Venezuela : le carrefour de la drogue colombienne
Alain RODIER
Le 6 février 2007, une tonne de cocaïne est interceptée à l’aéroport international Benito Juarez à Mexico. La drogue était dissimulée dans le double-fond de 25 valises embarquées à bord du vol de nuit Mexicana 374 en provenance de l’aéroport de Caracas. L’enquête a démontré que les stupéfiants provenaient de Colombie. Sur la plateforme aéroportuaire de Caracas (Maiquetia), les trafiquants règlent une « taxe » de 1 400 dollars aux forces de sécurité vénézuéliennes afin qu’elle ferment les yeux sur leurs activités1. Déjà, le 11 avril 2006, les militaires mexicains avaient saisi 5,5 tonnes de cocaïne sur l’aéroport de Ciudad del Carmen à 880 kilomètres à l’est de Mexico (Etat de Campeche). La drogue chargée à bord d’un DC-9 privé avait également décollé de Maiquetia. L’équipage mexicain d’un Falcon qui attendait un décollage à proximité du DC-9 est également interpellé. Un transfert d’une partie de la cargaison était vraisemblablement prévu. En août 2005, la marine nationale française, en coopération avec l’US Navy, intercepte à 640 kilomètres à l’est de Trinidad et Tobago le Doña Matilde, un navire enregistré au Venezuela à bord duquel se trouvent trois tonnes de cocaïne. Les dix membres d’équipage, tous vénézuéliens, sont appréhendés. La marine nationale a réussi par la suite d’autres saisies dans la même zone, en particulier à bord d’un cargo panaméen.
Le « hub » de tous les trafics
Traditionnellement, le Venezuela a toujours servi d’escale à la drogue colombienne, en grande partie en raison de la frontière commune de 2 200 kilomètres qu’il est impossible de contrôler efficacement car elle est recouverte majoritairement par la jungle. Les villes frontalières de Maicao et Cucuta seraient les points de passage terrestres les plus fréquentés par les contrebandiers. Les autres transferts se font par voie maritime en suivant les nombreux cours d’eau qui franchissent la frontière ou via des pistes uniquement accessibles aux véhicules 4X4. Les petits aéroports et ports maritimes vénézuéliens ont aussi toujours intéressé les cartels colombiens pour servir de bases de transit plus discrètes à la drogue cultivée en Colombie.
L’aéroport international de Maiquetia est devenu un point de passage pour la drogue de première importance. Juste derrière, de petits aérodromes comme ceux des provinces d’Apure, de Portuguesa et du Sucre et les ports de la Guaira, Puerto La Cruz, Margarita Island et Puerto Cabello, sont également très utilisés par les trafiquants avec la complicité des autorités locales. Depuis 2001, le trafic de cocaïne transitant par le Venezuela a quintuplé. Ce serait entre le quart et la moitié de la production colombienne qui passerait désormais par ce pays ! A l’autre bout de la chaîne – aux Etats-Unis et en Europe -, le prix de la cocaïne a été divisé par deux pour les consommateurs tant la marchandise est abondante. Un pont aérien est organisé à partir du Venezuela en utilisant en particulier des avions d’affaires bimoteurs Beechcraft King Air, avec pour destination intermédiaire le Suriname, le Guyana, l’île des Caraïbes d’Hispaniola partagée entre la République Dominicaine et Haïti. Hispaniola sert d’étape aux narcotrafiquants pour fournir les Etats-Unis et l’Europe en drogues de toutes natures, mais principalement en cocaïne. A noter que souvent les avions ne se posent même pas. Ils larguent les colis en pleine mer où ils sont récupérés par des navires rapides. Ils sont ensuite acheminés vers la terre ferme où ils sont reconditionnés en vue d’être embarqués sur des cargos ayant pour destination les Etats-Unis et l’Europe. Le 18 septembre 2006, les douanes du port de Caucedo (République Dominicaine) ont saisi 2,5 tonnes de cocaïne sur le Sierra-Express, un navire battant pavillon grec qui devait rejoindre la Belgique. Une autre manière de procéder est de confier de petites quantités de drogue à des touristes européens qui sont venus passer des « vacances tous frais payés » sur les plages dominicaines. Ce sont ce que les services de police appellent des « mules ». Si le Venezuela n’est pas un pays producteur de drogue, il tend à abriter de plus en plus de laboratoires de transformation de la cocaïne en héroïne. Pour des raisons pratiques, ces derniers se trouvent surtout implantés à proximité de la frontière colombienne.
Quant à la criminalité locale, elle est utilisée par les Organisations criminelles transnationales (OCT) colombiennes en tant que « sous-traitants ». Elle fournit hommes de main, logistique, intermédiaires chargés de graisser la patte à certains fonctionnaires, etc. Si les activités transnationales restent de la responsabilité des chefs des cartels colombiens, des trafiquants vénézuéliens ont tout de même été appréhendés en Hollande, en Espagne, au Ghana, en République dominicaine et dans divers autres pays..
