Colombie/Venezuela/Equateur bruits de bottes aux frontières
Alain RODIER
Suite à la mort de Raul Reyes – numéro deux et idéologue des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) – tué lors d'une opération des forces de sécurité colombiennes, le 2 mars, à 1,8 kilomètres à l'intérieur du territoire équatorien, d'intenses gesticulations militaro diplomatiques ont eu lieu sur les frontières de la Colombie.
Raul Reyes, le numéro 2 des FARC
L'opération militaire colombienne en Equateur
Cette opération se serait déroulée en deux phases. Les Américains auraient repéré les émissions d'un téléphone satellitaire appartenant à Reyes, qui avait été préalablement formellement identifié (une trahison peut-être ?). En début de nuit, un avion non identifié en provenance de Colombie a pénétré l'espace aérien équatorien sur une quinzaine de kilomètres avant de remettre cap au nord pour procéder au tir d'une munition intelligente réglée sur le téléphone repéré. Cette technique – que les Colombiens ne maîtrisent pas- aurait permis au bombardier d'échapper à la veille anti-aérienne assurée par les équipes de protection rapprochée de Reyes, qui seraient dotée de missiles sol-air portables de fabrication russe. Profitant de ce premier tir et pour compléter le travail, une frappe classique aurait ensuite été effectuée par des appareils de l'aviation militaire colombienne.
Dans un deuxième temps, des troupes héliportées auraient été « aux résultats » et auraient trouvé le cadavre du chef guérilléro au milieu de 15 autres corps. Les commandos seraient repartis avec la dépouille de Reyes, laissant les autres cadavres, ainsi que deux militantes blessées sur le terrain. Bien qu'ayant essuyé des tirs provenant de formations voisines, il semble que les forces colombiennes n'aient pas subi – officiellement – de pertes.
Réactions des pays voisins
Le président équatorien Rafaël Correa n'a pas apprécié cette incursion de forces étrangères sur son territoire. En conséquence, dès le 3 mars, il a rompu les relations diplomatiques avec Bogota. Parallèlement, il a renforcé les mesures de protection des frontières. Ses troupes ont procédé aux premières investigations sur le lieu de l'affrontement.
De son côté, le bouillant président vénézuélien Hugo Chavez a également rompu toute relation diplomatique avec Bogota. Il a aussi dépêché dix bataillons – soit environ 6000 hommes – à la frontière colombienne et ordonné à l'Armée de l'air de se déployer en vue d'une éventuelle riposte. Il a enfin déclaré que ces événements pouvaient représenter « le départ d'une guerre en Amérique latine ». Il a prévenu le président colombien Uribe que, s'il s'aventurait à mener une opération militaire similaire en territoire vénézuélien, il « pourrait envoyer quelques Sukhoïs » récemment acquis auprès de Moscou ! En proférant une telle menace, Chavez reconnaît implicitement que le Venezuela accueille des membres des FARC.
Sukhoï vénézuélien
Le président vénézuélien a toujours ressenti de la sympathie pour les FARC. Preuve en est, il a demandé, le 3 mars, de respecter quelques instants de silence en mémoire du « bon révolutionnaire » qu'était Reyes ! Par contre, profitant de cette occasion, il a traité le président Uribe de « criminel, chef mafieux, paramilitaire » qui « dirige un gouvernement de narcotrafiquants ». Pour tous les spécialistes, cela constitue un argument dont on pourrait sourire quand on sait que la Colombie lutte farouchement contre le trafic de drogue alors que le Venezuela est devenu un des principaux points de transit pour cette marchandise à destination des Etats-Unis et de l'Europe (voir NA 103 de septembre 2007).
Révélations de Bogota
Bogota a répondu à ces attaques en dévoilant des documents saisis sur les ordinateurs capturés lors de l'opération militaire du 2 mars. Ainsi, Reyes aurait rencontré le ministre de la Sécurité intérieure équatorien Gustavo Larrea afin de définir avec lui les modalités de relations devant exister entre les deux parties. Rafaël Correa a affirmé que ces rencontres entraient dans le cadre de négociations devant aboutir à la libération de 11 otages – sur 39 détenus qualifiés de « politiques » – détenus par les FARC, dont Ingrid Betancourt et trois Américains ! L'objectif de cette manœuvre, qui semblait d'ailleurs réussir, est de mettre de son côté la communauté internationale en désignant comme responsables de l'échec de ces prétendues négociations : le président Uribe et ses alliés américains !
Dans ces mêmes documents, serait évoqué le versement d'une somme de 300 millions de dollars et la livraison d'armes par le Venezuela aux FARC. Bien sûr, Hugo Chavez dément vigoureusement la réalité de ces assertions.
Enfin, et plus surprenant, les renseignements recueillis font état de la volonté des FARC d'acquérir 50 kilos d'uranium. Personne ne pense qu'il s'agissait de la constitution d'une bombe sale destinée à un emploi local. Si l'information était confirmée, cela pourrait signifier que les FARC aient servi d'intermédiaire pour fournir cette matière radioactive, contre forte rétribution, à d'autres utilisateurs potentiels. Les yeux se tournent immanquablement vers Al-Qaida. Ce serait la première fois que des connexions pourraient être établies entre la nébuleuse terroriste d'Oussama Ben Laden et le mouvement marxiste-léniniste colombien. Cela n'est pourtant pas très étonnant quand on sait que les FARC sont beaucoup plus proches de la criminalité organisée transnationale que du combat idéologique qu'ils revendiquent.
Que va-t-il se passer ?
Les FARC ont déjà subi en 2007 des revers très importants. Ainsi, une douzaine de responsables ont été, soit arrêtés soit tués, dont les chefs des 37e, 42e et 16e Fronts (Gustavo Rueda Diaz, Ernesto Orjuela Tovar et Tomas Molina Caracas). 2 800 guérilleros qui auraient perdu leur foi dans la « victoire finale » auraient également déserté la même année. Ce chiffre est vraisemblablement exagéré, mais le phénomène des désertions est bien réel : les FARC perdent plus de monde qu'elles n'en recrutent.
Les présidents Chavez, Correa et Morales
à la tête de la lutte anti-américaine
Les présidents Chavez, Correa, Daniel Ortega du Nicaragua et Evo Morales de Bolivie tentent de former une coalition anti-américaine en Amérique latine. En réalité, cette alliance est surtout basée sur un fort sentiment « anti-yankee » couplé à des positions idéologiques marxistes-léninistes. Elle s'appuie essentiellement sur des organisations criminelles qui ont trouvé le moyen de faire de l'argent facilement. En effet, dans tous ces pays, la corruption est endémique. Les producteurs (cocaleros) et les trafiquants de drogue sont revenus sur le devant de la scène, la politique anti-drogue menée par les Etats-Unis dans la région étant considérée par les autorités de ces Etats comme « colonialiste ».
Guérilléros des FARC
S'il est peu probable qu'un conflit armé éclate entre la Colombie, le Venezuela et l'Equateur (Caracas et Quito ont trop besoin des approvisionnements en nourriture en provenance de Colombie), la guerre de l'ombre va s'intensifier. Des attentats d'envergure destinés à venger la mort de Reyes et à marquer l'opinion publique nationale et internationale sont probables. Caracas et Quito vont accroître sensiblement leur aide logistique secrète aux FARC qui vont ainsi pouvoir se ressourcer. La guérilla en Colombie est donc loin de s'éteindre. L'ambiance délétère qui règne actuellement en Amérique latine va certainement se dégrader encore davantage.