L’apprenti espion britannique condamné
Alain RODIER
Fin novembre 2008, le caporal britannique Daniel James a été reconnu coupable d'espionnage au profit de l'Iran par la cour de justice de Westminster, à Londres. Pour ces faits, il encoure une peine allant de trois à quatorze années d'emprisonnement. En réalité, il semble qu'il n'ait pas eu le temps de causer de dommages irréparables à la couronne car son amateurisme effarant a permis aux services britanniques de mettre fin à ses agissements très rapidement.
L'individu
Daniel James est né en 1962 à Téhéran. Il est le sixième d'une fratrie de neuf enfants ayant pour père un fonctionnaire iranien. Il porte alors le nom d'Esmail Mohammed Beigi Gamasai. En 1977, il s'installe avec sa famille à Brighton (West Sussex) en Grande-Bretagne. Il devient citoyen britannique en 1986, puis il change de nom en 1987. Après avoir quitté le collège St Mary de Brighton sans aucun diplôme, il s'essaye à de nombreux petits boulots : croupier dans une salle de jeu, videur de l'hôtel Palace Pier de Brighton (très sportif, il pratique la boxe thaïlandaise, le body building et l'haltérophilie) puis professeur de danse Salsa au club New-York qualifié comme la « capitale de la salsa ».
Il intègre l'armée territoriale en 1990 au sein du 30e bataillon du Régiment Royal Prince de Galles. Appelé comme réserviste en 2006, il se rend en Afghanistan en mars pour y effectuer un séjour d'un an. Ses connaissances du farsi, sa langue maternelle, et du dari, une des deux langues officielles d'Afghanistan, proche du farsi, le font affecter comme interprète auprès du général David Richards [1] qui commande alors l' International Security Assistance Force (ISAF). En effet, ce dernier semblait alors fort mécontent des compétences linguistiques du commandant qui occupait ce poste. Même si son grade est extrêmement bas, sa nomination auprès du général Richards en tant qu'interprète fait de lui une cible particulièrement intéressante pour les services de renseignement adverses en général, et iraniens en particulier. En effet, ces derniers s'intéressent directement à l'évolution de la situation en Afghanistan. Le caporal James occupe alors un emploi privilégié au sein d'un objectif sensible de premier choix. Il est en particulier au courant de tout ce qui se dit entre les autorités afghanes et le commandement de l'ISAF.
Les faits
Le 2 novembre 2006, Daniel James prend contact par e-mail avec le colonel iranien Mohammad Hossein Heydari, alors attaché de défense adjoint auprès de l'ambassade d'Iran à Kaboul. A cette occasion, vraisemblablement dans le but d'intéresser son interlocuteur à son cas, il aurait passé l'information selon laquelle l'ISAF avait pour intention d'installer une base dans la région d'al-Amara, à la frontière irako-iranienne. Il aurait même précisé : « prenez garde à ce fait ».
Au sein des représentations diplomatiques iraniennes, le poste d'attaché de défense adjoint est généralement dévolu à un membre des Pasdaran dont la tâche première est le renseignement et les opérations clandestines. Le grade élevé de cet officier démontrer tout l'intérêt que porte Téhéran à l'Afghanistan. En effet, ses homologues affectés dans d'autres pays jugés moins sensibles sont plutôt commandant ou, au mieux lieutenant-colonel. Le colonel Heydari travaille en étroite liaison avec son ambassadeur et a sous ses ordres de nombreux collaborateurs qui participent directement à la « guerre secrète ». Le caporal James a donc frappé à la bonne porte.
Après ce premier contact, James poste régulièrement des courriels destinés au colonel Heydari, prenant cependant la précaution de changer d'adresse e-mail. Il pense que cette mesure de sécurité élémentaire le mettra à l'abri de la surveillance des services de contre-espionnage britanniques. La suite révèlera qu'il a tout faux.