Le paradis des trafiquants
La décision d’août 2005 du président Hugo Chavez de rompre toutes les relations avec la Drug Enforcement Agency (DEA), sous prétexte d’« espionnage » américain, a grandement permis aux trafiquants d’augmenter le flux de drogue transitant par le Venezuela, estimé à plusieurs centaines de tonnes ! Comme par hasard, depuis 2005, les saisies de stupéfiants au Venezuela ont chuté de 40%. La corruption de certains membres des services de sécurité, en particulier appartenant à la Garde nationale, n’a fait que faciliter les choses pour les OCT colombiennes comme le « cartel del Norte del Valle ». Les principaux leaders de cette organisation sont d’ailleurs réfugiés au Venezuela : Diego Montoya Sanchez alias « Don Diego » (un des dix fugitifs les plus recherchés par le FBI), Wilber Varela-Fajardo alias « Jabon » et Juan Carlos Ramirez alias « Chupeta ». Luis Gomez Bustamente, alias « Rasguño », qui a été arrêté à Cuba en 2004, était en possession d’un passeport vénézuélien ! Inutile de préciser que ce dernier n’a pas été extradé vers les Etats-Unis. Des rumeurs prétendent même qu’il coule des jours heureux sur les plages cubaines. D’autres responsables des mouvements narco-terroristes2 ont également trouvé refuge au Venezuela sachant pertinemment que, même si d’aventure ils étaient arrêtés, jamais ils ne seraient extradés vers les Etats-Unis, étant données les relations exécrables qui existent entre Caracas et Washington. Ainsi, Salomon Camacho Mora alias « El Viejo », le chef du cartel colombien « de la côte » considéré comme un ancien compagnon du célèbre Pablo Escobar3 et proche soutien des AUC, résiderait au Venezuela.
Pour comprendre ce phénomène, il faut se rappeler que le Venezuela n’extradie pas une personne qui risque plus de trente années d’emprisonnement dans le pays demandeur car c’est la peine maximale qui peut être appliquée localement. En outre, Caracas ne livre aucun de ses ressortissants. Cependant, les conditions d’incarcération au Venezuela, comme dans beaucoup de pays sud-américains, sont pour le moins « spéciales ». La loi des gangs prime avec parfois des affrontements sanglants entre détenus. Ainsi, en janvier 2007, des émeutes ont fait seize tués dans la prison d’Uribana près de la ville de Barquisimento située à l’ouest de Caracas. Les prisonniers se sont affrontés à l’arme blanche et avec des armes à feu avant que les forces de sécurité ne puissent rétablir l’ordre. Lors de ces évènements, certains détenus ont même été pendus par des membres du gang adverse.
Hugo Chavez, aveuglé par son anti-américanisme virulent, a indiscutablement beaucoup fait pour faciliter la tâche aux trafiquants de drogue. De là à prétendre qu’il est leur allié semble exagéré. Il a personnellement démis de leurs fonctions Luis Corea, le chef du bureau anti-narcotiques de la police et fait condamner le Brigadier général Frank Morgado qui dirigeait la Garde nationale pour leurs liens avérés avec les narcotrafiquants. De là à dire qu’il combat efficacement le trafic de drogue et la corruption, il y a un grand pas à franchir. Le cas du général Alex Maneiro, ancien chef du renseignement de la Garde nationale qui avait signé et attribué des papiers d’identité à Eudo Gonzales Polanco et à sept de ses associés, tous des trafiquants de drogue notoires tués en 2004 à Bejuma (au centre du Venezuela) est significatif. Il n’a eu comme sanction que d’être muté à l’Académie militaire de la Garde nationale. A noter que le général Frank Morgado qui dirigeait la section anti-narcotiques de la Garde nationale, est désormais personna non grata aux Etats-Unis. Il est en effet soupçonné avoir couvert un trafic de drogue à destination de l’Espagne : en décembre 2005, les autorités espagnoles avaient saisi 2,2 tonnes de cocaïne en provenance de Caracas au terminal marchandises de l’aéroport international de Barajas (Madrid) ; la drogue était dissimulée dans une cargaison de pompes à pétrole.
Bien que le Venezuela soit signataire de la Convention des Nations Unies de 1988 sur la drogue, Hugo Chavez, imbu de son autorité et sa mégalomanie, semble n’avoir que faire de « morale internationale ». La lutte contre la drogue – excepté pour ce qui concerne les trafics destinés à la consommation locale – n’est pas sa priorité d’autant que cette dernière ne fait que pourrir un peu plus les populations des pays libéraux qu’il honnit. Pour bien comprendre son raisonnement, un fait d’importance moindre reste cependant significatif. Quand il parle du terroriste Carlos incarcéré en France, il dit le « bon ami vénézuélien qui est en Europe ». C’est vrai que le « chacal » luttait déjà à son époque contre le capitalisme mondial et ne peut en conséquence qu’attirer l’admiration du président de la République bolivarienne du Venezuela qui se voit en leader des altermondialistes qui veulent faire obstacle au libéralisme économique. Dans ces conditions, il y a peu de chance que les autorités vénézuéliennes ne fassent preuve dans l’avenir d’une nouvelle énergie dans le combat contre le trafic de drogue. Il est donc probable que ce pays continue à constituer une plaque tournante pour la drogue colombienne en particulier et sud-américaine en général.
- 1 Selon certains repentis, la somme peut aller jusqu’à 2 millions de dollars pour une tonne de cocaïne, chiffre vraisemblablement exagéré.
- 2 Forces armées révolutionnaires de Colombie/FARC, Armée de libération nationale/ELN, milices d’autodéfense d’extrême-droite/AUC.
- 3 Pablo Escobar a été le chef du cartel de Medellin qui a défrayé la chronique dans les années 80. Il a été tué en 1993.