Les services de renseignement italiens évaluent les menaces contre leur Etat
Fabrice RIZZOLI
Le 29 février 2008, les services italiens de renseignement ont transmis leur rapport semestriel au Parlement. Leur analyse des menaces met l'accent sur les quatre mafias « nationales » et sur leur caractère subversif et présente les menaces non mafieuses.
La ‘Ndrangheta : la mafia la plus dangereuse
D'après les services italiens, la ‘Ndrangheta serait la mafia la plus dangereuse pour la sécurité nationale, car c'est une mafia souple, riche et capable de s'attaquer à l'Etat italien par le biais d'actes subversifs. Cette analyse est à mettre en relation avec un autre rapport, celui de la Commission parlementaire antimafia. Publié le 20 février dernier, ce rapport affirme que la mafia calabraise possède un structure tentaculaire privé de direction stratégique mais caractérisé par "une sorte d'intelligence organique qui est comparable à Al-Qaida". Les organisations transnationales les plus adaptées à la mondialisation sont en effet celles dont la structure se révèle souple. La ‘Ndrangheta est une mafia dotée d'une grande puissance financière, ce qui lui permet de s'insérer dans l'économie, notamment dans les secteurs de la construction des routes, la santé, l'agroalimentaire, le tourisme et les activités économiques de la plaine de Gioa Tauro. Enfin, la ‘Ndrangheta entretient une tradition subversive, qui la rend capable d'actes de terrorisme contre l'Etat. Depuis une dizaine d'années, elle projette de tuer le magistrat Salvatore Boemi. En 2005, elle a assassiné le vice président de la région Calabre[1]. Depuis, la Direction antimafia a déjoué quatre projet d'attentat contre des magistrats.
Il convient de mettre en parrallèle ces données avec la dernière arrestation survenue à Bari, dans les Pouilles. Les magistrats de la Direction provinciale antimafia ont arrêté des mafieux de la Sacra Corrona Unita. Les écoutes téléphoniques faisaient état de jeunes prêt à tout pour sauvegarder le clan, y compris "prêts à faire le kamikaze"!
La Camorra un « animal politique » violent
En ce qui concerne la Camorra, le rapport des SR italiens signale que les clans ont encore une très grande capacité à infiltrer les administrations locales. C'est la raison pour laquelle, leur responsabilité est avérée dans la crise de la gestion des déchets. La Commission parlementaire antimafia affirme que le clan des Caselesi pourrait s'orienter vers une stratégie d'attaque de l'Etat. Le caractère subversif de ce clan est patent. L'année dernière, il projetait de tuer un magistrat ainsi que Roberto Saviano, l'auteur du livre Gomorra, qui dénonce les abus de la Camorra.
Au moment où est rendu public le rapport, on apprend que le maire de la petite ville de Cervino a été assassiné. Giovanni Piscitelli, 52 ans, était infirmier à l'hôpital de Caserta. Il était tête d'une liste de centre-gauche. D'après les premières constatations, l'homme a été ligoté et enfermé vivant dans le coffre de sa voiture avant qu'on n'y mette le feu. Son corps a été retrouvé à moitié carbonisée à côte du véhicule. Les enquêteurs pensent que la victime a pu sortir du coffre, mais trop tard. Le maire avait des antécédents pénaux pour abus de biens publics. D'après les journalistes de La Repubblica, les relations entre le maire et certains fonctionnaires de la mairie étaient tendues. Le premier citoyen de la ville avait suspendu certains d'entre eux. Dans la province de Caserta, les administrations d'Etat sont soumises à de très fortes pressions de la part des clans de la Camorra. Il est difficile de penser que ce meurtre a eu lieu sans la participation d'un clan.
Cosa nostra sicilienne sur le déclin ?
Cosa nostra, d'après les services de renseignement italiens, se révèle en crise. Les nombreuses arrestations, dont celle de Bernardo Provenzano et de Salvatore Lo Piccolo, privent l'organisation d'une direction solide. Les nouveaux chefs sont jeunes et cela ne correspond pas la carte d'identité criminelle de cette mafia.
En raison d'une impunité liée à sa participation à la lutte contre les communistes au cours de la Guerre froide, la mafia sicilienne avait atteint un degré de puissance exceptionnel. Mais les mafieux devenus « chef de famille » avant la chute du mur sont désormais hors circuit et la mafia sicilienne est revenue à niveau « raisonnable » celui du XIXe siècle.
L'inexistence d'un organe de direction ne doit pas faire oublier la prégnance sociale de la mafia. Rappelons que les mafieux et leurs complices forment un corps social puissant qu'Umberto Santino a qualifié de « bourgeoisie mafieuse[2] ». Sans ce réseaux, la mafia n'est plus rien. Les dernières condamnations permettent de s'en convaincre.