Certains de ses courriels sont codés d'une manière maladroite :
– « j'ai pris sept photos supplémentaires dont certaines concernent un travail noir » : sans doute des photos de drone Predator qui seront retrouvées ultérieurement dans le disque dur de son ordinateur ;
– « vous vous rappelez que je vous ai dit que la sœur de quelqu'un est au parlement, je n'ai toujours pas l'adresse, mais par quelqu'un qui la connaît depuis quatre ans et lui donne des messages, j'ai les détails complets » : message qui semble incompréhensible laissant entendre que James aurait des connaissances dans le monde politique – mais lequel : britannique ou afghan ? – ; cela constitue cependant un élément qui peut allécher son correspondant iranien ;
– « si un jour je vous écris en vous disant que le temps est très froid, je voudrai dire par là que ce n'est pas le moment d'être en contact avec vous » : cette phrase est plus compréhensible : c'est une sorte de signal d'alerte au cas où il se sentirait surveillé.
Il demande également à son correspondant de lui adresser un code qui lui permettrait de communiquer plus discrètement avec lui. Il semble qu'il n'ait pas reçu de réponse. Cependant, si les Britanniques ont dévoilé nombre d'e-mails que James avait envoyé à l'ambassade d'Iran à Kaboul, ils ont très peu fait état des réponses qui lui auraient été adressées. Cela est vraisemblablement couvert par le « secret défense ».
En décembre 2006, alors qu'il est de passage en Angleterre pour y subir des examens de langue, il aurait encore envoyé un message à son correspondant iranien en lui promettant de lui adresser « un très beau cadeau ». Ce dernier aurait répondu : « merci pour votre cadeau ». La nature de ce « cadeau » n'est pas connue.
Un autre e-mail est par contre on ne peut plus clair : « pour tout autre travail à votre profit, je suis à votre service ». Ce message était signé « Esmail l'interprète ». Il s'agit là d'une erreur fondamentale qui permet d'identifier à coup sûr l'expéditeur : son prénom d'origine et son emploi en Afghanistan. Nul besoin de s'appeler Sherlock Holmes pour remonter à la source.
En fait, les services britanniques ont eu très tôt connaissance des envois du caporal James. La méthode utilisée pour obtenir ces informations reste inconnue mais il est vraisemblable que les communications de l'ambassade d'Iran à Kaboul font l'objet d'une surveillance constante orchestrée par les Américains. En effet, les services de sécurité afghans n'en avaient certainement pas les moyens techniques en 2006. Il semble donc logique que les Américains aient transmis ces renseignements à leurs alliés britanniques.
James est arrêté [2] en décembre 2006 sur la base aérienne de la RAF de Brize Norton, dans l'Oxfordshire, où il attend son vol retour pour Kaboul. Il est trouvé en possession d'une clef USB sur laquelle sont stockés deux documents « Confidentiel OTAN ». Il s'agirait de rapports journaliers concernant les opérations militaires en Afghanistan.
Parallèlement, les enquêteurs découvrent sur le disque dur de son ordinateur resté dans sa chambre en Afghanistan sept photos d'un drone Predator destiné à des missions de renseignement. Ces photos auraient été prises clandestinement dans la zone protégée de la base aérienne de Kandahar (cf. le message transcrit dans la première partie de cette note). Il est probable que le caporal James a pris lui-même ces photographies profitant d'une visite du général Richards sur cette base.
Afin d'étayer sa défense, le caporal James a prétendu lors de son procès qu'il comptait initier un contrat de vente de gaz entre l'Iran et les Etats-Unis afin de rapprocher les deux capitales tout en en tirant un substantiel bénéfice pécuniaire.
