Russie : les services secrets relancent la guerre froide
Alain RODIER
Le président Dmitri Medvedev a donné le 29 janvier au FSB ( Federal’naya Sloujba Bezopasnosti , Service fédéral de sécurité) des directives qui peuvent laisser à penser à un retour aux années de la Guerre froide.
Ainsi, le FSB a reçu l’ordre d’augmenter ses opérations de contre espionnage car la Russie serait la victime de « chasseurs de secrets d’Etat » dans les domaines des nouvelles technologies, de l’industrie de l’armement, de la politique et de l’économie. L’adversaire n’est pas clairement désigné mais il semble bien que les regards de Moscou se tournent vers les pays occidentaux en général et Washington et Londres en particulier.
Le président russe a également demandé à ses services d’accroître la lutte contre le terrorisme, le nationalisme et l’extrémisme. Si cela n’est pas bien nouveau, ce qui est original, c’est la nouvelle démarche mise en œuvre : la collaboration avec l’Organisation de coopération de Shanghai [1] et avec les pays d’Amérique latine [2]. L’OCS a été créée à l’origine pour combattre la menace islamique radicale, une coopération renforcée avec les services de renseignement de ces pays peut aisément se concevoir. Par contre, la collaboration qui devrait se développer avec les Etats sud-américains – généralement hostiles à Washington – ne peut se comprendre que dans une vaste stratégie anti-américaine. Par ce biais, il semble que Moscou renoue avec la politique de contournement de l’ex-URSS qui a appuyé directement Cuba et tous les pays et mouvements qui s’opposaient à Washington. La question qui se pose est la suivante : sachant que Téhéran est déjà très actif dans la région, que va-t-il se passer entre les services russes et iraniens : concurrence ou coopération ?
D’ailleurs, le président Medvedev ne fait absolument pas mention d’une éventuelle coopération avec les services occidentaux comme si ceux-ci n’étaient plus dignes de confiance, même en matière de lutte contre le terrorisme. La coopération passée qui avait été initiée après l’effondrement de l’URSS et avait suscité de nombreux espoirs au sein de la communauté occidentale, s’est montrée extrêmement décevante. Le problème le plus important a été le cas iranien. En effet, les services russes se sont montrés plus que rétifs à fournir des renseignements fiables sur ce sujet, quand ils ne se sont pas purement et simplement livrés à de la désinformation.
Toutes ces informations sont à rapprocher de celles faisant état de la reprise vigoureuse des activités de recherche de renseignements (en clair, d’espionnage) par le SVR [3], le FAPSI [4] et le GRU [5] aux Etats-Unis, en Europe et en Asie centrale. Dans cette dernière région, Moscou se préparerait à déclencher une véritable guerre économique destinée à sécuriser ses approvisionnements en gaz, lesquels pourraient se révéler problématiques dans les années à venir.
Il est à noter que ces services russes ont des réseaux d’agents particulièrement bien implantés dans les anciens pays frères du défunt Pacte de Varsovie, dont certains ont intégré l’OTAN et l’Union européenne. Cela a été assez facile car il a suffi de réveiller des taupes qui avaient été laissées en place après l’effondrement du bloc de l’Est. De plus, les déçus de l’économie de marché sont de plus en plus nombreux – crise oblige – et la tentation est grande de se retourner vers Moscou en nostalgie du « bon vieux temps ». A titre d’exemple, grâce à un haut fonctionnaire estonien, les Russes auraient cassé le code du système Elcrodat qui assurait les communications téléphoniques, fax et e-mails codés de l’OTAN depuis 2004 [6] !
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En conclusion, il semble que l’ensemble des services qui formaient le défunt KGB, ainsi que le GRU reviennent à des pratiques d’antan. La réouverture de la Guerre froide au niveau des services secrets préfigure peut-être sa généralisation à l’ensemble des organes de l’Etat russe, à moins qu’il ne s’agisse là que d’un avertissement supplémentaire lancé à Washington et aux Européens. En tout état de cause, cela ne laisse rien de présager de bon pour l’avenir. La guerre secrète a de fortes chances de reprendre en Amérique latine (c’est surtout le problème des Américains), en Asie centrale et dans la vieille Europe, et là, nous sommes directement concernés.
- [1] L’OCS regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et le Turkménistan.
- [2] Moscou s’efforce d’intensifier ses liens avec tous les pays d’Amérique latine qui s’opposent ouvertement à Washington ; au premier rang de ceux-ci se trouve le Venezuela.
- [3] Sloujba Vnechneï Razvedki , Service de renseignement extérieur, l’ancienne première direction du KGB.
- [4] Federal’Noe Agentstvo Pravitel’stvennoï Svyazi i Informatsii , Agence fédérale pour les communications gouvernementales et l’information du président de la Fédération de Russie , service chargé notamment des interceptions de télécommunications.
- [5] Glavnoe Razvedivatel’noe Upravlenie , Direction principale du renseignement, les services de renseignement militaires.
- [6] Voir Alain Rodier, Etats-Unis – Russie : cas d’espionnage atypique , Note d’Actualité n°159, février 2009.