Pérou : renaissance du sentier lumineux ?
Alain RODIER
A l'automne 2008, le président social-démocrate péruvien Alan Garcia – élu pour un mandat de cinq ans en 2006 – se trouve dans une position difficile pour trois raisons :
– les accusations de corruption d'officiels [1] qui ont obligé le gouvernement de Jorge del Castillo à démissionner le 9 octobre (le nouveau Premier ministre désigné le 11 octobre est Yehude Simon) ;
– sa popularité est en baisse ; selon les sondages, elle est tombée à moins de 20% car il n'a réussi, malgré ses promesses électorales, ni à accroître le niveau de vie de ses concitoyens – dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté – ni à augmenter la sécurité dans le pays, ravagé par la criminalité qui y est endémique ;
– enfin, la réapparition sur le devant de la scène du mouvement révolutionnaire Sentier Lumineux.
En effet, le 9 octobre 2008, vers 18 heures, des hommes armés ont attaqué un convoi de quatre camions transportant des militaires qui retournaient vers la base de Cochabamba Grande après avoir participé à une cérémonie officielle dans la région d'Huacavelica [2]. 15 personnes dont 13 militaires ont été tués et 17 autres blessées lors de cette action qui a été imputée par les autorités au Sentier Lumineux. Un soldat est également porté manquant. Les senderistes ont fait exploser une charge au passage d'un camion avant de déclencher un feu nourri sur le convoi. Les échanges de tirs ont duré plusieurs heures. Les attaquants ont réussi à emporter avec eux 7 fusils d'assaut Galil qu'ils ont récupéré sur le terrain.
Les dernières opérations d'envergure du même type remontent au 22 décembre 2005 et au 14 novembre 2007. Dans le premier cas, une patrouille de l'armée était tombée dans une embuscade dans la région d'Huanuco et 8 militaires avaient trouvé la mort. Dans le second, 4 policiers avaient été tués lors d'un accrochage eut lieu dans la même région que l'embuscade du 9 octobre.
Le Sentier Lumineux aujourd'hui
Le Parti Communiste Péruvien – Sentier Lumineux (PCP-SL) est un mouvement révolutionnaire d'inspiration maoïste qui a été très actif et très violent entre 1980 et 1992. Il serait responsable de la mort de plus de 31 000 personnes durant la « guerre populaire » qui a ensanglanté le pays pendant plus d'une décennie [3]. Son leader historique, Abimael Guzman Reynoso surnommé par ses fidèles « président Gonzalo » a été arrêté en 1992. Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 13 octobre 2006. Sa compagne, Elena Iparraguirre, qui était jugée en même temps que lui, s'est vue infliger une sentence identique. Depuis sa prison, le « président Gonzalo » a appelé les senderistes à ouvrir des « conversations pour la paix » avec les autorités politiques péruviennes. Cependant, cet ancien professeur de philosophie reste dans l'esprit des militants une véritable icône de la révolution.
Après dix années d'inactivité relative, le Sentier Lumineux a repris ses activités offensives fin 2002, en montant ici et là des embuscades et des coups de main, généralement des snipers s'en prenant à des représentants de l'Etat. Ces actions sporadiques ont occasionné des dizaines de tués. La population a été abordée par les militants d'une manière nouvelle: il n'est plus question de menaces ni de violences gratuites. Au contraire, les activistes font de l'action sociale et fournissent des aides financières et sanitaires aux populations déshéritées. Parfois même, afin d'améliorer leur image de marque ternie par les nombreuses exactions du passé, ils participent à des matchs de football dans des villages reculés. Ensuite, ils organisent des assemblées populaires au cours desquelles ils tentent de faire adhérer la population à leurs thèses et de recruter des jeunes gens, à qui ils proposent un salaire.
Les différents leaders du mouvement proviennent généralement des milieux universitaires péruviens. Les militants de base sont recrutés principalement au sein de la jeunesse miséreuse des campagnes. Cependant, depuis quelques temps, les quartiers populaires de Lima ont été prospectés par des recruteurs du PCP-SL. Et certains responsables du parti qui ont purgé leur peine de prison rejoindraient actuellement la clandestinité pour reprendre la lutte. Les autorités estiment que le mouvement dispose de 800 combattants – il n'en comptait que 450 en 2003 – et de plusieurs milliers de collaborateurs non armés.