Il a également affirmé ne rien connaître au renseignement iranien et n'avoir jamais rencontré l'un de ses représentants. Tout cela est probablement vrai. Les services secrets se méfient au plus haut point des individus qui viennent proposer spontanément leur collaboration. Ils ont en effet peur d'avoir affaire à des escrocs au renseignement animés par l'appât de gains faciles ou en recherche de reconnaissance voire, pire encore, à des agents provocateurs envoyés par leurs adversaires. Avant de poursuivre la manipulation, ils procèdent à de multiples vérifications qui prennent beaucoup de temps. Or, le caporal James a proposé ses services le 2 novembre et a été arrêté le 18 décembre. Ce laps de temps est visiblement beaucoup trop court pour que les services iraniens aient pu effectuer toutes les enquêtes nécessaires qui auraient autorisé une prise de contact physique. Il semble donc évident que James n'a rencontré aucun officier traitant iranien (du moins consciemment) durant cette période.
Il a également prétendu que les documents confidentiels trouvés en sa possession lui avaient été remis pour traduction en dari. Ce prétexte n'a bien évidement pas convaincu les juges d'autant qu'il est interdit pour tout fonctionnaire, surtout de bas niveau, de se promener avec des tels documents classifiés en sa possession [3].
Les motivations
Le caporal James est doté d'une personnalité complexe qui peut expliquer en partie son comportement. Il est présenté comme un extraverti qui se fait une idée grandiose de sa personne et de son importance. Le général Richards lui aurait même rappelé à plusieurs occasions que le « général c'était lui » car, en effet, James n'hésitait pas à se faire surnommer « le général » et à adopter une attitude déplacée lors d'entretiens auxquels il participait en tant qu'interprète.
Il a également déclaré lors de son procès qu'il était un prêtre vaudou s'adonnant à la religion Yoruba (ethnie africaine qui est à l'origine du vaudou). Il aurait été initié lors d'un voyage à Cuba. En Afghanistan, il aurait même pratiqué une cérémonie vaudou destinée à protéger le général Richards des taliban en utilisant une photo de ce dernier.
Hyperactif, alors qu'il est en poste à Kaboul, il organise des leçons de salsa, des cours d'espagnol, des matchs de volley, de cricket, de football et des soirées sud-américaines.
De plus, selon ses supérieurs hiérarchiques, James « n'a pas d'emploi civil stable et un futur financier incertain ».
Surtout, il pensait que le refus de sa promotion au grade supérieur de sergent était un acte de jalousie et de racisme. Il aurait même affirmé à certains de ses camarades que les responsables de cette déconvenue en subiraient les conséquences. C'est vraisemblablement à ce moment là qu'il a décidé de changer de camp. En plus de la simple vengeance de ce qu'il considère comme une injustice flagrante à son égard – il avait tout de même remplacé un major et il restait cantonné au grade de caporal -, le fait de participer à la « guerre secrète » lui apportait un sentiment d'exaltation intense car il pensait alors pouvoir enfin jouer un rôle dans l'Histoire à la hauteur de ses qualités.
De toutes ces données, il est aisé de déduire que le caporal James a tenté de trahir en raison de son ego surdimensionné.
Comme dans beaucoup d'autres affaires d'espionnage, celle-ci se révèle assez simple et banale dans sa forme : un quidam vient proposer ses services auprès d'une représentation diplomatique adverse. Par le passé, cela a fonctionné dans de nombreux cas, à l'Est comme à l'Ouest, à une différence près : les personnes qui ont réussi à franchir le pas possédaient un minimum de compétences dans le domaine de la sécurité individuelle (cf. le cas de Robert Hanssen, ce responsable du FBI arrêté en 2001 après avoir collaboré durant plus de dix ans avec le SVR [4]). Croire que son courrier électronique est une manière discrète de communiquer relève de la pure et simple naïveté. Le caporal James risque de le payer très cher.
Principaux cas connus d'espionnage en Grande-Bretagne
Dans le passé, de nombreux cas d'espionnage ont été répertoriés en Grande-Bretagne.
