Syrie : dissensions au sein de la rébellion
Alain RODIER

Forces du PYD, mouvement kurde syrien proche du PKK
Début 2013, des signes de dissensions de plus en plus marqués sont en train d'apparaître entre différents groupes rebelles syriens. Ainsi, des responsables de l'Armée syrienne libre (ASL) reprochent de plus en plus vertement à certains chefs islamiques, dont ceux du Front al-Nusrah, de s'approprier la révolution à leur profit. En effet, les buts poursuivis par les uns et les autres ne sont pas les mêmes. Les chefs « nationalistes » de l'ASL ont pris conscience que les islamistes intègrent leur combat dans un djihad mondial qui implique, à terme, l'établissement d'un califat s'affranchissant des frontières et où la charia pure et dure serait appliquée.
La tension est surtout palpable dans la région d'Alep où la bataille fait rage. L'ASL a d'ailleurs mené des opérations offensives sans « inviter » le Front al-Nusrah à y participer comme lors d'un raid dirigé contre l'école d'infanterie située au nord d'Alep, à la mi-décembre, ou contre l'aéroport international de la ville.
Pire, l'ASL accuse les fondamentalistes d'al-Nusrah de piller des biens de l'Etat syrien pour les revendre en Turquie au lieu d'en faire « profiter le peuple ». Cela dit, les militants d'al-Nusrah ont toujours pris garde de ne pas nuire aux populations civiles et même, parfois, les ont aidé afin d'attirer sa sympathie.
Par contre, il n'en n'est pas de même au nord-est du pays, en région kurde. Les troupes légalistes ont quitté la zone à la mi-2012. Depuis, un calme relatif existait dans cette région partagée entre deux mouvements kurdes : le Conseil national kurde (KNC[1]), qui regroupe 15 formations politiques, et le Parti de l'union démocratique (PYD[2]), tous deux rassemblés sous l'autorité théorique d'un Conseil suprême kurde (SKC). L'objectif affiché est de créer un Etat syrien séparé en quatre ou cinq régions autonomes basées sur l'appartenance ethnique ou religieuse.
Des combats ont débuté en janvier, opposant des forces kurdes – vraisemblablement du PYD – aux brigades djihadistes al-Nusrah et Ghuraba al-Sham[3] dans la région de Ra's al'Ayn, frontalière avec la Turquie. La ville elle-même était tombée aux mains des insurgés en octobre 2012 et avait été sévèrement pilonnée par les forces loyalistes. La plupart des habitants avait alors été contrainte de fuir en raison des conditions de vie qui s'étaient considérablement dégradées.
Les activistes du PYD, d'obédience marxiste-léniniste, ne peuvent que s'opposer à l'islam radical prôné par les djihadistes sunnites. D'autre part, il convient de ne pas oublier qu'un important chef du PKK est un Kurde syrien : Fahman Hussein, alias Bahoz Erdal.
Le rôle d'Ankara, qui craint par-dessus tout l'établissement d'un Etat kurde au nord-est de la Syrie (parce qu'il pourrait faire ensuite la jonction avec le Kurdistan irakien) va être à examiner de près ! En effet, la Turquie va-t-elle garder une neutralité de bon aloi ou soutenir discrètement les djihadistes ? Par contre, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a clairement laissé entendre que les forces armées turques se réservaient un « droit de poursuite » en territoire syrien comme elles le font déjà en Irak du nord.
L'attitude de Bagdad – globalement pro-Assad – et des Kurdes irakiens sera aussi déterminante.
Enfin, l'appel à des négociations avec des représentants du gouvernement syrien lancé à la fin janvier par Ahmad Moaz al-Khatib, le président de la Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution syrienne, est considéré comme un aveu de faiblesse, les insurgés ne parvenant pas à voir le bout du tunnel. En effet, il est peu probable qu'ils remportent la victoire militaire à moyen ou même à long terme. Ils sont donc obligés de tenter de lancer des négociations pour essayer de déstabiliser le régime de Damas sur le plan politique. Mais cette stratégie est loin de faire l'unanimité parmi les mouvements d'opposition, dont certains estiment qu'il ne faut pas négocier avec des criminels de guerre. Bien sûr, tous les extrémistes islamiques sont farouchement opposés à ces négociations dont le but serait, dans un premier temps, d'atténuer les souffrances du peuple syrien. En effet, le devenir du peuple syrien n'a pas d'importance aux yeux de ceux qui ne rêvent que d'une extension du djihad et de la charia.
- [1] Le KNC a été créé en 2011. Il est proche du président kurde irakien Massoud Barzani. Il est opposé au pouvoir syrien mais ne souhaite pas rejoindre le Conseil national syrien, le mouvement politique qui regroupe la majorité des mouvements d'opposition.
- [2] Proche du PKK, le PYD est passé du soutien au régime d'Assad à une certaine neutralité.
- [3] « Les étrangers du Levant », mouvement ancien qui était proche des services syriens quand il était actif en Irak. Depuis le début de l'insurrection en Syrie, il s'est retourné contre Damas. Il est constitué en grande partie de combattants d'origine tchétchène ou turque.