Dans les zones qu'ils écument, ils maintiennent sous leur coupe des centaines d'Indiens qui travaillent pour eux dans des conditions de servitude épouvantables. Ces derniers sont contraints de cultiver la coca, base de la cocaïne dont le Pérou est le second producteur mondial après la Colombie. Le PCP-SL propose également sa protection aux trafiquants et aux contrebandiers, les « mochileros », qui transportent la drogue à dos d'homme et de mulet à travers les montagnes, pour rejoindre les pays voisins ou les ports du Pacifique. La drogue est acheminée vers le Mexique, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l'Equateur et le Chili, où elle est achetée par la criminels locaux en vue d'être ensuite introduite aux Etats-Unis et en Europe. Cependant, certains cas d'expéditions directes vers l'Europe ont été signalés récemment. L'argent récupéré permet au PCP-SL de vivre et de s'armer. L'inquiétude est montée d'un cran lorsque les autorités ont arrêté des trafiquants d'armes en 2006. En plus des classiques fusils d'assaut, ils proposaient à la vente des missiles sol-air portables. C'est pour cette raison – mais aussi à cause de la possession de mitrailleuses lourdes par les rebelles – que les autorités n'engagent que parcimonieusement leurs moyens aériens en soutien des opérations terrestres, d'autant que la flotte d'hélicoptères péruvienne est en triste état, la grande majorité des appareils d'origine russe étant cloués au sol faute de pièces de rechanges.
Les activistes du PCP-SL se répartiraient principalement en deux groupes implantés au centre du pays.
Le Comité régional d'Huallaga (CRH)
Au début des années 2000, le Comité Régional d'Huallaga (CRH) s'est développé dans les régions de San Martin et d'Huanuco [4]. Ses chefs sont :
- Filomeno Cerron Cardoso – alias « camarade Artenio » [5] – dont la compagne Daisy Palomino Salazar a été arrêtée en avril ; Artenio est présenté par les autorités péruviennes comme le leader actuel du PCP-SL ;
- le numéro deux du CHR serait Edgar Nicanor Mejia Ascencio « Izula » ;
- le numéro trois: Juan Laguna Dominguez « Piero » ;
- le numéro quatre : Elisa Culantres Cordoban « Evelyn » ; elle a quitté son mari et ses deux enfants pour rejoindre la guérilla ;
- le numéro 5 : Felix Mejia Ascencio « Mono », frère cadet d'Izula.
Le Comité régional du Centre (CRC)
Le Comité Régional du Centre (CRC) aussi appelé faction « Proseguir » (« Poursuivre ») ou « Sentier rouge ». Il se compose de trois « compagnies » baptisées respectivement Norte (80 hommes dans la province de Pangoa), Centro (60 hommes dans la province de Pucuta) et Sur (200 hommes dans la province de Vizcatan). Le CRC est particulièrement actif dans la zone des vallées d'Apurimac et d'Ene (VRAE [6] ). Déjà en 1999, le CRC avait proposé aux services secrets péruviens [7] de rendre les armes mais ces négociations avaient abouti à un traquenard dans lequel les guérilleros avaient entraîné les forces de sécurité. Le CRC est dirigé par :
- Victor Quispe Palomino, alias « camarade José » ; il serait le dirigeant politique du CRC ;
- Jorge Quispe Palomino, alias « camarade Raul », un des frères de Victor ; il serait le numéro deux de cette faction ;
- Leonardo Huaman Zuniga « Alipio » chargé des opérations militaires ;
- Martin Quispe Palomino, alias « camarade Guillermo », le frère cadet de Victor ;
- Andrés Osco Aspur, alias « camarade Roberto », chef de groupe du CRC.
L'embuscade du 9 octobre 2008 aurait été perpétrée par trois commandos dirigés par les « camarades Raul et Alipio ».
