Les talibans pakistanais à l’affut de l’effondrement afghan
Alain RODIER

Waliur Rehman (à gauche) et Hakeemullah Mehsud (à droite). Les Américains
promettent une prime de 5 millions de dollars pour la capture de ces deux hommes.
Les taliban pakistanais se préparent d'ores et déjà, aux côtés de leurs frères afghans, à participer à l'assaut prévu contre le régime de Kaboul après que les dernières forces combattantes de l'OTAN auront quitté l'Afghanistan fin 2014[1].
Une vidéo diffusée en décembre montre Hakeemullah Mehsud[2], le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP[3]), en compagnie de son second Waliur Rehman, qui déclare : « nous sommes des talibans afghans et les talibans afghans sont nôtres ». Plus inquiétant encore, il affirme « nous souhaitons toujours être décapités pour Al-Qaida ». En effet, son côté impitoyable est bien connu : il a ordonné à ses troupes d'assassiner tous leurs prisonniers, ce qu'elles firent fin décembre 2012 : 21 membres des forces paramilitaires pachtounes pakistanaises, capturés sur trois points de contrôle situés à proximité de Peshawar, ont été froidement abattus.
Cette cruauté destinée à influencer ses interlocuteurs ne l'empêche pas de demander à négocier avec le pouvoir pakistanais. Toutefois, cela ne constitue pas réellement une nouveauté[4]. Par contre, il martèle qu'il est hors de question de déposer les armes tant que le régime d'Islamabad n'aura pas rompu toutes les relations avec les Etats-Unis et qu'il n'aura pas remplacé la constitution en vigueur par la loi islamique.
Hakeemullah Mehsud encourage également le pouvoir pakistanais à prendre sa revanche sur l'Inde qui lui a infligé une cruelle défaite militaire en 1971[5]. En fait, il tente d'obtenir une sorte de cessez-le-feu dans les zones tribales pakistanaises accompagné d'une « neutralité bienveillante » de la part des autorités d'Islamabad pour être en mesure de se retourner, tous moyens réunis, contre le régime en place à Kaboul. Les zones tribales serviront à ce moment là de base arrière sûre pour les combattants engagés sur le territoire afghan.
Dans cette vidéo, non seulement le leader du TTP infirme les rumeurs qui circulaient sur sa mise à l'écart et sur son éventuel remplacement pas son second, mais il définit clairement ses objectifs : créer une « sainte alliance » avec les taliban afghans du mollah Omar, les troupes de Gulbuddin Hekmatyar et même les activistes d'Al-Qaida encore présents sur zone, en particulier les combattants ouzbeks du Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO). Il affirme même qu'en cette occasion, il se placera sous les ordres du mollah Omar ! Il ne fait pas mystère d'avoir repris intégralement les objectifs d'Al-Qaida : étendre la guerre sainte et établir un califat mondial par la force.
Cette perspective n'est certainement pas pour déplaire à Islamabad qui a toujours soutenu discrètement les taliban afghans. Une guerre civile chez son voisin occidental qui impliquerait des activistes pakistanais diminuerait ainsi notablement la pression exercée par ces derniers contre son propre régime. On retrouve un peu la méthode qu'avaient employée les régimes arabes durant la guerre contre les Soviétiques : se débarrasser de leurs islamistes jugés comme trop remuants en les envoyant faire le djihad en Afghanistan !
D'autres chefs talibans ont été confirmés dans une deuxième vidéo diffusée en janvier 2013. Ainsi, Faqir Mohammed, l'ancien émir de la région de Bajaur – qui avait quitté le TTP à la mi-2012 pour marquer son mécontentement vis-à-vis de la politique menée par sa direction – a annoncé son ralliement au mouvement, les « difficultés existantes ayant été aplanies ». Il n'a pas pour autant repris son poste qui est désormais tenu par le mollah Abou Bakr. Quant au mollah Fazlullah, qui dirige le TTP dans la région stratégique de la vallée de Swat, il aurait aussi un rôle d'organisateur important au sein du mouvement.
Il ressort de ces préparatifs que les forces d'opposition au régime afghan[6] seront fin prêtes fin 2014 pour mener leur guerre de reconquête. C'est un secret de polichinelle que certains de leurs éléments ont déjà infiltré les forces de sécurité afghanes, particulièrement la police. Ces agents pourront ainsi renseigner les rebelles voire provoquer des révoltes intérieures. Il n'est pas impossible que des unités dans leur intégralité passent avec armes et bagages du côté des taliban, après avoir assassiné les quelques officiers encore fidèles au régime. Certes, une certaine résistance aura lieu, particulièrement dans le nord et l'ouest du pays, mais elle ne pourra empêcher les taliban afghans et pakistanais de s'emparer de Kaboul. La question qui se pose n'est donc plus si les talibans vont reprendre le pouvoir, mais quand ?
- [1] Après cette date, il devrait rester de 10 000 à 20 000 hommes chargés de poursuivre l'instruction et de soutenir logistiquement les forces afghanes.
- [2] Il a pris la direction du TTP en août 2009 après la mort de Baitullah Mehsud,
- [3] « Mouvement des talibans au Pakistan », mouvement taleb le plus puissant au Pakistan.
- [4] Il est parfaitement exact que différentes factions des taliban pakistanais ont négocié par le passé avec le pouvoir. Cela a généralement amené des périodes de calme plus ou moins longues dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan.
- [5] Le Pakistan avait perdu sa partie orientale devenue le Bangladesh.
- [6] Des élections présidentielles sont prévues le 5 avril 2014. En théorie, Hamid Karzai ne peut se représenter car il a déjà effectué deux mandats successifs.