouveaux dispositifs cliniques entre logiques institutionnelles et culturelles, L’Harmattan, Paris, 2015.