Ouverture de la première académie de l’antiterrorisme à Los Angeles
Gaël MARCHAND
Les efforts de lutte contre le terrorisme aux États-Unis ont été principalement menés par des agences fédérales, CIA, FBI, etc., relevant du ministère de la Défense, de la Justice, ou du Department of Homeland Security (DHS). Si ces efforts sont souvent les plus visibles et les plus facilement identifiables par la communauté internationale, il ne faut pas oublier que les États-Unis sont un pays de structure fédérale, où les gouvernements des États et les gouvernements municipaux sont des structures importantes en termes de définition et de mise en oeuvre des politiques sécuritaires. C'est en substance ce que vient rappeler l'ouverture le 10 mars 2008, à Los Angeles, ce qui se targue être la première académie consacrée à la lutte antiterroriste.
En inaugurant la première session en présence du maire de Los Angeles, William Bratton, le chef de la police de Los Angeles (Los Angeles Police Department, LAPD), a très justement rappelé que l'effort national de lutte contre le terrorisme repose largement sur les 700 000 policiers municipaux qui protègent les principales villes des États-Unis. Dans cette galaxie de polices municipales, les deux plus nombreuses, New York et Los Angeles, ont les effectifs et les budgets les plus importants. Ainsi, il y a plus de policiers au New York Police Department (NYPD) que dans l'armée de terre canadienne… Toutefois, Los Angeles tient une place à part dans la mythologie policière en Amérique du Nord, car c'est de là que sont venues depuis trente ans les principales innovations en matière de doctrine et d'évolution des structures. Pour cette raison, le LAPD est surnommé « la police-mère » aux États-Unis et ses initiatives sont toujours suivies de près et bien souvent imitées. En termes de marketing, elle est un leader d'opinion dans le domaine de la pratique policière.
Une académie d'un nouveau genre
Le cours de contre-terrorisme que le LAPD a développé en association avec un Think-Tank, le Manhattan Institute, durera cinq mois et s'adressera prioritairement à de jeunes cadres supérieurs appartenant à des agences travaillant localement dans le domaine de la sécurité au sens large : pompiers, police des comtés avoisinant, antenne locale du FBI etc. Le contenu des cours donnés au sein de la National Conter-Terrorism Academy (NCTA) est destiné à donner aux stagiaires les outils permettant de déceler et de démanteler des cellules terroristes en s'appuyant sur un réseau de renseignement régional. Des cours portant sur l'extrémisme religieux, la doctrine d'Al-Qaïda ou encore les échecs du renseignement dans les attentats du 11 septembre 2001 donnent le ton de cette académie d'un nouveau genre.
Le LAPD a investi 1 million de dollars dans ce projet, soit suffisamment pour faire tourner l'académie pendant un an. Toutefois, l'aspect pluridisciplinaire a séduit des responsables du DHS, qui projettent d'accorder un financement de 5 millions de dollars pour que le LAPD et la police d'Etat du New Jersey développent un programme national selon les mêmes principes.
La naissance de ce programme au sein du LAPD n'est pas un hasard. Avant de devenir le chef du LAPD en 2002, William Bratton a occupé les fonctions de Commissioner du NYPD entre 1994 et 1996. Il est le seul policier à ce jour ayant été le chef des deux plus grands services de police du pays. Le NYPD compte 38 000 policiers en uniforme. Le LAPD n'en compte « que » 10 000, auxquels se rajoutent 3 000 civils, pour une population de quatre millions d'habitants. C'est selon les directives de Bratton que la police de New York a adhéré à la doctrine policière de Broken Window Policy. Connue en France sous le nom de « politique du carreau cassé », cette variante de la police de proximité (Community Policing) théorise que la prévention des délits mineurs, à commencer par les incivilités, décourage la commission de crimes plus sérieux. Depuis maintenant 10 ans, l'un des dérivés de cette politique est connu par les New Yorkais sous le nom de Zero Tolerance Policing…
Dès son arrivée à la tête du LAPD, Bratton a fait de la lutte contre le terrorisme sa priorité. Sous le commandement de l'un de ses adjoints, le Deputy Chief Michael Downing, nommé à ce poste en avril 2006, l'unité antiterroriste du LAPD est passée à un effectif de 300 personnels. C'est lui qui devrait gérer l'académie du contre-terrorisme, dans le centre d'entraînement du LAPD (Ahmanson Training Center) près de l'aéroport international de Los Angeles. Le nouveau credo de Bratton est de « faire la police du terrorisme » (« Policing Terrorism»), en reprenant les recettes qui ont bien réussi à la police de proximité de new York.