Le CRC serait en liaison directe avec les cartels criminels mexicains auxquels il fournirait de la cocaïne. L'intermédiaire serait une femme identifiée comme Florencia Enriquez Ledesma « Florencina ».
Il existe également un groupe qui se dénomme lui-même « Base Mantaro Rojo » (BMR), dont le secrétaire général serait un certain « camarade Netzel ». Ce dernier a revendiqué l'action du 9 octobre 2008. Il est possible que ce groupe, localisé près de la localité d'Huancayo (région de Junin), soit une autre appellation du CRC et que Netzel corresponde à Leonardo Huaman Zuniga « Alipio ».
Enfin, le PCP-SL est également présent sur la frontière colombienne qui est considérée par le mouvement comme une zone logistique d'importance.
Connexions internationales
Le PCP-SL a noué des relations avec les cartels de la drogue et les mouvements révolutionnaires sud-américains, en particulier les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Dans le passé, plusieurs membres des FARC ont d'ailleurs été arrêtés au Pérou. Désormais, les contacts entre le PCP-SL et les FARC auraient lieu à la frontière colombienne – laquelle n'est pas suffisamment contrôlée par les forces de sécurité – ou dans des pays tiers, notamment au Venezuela.
Très discrètement, le président vénézuélien Hugo Chavez apporterait son aide au PCP-SL. Il faut dire qu'il ne porte pas dans son cœur le président Garcia qu'il a qualifié avant son élection de 2006 de « voleur, raté, truand, corrompu ».
Enfin, le Sentier Lumineux a toujours entretenu des relations d'amitié avec des activistes d'extrême gauche européens, dont des membres de l'ETA et du PKK. Dans le cadre de sa participation au Mouvement révolutionnaire international (MRI), il a également servi de référence aux maoïstes du Népal qui sont parvenus à faire renverser le régime monarchique au printemps 2008.
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Si l'importance actuelle du PCP-SL n'est pas à surestimer, il convient aussi de constater que le mécontentement croissant d'une partie de la population représente à terme un risque pour la stabilité du Pérou. En effet, après des années de sommeil, le Sentier Lumineux semble développer ses réseaux logistiques, de renseignement et de soutien populaire. L'embuscade du 9 octobre en est le signe le plus apparent. Les liens que ce mouvement entretient avec les cartels de la drogue sud-américains, avec les cocaleros [8] et avec les autres mouvements révolutionnaires du continent laissent à penser que le PCP-SL devrait encore se renforcer dans un avenir proche. D'autant que ce réveil du Sentier lumineux intervient dans un contexte de montée du Bolivarisme prôné par le président Hugo Chavez, dont l'influence gagne peu à peu de terrain en Equateur et en Bolivie, deux pays voisins du Pérou.
Guérilla essentiellement rurale, le nouveau Sentier Lumineux fait peser une menace sur les différents camps militaires et postes de police implantés dans les zones où il est actif. Par contre, par souci de gagner le soutien du peuple, ses chefs semblent avoir renoncé de s'en prendre aveuglément à des objectifs civils comme ils le faisaient durant la « guerre populaire ».
- [1] La société pétrolière norvégienne Discover aurait versé des pots de vin à des officiels pour obtenir des droits d'exploitation de cinq blocs sur le plateau continental, dans la région de Madre de Dios, au sud-ouest du Pérou. Le 10 octobre, cette firme a officialisé l'abandon de ses activités dans le pays.
- [2] Le lieu exact de l'embuscade s'appelle Tintay Punco, situé dans la province de Tayacaja, à 445 km au sud-est de Lima.
- [3] Le bilan total serait de 70 000 morts.
- [4] Zone rouge située au nord sur la carte.
- [5] Très soucieux de sa sécurité, Artemio a plusieurs fausses identités dont celles de Jose Florez Leon et de Gabriel Macario. Les autorités ne possèdent de lui que de très vieilles photos floues.
- [6] Valle de los Rios Apurimac y Ene .
- [7] Servicio de Inteligencia Nacional (SIN).
- [8] Paysans qui cultivent la coca.