Iran : pendaison d’un « espion » travaillant au profit d’Israël
Alain RODIER
Le 17 novembre 2008, Ali Ashtari, un ingénieur en télécommunications iranien de 45 ans, a été pendu à Téhéran pour espionnage au profit d’Israël. Officiellement arrêté en février 2007 (mais il aurait en fait été appréhendé en 2006), il avait été reconnu comme Mohareb (« ennemi de Dieu sur terre ») par un tribunal révolutionnaire iranien et condamné à la peine capitale, le 30 juin 2008.
Ashtari aurait occupé les fonctions de directeur commercial au sein de la société Al Kidan Engineering Intl, une firme spécialisée dans les télécommunications sécurisées basée à Dubaï, mais qui travaille principalement pour l’Iran. Ses activités professionnelles l’amenaient à effectuer des déplacements à l’étranger, en particulier pour visiter les expositions internationales et participer à des colloques spécialisés.
La manipulation du Mossad
Les Israéliens, qui tentent depuis des années de contrer le programme nucléaire iranien, lequel a pour objectif de doter Téhéran de l’arme atomique, auraient repéré Ali Ashtari qui présentait un profil intéressant. En effet, ses activités professionnelles le mettaient en contact avec des membres de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique et des instituts de la défense, des objectifs prioritaires pour le Mossad.
L’étude de la personnalité d’Ali Ashtari aurait ensuite démontré qu’il n’était pas insensible à l’attrait de l’argent facile. Il était par ailleurs handicapé par une insuffisance cardiaque qui ne pouvait être traitée avec l’efficacité nécessaire en Iran. Les leviers de la future manipulation étaient donc bien déterminés.
Selon ses propres aveux, c’est en 2003, à l’occasion de l’un de ses déplacements à l’étranger qu’il aurait été approché par trois hommes se présentant comme des membres de la banque Fortis. Ces trois hommes se disaient intéressés par des investissements éventuels dans sa société. Par contre, selon les autorités iraniennes, ces trois personnes ne semblent connues que par leurs prénoms français : Jacques, Charles et Tony. Cela ne revêt pas une importance primordiale car ils devaient en toute logique utiliser de fausses identités.
Dans un premier temps, afin d’accroître son potentiel en le faisant bien voir des autorités iraniennes, les officiers traitants (OT) israéliens d’Ali Ashtari lui auraient communiqué un carnet d’adresses pouvant intéresser l’Iran, qui cherchait alors à importer clandestinement de la technologie de pointe nécessaire au développement de son programme nucléaire. Ce carnet d’adresses lui donnait également un bon prétexte pour augmenter la fréquence de ses séjours à l’étranger afin qu’il puisse contacter les personnes jugées intéressantes. C’est ainsi qu’il se serait rendu à plusieurs reprises en Suisse, en Turquie et en Thaïlande, les frais étant payés, au moins en partie, par les Israéliens. Ces déplacements ont permis aux OT israéliens de le rencontrer à plusieurs reprises, en toute discrétion. Ils profitaient de ces occasions pour lui offrir des objets de luxe (briquet de marque, téléphones portables, matériel informatique, etc.), auxquels il semblait être particulièrement sensible puisqu’il allait même jusqu’à garder précieusement les emballages !
Il est possible que son recrutement en tant qu’agent du Mossad ait été obtenu contre la rémunération de 50 000 dollars, somme qui devait lui permettre d’aller se faire examiner médicalement en Suisse. Une rémunération est toujours plus présentable psychologiquement quand il s’agit d’aider un « ami » à régler des problèmes de santé plutôt que de le payer pour trahir. Lors d’un de ces séjours « médicaux » dans la capitale helvète, il aurait été soumis au polygraphe [1], ses traitants cherchant à vérifier qu’il était vraiment sincère et qu’il n’était pas une taupe iranienne. Devenu alors un « agent conscient », ses traitants lui auraient remis du matériel informatique et des moyens de communication cryptés ( Digital Suscriber Line ) qui devaient augmenter son potentiel d’agent infiltré [2].