– Le plus important est le plus ancien est celui des « Cinq de Cambridge » en référence à Kim Philby, Guy Burgess, Donald Maclean, Anthony Blunt et John Carincross qui ont été recrutés par les services soviétiques alors qu'ils étaient encore étudiants avant la Seconde Guerre mondiale. A part Kim Philby, qui a été rémunéré au moment où sa famille rencontrait de sérieuses difficultés financières, aucun de ces agents n'a jamais reçu d'argent en récompense de sa trahison. Ils ont tous accepté de travailler pour Moscou par pure idéologie. Les dégâts qu'ils ont causés au camp occidental sont considérables quand on sait qu'après leurs études, ils ont tous occupé des fonctions importantes au sein du Foreign Office ou dans les services secrets de sa gracieuse majesté. Ils ont révélé l'identité d'agents recrutés par les services britanniques et américains en URSS, dévoilé l'état d'avancement du programme nucléaire américain – permettant ainsi aux Russes de développer leur propre arme atomique avec plusieurs années d'avance, en faisant des économies budgétaires substantielles -, décrits des décisions et des dispositifs de l'OTAN, etc. Dans les années 50, il y a peu de secrets détenus par les Britanniques que Moscou ne connaissait pas.
– En 1961, George Blake qui travaillait pour le MI 6 est arrêté. Il était en fait un agent du KGB. Il aurait livré l'identité d'une quarantaine d'agents travaillant pour les services britanniques et désorganisé les réseaux du MI 6 installées au Moyen-Orient !
– La même année, le « réseau de Portland » tombe à son tour. Il était composé de Gordon Lonsdale, Henry Houghton, Ethel Gee, Peter Kroger et de son épouse Helen. Lors de l'enquête, il s'est avéré que les Kroger s'appelaient en fait Morris et Lona Cohen et étaient déjà recherchés aux Etats-Unis pour faits d'espionnage ! Lonsdale était en réalité un officier traitant illégal soviétique dont l'identité réelle était Konon Molody.
– En 1963, l'affaire Profumo éclate démontrant qu'un ministre du cabinet Harold Macmillan avait pour maîtresse une correspondante du KGB ! Le scandale qui suivit fut étourdissant.
– Le savant atomiste Klaus Fuchs qui s'était réfugié en 1933 en Grande-Bretagne pour échapper aux persécutions nazies, et qui a poursuivi une brillante carrière au centre de recherche nucléaire d'Harwell, était un agent du KGB.
– En 1984, Michael Bettany, un fonctionnaire du MI 5 est jugé à son tour pour trahison. Il aurait été « donné » par un officier traitant du KGB retourné qui occupait le poste de chef de poste du KGB à Londres : Oleg Gordievsky.
– En 1997, Richard Tomlinson, un ancien fonctionnaire du MI6 est condamné à un an de prison pour avoir transmis des informations secrètes…
Si ces affaires semblent nombreuses, elles ne constituent vraisemblablement que la partie émergée de l'iceberg. En effet, Londres a toujours constitué un objectif prioritaire pour les services de renseignement adverses – particulièrement soviétiques puis russes – car, en plus d'être la capitale de la Grande-Bretagne, cette mégapole représente un centre économique, politique et d'influence mondial. D'ailleurs, des documents secrets déclassifiés concernant la Guerre froide tendent à prouver que les « Cinq de Cambridge » étaient loin d'être les seuls à avoir été recrutés par les Soviétiques avant guerre.
- [1] Sir David Richards commande aujourd'hui les forces armées britanniques.
- [2] Cette arrestation rapide est un succès. Cependant, pour un professionnel, cela laisse un sentiment de regret : celui de ne pas avoir tenté de lancer une manœuvre d'intoxication des services iraniens. A la décharge des Britanniques, ce cas était peut-être trop difficile à gérer étant donnée la personnalité éminemment complexe du caporal James.
- [3] Plusieurs cas récents ont malheureusement permis de constater que des responsables britanniques oubliaient des documents secrets dans les transports en commun londoniens.
- [4] Service de renseignement extérieur russe, héritier de la première direction du KGB. A noter qu'Hanssen a toujours communiqué avec ses interlocuteurs grâce à des boites aux lettres mortes sans rencontrer aucun officier traitant. Il n'a été démasqué que grâce à la trahison d'un agent recruté par la CIA à Moscou.