Syrie-Iran : guerre secrète entre « allies »
Alain RODIER
Le meurtre du général Mohammed Souleimane, proche conseiller du président Bachar al-Assad, un avertissement de Téhéran ?
Dans la soirée du 1er août 2008, le général Mohammed Souleimane, le conseiller pour les affaires militaires et de sécurité du président Bachar Al-Assad, a été assassiné. Il aurait été tué par un tireur d'élite – armé d'un fusil de précision doté d'un silencieux – dans sa villa de Tartous, au nord-ouest de la Syrie. Le sniper aurait tiré depuis un yacht naviguant à proximité de la villa du général. Ce dernier était très proche du président syrien et avait des responsabilités occultes qui dépassaient celles du ministre de la Défense et du chef d'état-major de l'armée.
Des rumeurs laissent entendre que cet officier aurait été abattu à l'initiative des services secrets iraniens. En effet, les récentes « ouvertures » que le président Assad a consenti en direction de l'Occident – plus particulièrement sa visite à Paris les 13 et 14 juillet derniers – ainsi que ses initiatives en direction d'Israël et du Liban auraient déplu au plus haut point à Téhéran. Cette opération « homo » serait destinée à avertir le président syrien de ce mécontentement profond des mollahs [1].
Le professionnalisme de cette exécution ne peut être l'œuvre que d'une organisation structurée. En cette période de crise sur fond de développement d'une hypothétique arme nucléaire par l'Iran, Téhéran cherche à resserrer les liens avec ses alliés, au premier rang desquels se trouve la Syrie. D'ailleurs, le président Assad a été reçu à Téhéran début août 2008. La simultanéité de ces deux faits laisse songeur.
L'assassinat d'un haut responsable du Hamas résidant en Syrie est-il la réplique syrienne ?
Cette opération « homo » a été suivie, le 11 septembre, par l'assassinat, à Homs, d'Hisham al-Labadani, un proche collaborateur du chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, qui vit en Syrie. Il semble qu'il s'agisse là une réponse du « berger à la bergère », Damas voulant démontrer qu'il ne se laisse pas impressionner. En effet, le Hamas est largement soutenu par l'Iran et cette action aurait eu pour but d'envoyer un message clair à Téhéran.
Qui est derrière l'attentat à la bombe du 26 septembre à Damas ?
La réponse ne s'est pas fait attendre. Le 26 septembre un attentat kamikaze à l'aide d'une voiture chargée de 200 kilos d'explosifs – vraisemblablement conduite par le Saoudien Abou Aisha – a eu lieu à Damas, à proximité d'un bureau des services de sécurité syriens. 17 personnes ont été tuées et 67 autres blessées lors de cette action. Bien que la version officielle – qui tend à dissimuler la lutte qui se joue actuellement entre Damas et Téhéran – mette en cause des extrémistes sunnites de Fatah al-Islam implantés au Nord-Liban, il est probable que Téhéran ait voulu discrètement, par activistes sunnites interposés [2], adresser une deuxième mise en garde au président Assad. A noter que le véhicule employé, un GMC immatriculé 83115, venait du Liban et était entré en Syrie le jour même de l'attentat. Les autorités syriennes mettent également en cause le mouvement Jund al-Sham, qui avait été créé en 1999 par des associés d'Abou Moussab Al-Zarqaoui, le chef d'Al-Qaida en Irak jusqu'en en 2006. Or, à cette époque, Zarqaoui entretenait les meilleures relations avec Téhéran, étant vraisemblablement un agent des services secrets de Téhéran (Vevak) avec lesquels il a rompu par la suite. De là à en déduire que Jund al-Sham est une « création » des services iraniens, il n'y a pas loin.
Si malgré tout, le président Assad n'obtempère pas et poursuit sa politique d'ouverture – laquelle se traduit notamment par un rapprochement avec Moscou qui pourrait remplacer Téhéran dans son rôle de protecteur de la Syrie – il est possible que la prochaine fois, sa personne soit directement visée. Cela impliquera alors une révolution de palais qui pourrait amener au pouvoir une personnalité ne cherchant pas à s'affranchir de l'influence de Téhéran.
La Syrie, lieu privilégié de la guerre secrète au Proche-Orient
D'autres actes de violence ont régulièrement lieu en Syrie. Certains sont à attribuer aux services occidentaux, principalement américains et israéliens [3].
– L'intervention militaire américaine dans le village d'Al-Sukaria, situé à huit kilomètres de la frontière irakienne, le 26 octobre 2008 était basée sur des renseignements fournis par les services américains signalant la présence, dans un des immeubles de cette localité, d'un responsable des nombreuses infiltrations de djihadistes internationalistes en Irak. Il utilisait la Syrie, depuis 2003, comme point d'entrée privilégié vers l'Irak.
– L'assassinat de Fayez Mugniyah, le 12 février 2008, semble être une opération « homo » menée par les services israéliens [4].
La Syrie, en raison de sa position géographique, de ses liens avec Téhéran et de son rôle politique au Proche-Orient est devenue un champ clos où services spéciaux et mouvements terroristes s'affrontent directement. Il convient d'ajouter à cela la lutte interne que se livrent différentes factions politiques syriennes, dont certains leaders rêvent de parvenir un jour au pouvoir.
Ni l'Occident ni Moscou n'ont actuellement intérêt à ce que le président Assad disparaisse, car il est un acteur important pour l'avenir de la région. En conséquence, les risques pour lui proviennent beaucoup plus de Téhéran et de son propre entourage. Quant aux Libanais, aux sunnites et aux Palestiniens, ils sont largement utilisés, généralement à leur insu, par des forces étrangères – surtout par Téhéran – qui ne souhaitent pas apparaître directement et mènent une guerre secrète par activistes interposés.
- [1] Curieusement, aucune protestation officielle n'est venue condamner cet assassinat. Tout se joue actuellement dans l'ombre de la guerre secrète qui est le lot habituel du Proche-Orient.
- [2] Bien que chiite, l'Iran utilise souvent des sunnites pour se livrer à des opérations secrètes, particulièrement en Irak et en Afghanistan. Depuis 2001, l'Iran accueille sur son sol une branche sécessionniste d'Al-Qaida. Par ailleurs, Téhéran soutient directement le Hamas et le Djihad islamique, mouvements palestiniens sunnites.
- [3] Dans les années 1990, les services turcs y avaient été particulièrement offensifs dans le cadre de la lutte dirigée contre le PKK.
- [4] Cf. Note d'Actualité n°117 de février 2008.