Plus important encore, par le biais de sa société, Ali Ashtari avait été chargé d’acheter du matériel sensible nécessaire au développement de l’effort nucléaire iranien. Ce matériel aurait été finement préparé par les services techniques israéliens afin de créer des dommages irréparables dans le processus industriel engagé par Téhéran. En 2006, la mise hors service de 50 centrifugeuses installées sur le site nucléaire de Natanz serait due à des dysfonctionnements volontaires d’appareillages électroniques qu’il aurait fait acquérir en Turquie. Mais ce fait n’a pas été clairement prouvé par les autorités iraniennes. Pourtant, de l’aveu même du responsable du programme nucléaire iranien, Gholamreza Aghazadeh : « certains de nos projets de recherche ont échoué à cause de la fourniture de ces équipements, et dans certains cas les échecs ont été importants et irréversibles ».
Il semble que le Mossad souhaitait également qu’il fournisse des renseignements qu’il aurait pu obtenir auprès des scientifiques iraniens qu’il côtoyait. Ali Ashtari devait même mettre en contact certains d’entre eux avec des officiers de renseignement israéliens. Toutefois, il semble qu’il n’ait pas eu le temps de remplir cette mission, étant arrêté avant d’avoir pu mener à bien cette tâche.
Pourquoi Ali Ashtari est-il tombé ?
Le contre-espionnage iranien est perpétuellement à l’affût des actions que peuvent mener les services occidentaux en général et israéliens en particulier. Il semble que leur attention ses soit portée sur Ashtari suite aux incidents survenus sur les 50 centrifugeuses de Natanz.
Il aurait commis l’imprudence majeure de conserver des objets que son salaire ne justifiait pas. Il est donc parfaitement normal que les services de contre-espionnages iraniens se soient « étonnés » de ces « cadeaux d’affaires » qui ont permis de le confondre. Ensuite, au royaume des mollahs, les aveux sont faciles à soutirer !
Si ce cas est réel – nous ne sommes en effet pas totalement à l’abri d’une intoxication lancée par les services iraniens – il semble que le Mossad a parfaitement réalisé les premières phases d’une manipulation effectuée dans les règles de l’art. En effet, le service israélien a parfaitement repéré cette « cible » intéressante située en périphérie du dispositif scientifique nucléaire iranien. L’environnement et l’approche de l’intéressé se sont effectués dans des conditions de sécurité optimum, à l’étranger. La source a ensuite été valorisée par des apports extérieurs qui lui ont permis de pénétrer plus avant la structure utile : le dispositif nucléaire iranien. Ali Ashtari a enfin donné l’opportunité de neutraliser par sabotage une partie du dispositif nucléaire iranien, provoquant un retard considérable dans le programme scientifique devant conduire l’Iran à se doter d’un armement nucléaire.
Pourtant, une erreur fondamentale est venue compromettre cette manipulation. Cette bévue a été fatale à la source mais a également ruiné les espoirs que devait placer le Mossad dans cette opération. En effet, le contre-espionnage iranien a pu identifier cet agent israélien, vraisemblablement en raison des « cadeaux reçus ». Il semble donc qu’Ali Ashtari ait manqué de formation, du moins dans le domaine de la sécurité individuelle.
A la décharge du Mossad, cette affaire semble avoir été menée dans l’urgence. En effet, à défaut de pouvoir interrompre le programme nucléaire iranien par la force [3], la seule méthode efficace paraît être la guerre secrète. En effet, personne ne se fait réellement d’illusions sur les négociations et les sanctions qui devraient soi-disant contraindre Téhéran à cesser son programme nucléaire. Le Mossad a donc littéralement pressuré sa source de manière à ce qu’elle soit rentable dans les plus brefs délais, au dépens de sa sécurité. Dans ce type d’activité, trois années, ce n’est que le début d’un processus qui doit s’étaler sur un laps de temps très long avec une montée en puissance progressive.
Si cette affaire est vraiment réelle, elle démontre à quel point la recherche par moyens humains est une tâche délicate qui doit être traitée avec doigté, finesse et surtout, sans contrainte de temps. Ce moyen d’opérer est d’autant plus difficile lors qu’il s’agit de s’attaquer à un Etat totalitaire qui, par définition, est paranoïaque. En effet, il utilise alors tous les moyens à sa disposition pour préserver sa sécurité. Le dernier exemple était celui de l’Irak. Aucun service n’avait réussi à infiltrer une source humaine dans l’entourage de Saddam Hussein. Toutefois, cette sécurité n’a pas empêché sa chute, même si elle a pris plus de temps que voulu.