C'est d'ailleurs ce concept de police du terrorisme qui constitue la base théorique soutenant le projet d'académie du contre-terrorisme. Le concept a été développé au sein du partenaire du LAPD dans ce projet, le Manhattan Institute for Policy Research. C'est au sein de ce Think Tank que l'on trouve le Center for Policing Terrorism (CPT). L'objectif du CPT est de développer les capacités des polices locales à lutter contre le terrorisme, en complément de l'action des services spécialisés. Pour cela, l'accent est mis sur les liens entre la délinquance ordinaire et la violence politique.
En résumé, l'idée que défend Bratton est qu'il est possible de créer un environnement hostile au développement du terrorisme. Pour cela, il faut appliquer les principes de la police de proximité adaptés aux enjeux de cette lutte : améliorer l'entraînement des policiers, orienter leurs missions vers la prévention plus que l'intervention, renforcer les liens avec les différentes communautés. La première promotion de la NCTA comprend 70 étudiants en provenance de 27 services publics différents de Californie et du Nevada, mais l'objectif à moyen terme est de recevoir des étudiants de l'ensemble du pays et de l'étranger. Pour tous, l'enjeu est de comprendre comment le terrorisme peut être combattu efficacement par la mobilisation des ressources de renseignement, la vigilance quotidienne de tous les services publics, le développement de partenariats public-privé et l'implication de toutes les communautés.
Des difficultés à surmonter
C'est sans doute ce dernier aspect qui reste le plus difficile. L'unité antiterroriste du LAPD a été fortement critiquée en 2007 lorsque Michael Downing a révélé au Congrès que son unité effectuait une cartographie de la communauté musulmane de Los Angeles. Comme le confirment les intitulés de certains cours de la nouvelle académie, le contre-terrorisme au LAPD est fortement orienté, ce qui ne rend pas facile l'établissement de liens de confiance entre le service et les représentants de la communauté musulmane.
Or, il faut rappeler que le succès de la Broken Window Policy, quoi a permis de réduire de façon significative le nombre meurtres à New York, n'est pas le fait de la police seule. Certes, la police de quartier avait reçu de nouveaux pouvoirs de détention et de fouille qui ont permis à la fois de faire disparaître de la circulation bon nombre d'armes et de réamorcer la pompe du renseignement contre l' « oubli » d'infractions mineures.
Toutefois, le succès de la police de proximité à New York a été grandement facilité par la mise en place d'une justice de proximité qui n'était pas qu'un concept. Des juges de quartier prononçaient sur le champ des peines de travaux d'intérêt général qui étaient exécutées immédiatement dans le quartier de commission de l'infraction. Mais surtout, la reconquête des quartiers difficiles s'est faîte par les habitants eux-mêmes. Les commerçants désireux de sortir du cercle vicieux, qui voyait fuir les couches saines de la population à mesure que l'habitat se dégradait et attirait de nouveau la délinquance, se sont organisés en Business Improvement Districts (BID). Au sein des BIDs, en collaboration avec la police, se sont montées des patrouilles de quartier à base de volontaires qui permettaient d'assurer une surveillance effective 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. En bref, ce sont les BIDs qui ont fait le succès de la lutte contre la délinquance à New York. Leur création supposait à la fois la confiance et l'adhésion des actifs de la population, et la compréhension des enjeux, donc de la menace. Au-delà de l'établissement de liens privilégiés avec les communautés, le défi réside bien dans l'éducation de la population, et a minima son éveil aux enjeux sécuritaires.
Reste que l'idée même de l'académie est intéressante. Les services municipaux en Amérique du Nord ont fortement travaillé ces dernières années sur la notion d'interopérabilité et de groupes d'intervention pluridisciplinaires entre policiers, pompiers et ambulanciers (Paramedics). Puis, avec la naissance des Fusion Centers, le gouvernement fédéral a donné une forte impulsion en faveur de l'intégration et du développement des échanges de renseignements, entre agences et entre niveaux de gouvernement, sur une aire géographique donnée. Il y avait ainsi fin 2007 un total de 40 centres d'intégration du renseignement aux États-Unis, et il devrait s'en créer 15 supplémentaires dans un futur proche. Il manquait toutefois au renseignement antiterroriste la dimension d'une culture commune, d'un socle de connaissance partagée sur la menace et une enceinte unique de diffusion des bonnes pratiques pour la déceler et y faire face. C'est maintenant semble-t-il chose faîte avec la NCTA, avec l'avantage de la durée, puisque William Bratton a été nommé en 2007 à la tête du LAPD pour un nouveau mandat de cinq ans.