Le 18 janvier 2008, la Troisième chambre pénale de Palerme a condamné le Président de la région Sicile à cinq de prison pour avoir favorisé des membres de Cosa Nostra et non pas l'organisation mafieuse dans son ensemble[3].
Le 28 février 2008, le tribunal d'Agrigento a condamné pour association mafieuse, l'ex assesseur régional Vicenzo Lo Giudice, à 16 ans de prison. Cet homme politique sicilien très puissant a été député de la région Sicile de 1991 à 2004, assesseur régional à la gestion du territoire et président de la commission régionale pour la santé. En 2001, il appartenait au parti du centre, l'UDC. En 2004, il fut arrêté dans le cadre de l'enquête dénommée « Haute mafia ». Il louait à une coopérative gérée par une cosca mafieuse des terrains que la justice avait précisément confisqué à cette famille mafieuse ! Sous le plancher de sa maison, la police avait retrouvé 500 millions de lire qu'il avait cherché à transformer en euros avant le 1 janvier 2002. La magistrature a par ailleurs saisi des biens pour une valeur de 5 millions d'euros.
Au cours du procès, l'accusation a présenté des enregistrements d'écoutes. Vincenzo Lo Giudice tenait des propos élogieux envers les chefs mafieux. Il a été reconnu coupable de corruption, de recyclage d'argent sale, et de fraude dans la gestion des appels d'offre.
Le tribunal a aussi condamné Calogero Di Caro (chef mafieux de Canicattì), Antonio Scremali (ancien maire de gauche de Canicattì), Calogero Lo Giudice (qui avait été président de la province d'Agrigente) et Calogero Iacono (ancien conseiller provincial et chef adjoint des travaux publics de la ville Caltanissetta).
Toutefois, le 29 février 2008, le troisième fils de Toto Riina, Giuseppe Riina, a été libéré de prison. Il avait été condamné en 2004 en première instance pour association mafieuse. Au cours des années 2000, les policiers avaient placé des micros dans sa voiture. L'étude des enregistrements ne laisse planer aucun doute sur ses tentatives de reprendre en main une cosca, un clan mafieux. Depuis, il attendait le procès en appel. Parce que les termes légaux de sa détention provisoire venaient d'être dépassés, et conformément aux règles de droits, la Cour de cassation l'a libéré[4].
Le procureur national antimafia, Piero Grasso ne s'y est pas trompé en affirmant qu'en Italie, « les magistrats ne servent à rien ». Dans ce pays, les forces de l'ordre font un travail remarquable pour arrêter les mafieux. Cependant, la justice italienne, lente et empêchée par les politiques, n'arrive pas à mettre les mafieux hors d'état de nuire. L'impuissance relative de la justice est le principal atout des mafias italiennes.
Les menaces non mafieuses
La mafia n'est pas la seule menace pour la démocratie italienne selon les services. Les possibilités d'agression contre les Italiens à l'étranger ont augmenté, en particulier au Liban et en Afghanistan. Les personnes les plus visées étant, les militaires de l'UNIFIL2, la force d'intervention de l'ONU au Liban, et le personnel de l'Agence de renseignement pour la sécurité extérieure (AISE). Le terrorisme islamiste est la principale menace non mafieuse. L'Italie, où des nombreuses cellules ont été démantelées, est devenue une base de repli logistique pour les formations djihadistes maghrébines.
Enfin, sur le front intérieur, les nombreuses arrestations de membres des nouvelles brigades rouges ont alarmé les services de renseignement italiens quant à la possibilité d'un renouveau du terrorisme d'extrême gauche, tentant de profiter du malaise social. D'une manière comparable, les groupes d'extrême droite, peu structurés mais liés au milieu ultra du football, semblent en passe de fédérer des individus de plus en plus nombreux autour de thèses xénophobes et racistes.
- [1] Cf. NA n° 19, CF2R, octobre 2005.
- [2] Cf. NA n°104, CF2R, septembre 2007.
- [3] La justice italienne distingue en droit le délit de collusion avec un mafieux et le délit plus grave de favoriser l'organisation mafieuse dans son ensemble.
- [4] Le fils due l'ex chef de la mafia sicilienne (1983-1993) est interdit de séjour à Palerme. Il doit se présenter au commissariat les lundi, mercredi et vendredi. Il n'a pas le droit de fréquenter d'autres personnes déjà condamnées par la justice. Il n'a pas le droit de sortir entre 20 h et 7 h du matin. L'ensemble de ces mesures n'a jamais empêché un mafieux d'exercer ses prérogatives. En se rendant au commissariat, il va encore davantage ridiculiser l'Etat, incapable de le condamner. A ce sujet, Giuseppe Riina compte faire condamner l'Italie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme pour la longueur de son procès.