La piraterie maritime dans le monde début 2009
Alain RODIER
La piraterie maritime s’est considérablement accentuée en 2008. 293 incidents ont été officiellement répertoriés l’an dernier, soit une augmentation de 11% par rapport à 2007.
Les côtes somaliennes et le golfe d’Aden
La principale menace s’étend au large de la Somalie. Sur les 293 incidents répertoriés en 2008, 111 sont survenus dans cette région (soit près de 38%), soit une augmentation de 200% des actes de piraterie dans cette zone par rapport à 2007. 42 navires et 815 membres d’équipage ont été pris en otage. Le 31 décembre, les pirates détenaient toujours 13 bateaux et 242 otages.
Si dans un premier temps, seuls des navires croisant à portée des côtes étaient attaqués, ce n’est désormais plus le cas, les pirates n’hésitant plus à s’en prendre à des navires voguant à plusieurs centaines de kilomètres des rivages. Ainsi, le superpétrolier saoudien Sirius Star avec une cargaison de pétrole de 100 millions de dollars été attaqué le 15 novembre à plus de 800 kilomètres au sud-est du port kenyan de Mombassa. Il a ensuite été conduit au large du port de pêcheurs d’Haradhere, à 300 kilomètres au nord de Mogadiscio. Cette localité est réputée pour être l’un des principaux ports fréquenté par des pirates somaliens. Certains d’entre eux seraient des miliciens qui dépendent du chef de guerre Abdi Mohamed Afweyne. Les autres points d’attache connus sont ceux d’Eyl et de Garowe, qui se trouvent au Puntland (nord-est de la Somalie), et de Raas Cusbaad, situé au sud d’Hobyo.
Il semble que les autorités locales [1] et les commerçants régionaux soient parties prenantes dans cette juteuse activité. L’argent issu des rançons versées en 2008 s’élèverait à 120 millions de dollars. Il permet de faire vivre l’économie locale et enrichit quelques potentats qui se font construire de somptueuses villas et roulent dans des 4X4 de luxe. Grâce à ces fonds, les pirates peuvent acquérir de nouveaux matériels : des embarcations rapides modernes, des systèmes GPS, de transmissions et de vision nocturne, des armes, etc. Ces capacités techniques les rendront encore plus performants dans l’avenir. Pour mener à bien ces acquisitions et le nettoyage de l’argent sale obtenu lors du versement des rançons, des réseaux internationaux se sont constitués avec des ramifications à Londres, Dubaï, aux Etats-Unis et en Allemagne.
Pour justifier leurs actes, les pirates accusent les Occidentaux de piller les ressources halieutiques locales et de causer des dégâts en déversant des produits polluants à la mer. En réalité, il s’agit uniquement d’un problème de criminalité car les islamistes ne paraissent pas encore s’adonner régulièrement à cette activité. Des conflits seraient même survenus entre des miliciens islamiques shebab et des chefs de guerre locaux qui ont fait de la piraterie leur première activité tant elle est rentable.
Par contre cela pourrait changer dans l’avenir. Ainsi, un groupe djihadiste a déclaré sur le net le 26 avril 2008 que « le terroriste maritime est une nécessité stratégique […] le pas suivant consiste à contrôler les mers et les ports en commençant par ceux qui entourent la péninsule arabique […] il est devenu nécessaire de développer la bataille en incluant la mer, et comme les moudjahiddines ont su constituer des bataillons terrestres de martyrs, la mer constitue l’étape suivante qui devrait le monde à restaurer le califat islamique ». Ce mouvement désigne clairement ses objectifs : dans un premier temps, les côtes yéménites, le golfe d’Oman et celui d’Aden. Dans un deuxième temps : la mer Rouge et l’océan Indien !
Les modes d’action des pirates
Les pirates bénéficient d’un système de renseignement très bien développé. Ils ont des informateurs rémunérés dans tous les ports bordant la mer d’Oman et le golfe d’Aden.
Pour agir en pleine mer, les pirates utilisent des « bateaux mères » qui ne présentent aucun signe distinctif et qui, parfois, sont des navires déjà piratés dont l’équipage d’origine est encore à bord. Ces bâtiments transportent des embarcations rapides qui leur servent à monter à l’assaut de leurs cibles. La frégate indienne INS Tabar a détruit l’un de ces navires dans la soirée du 17 novembre 2008, à 525 kilomètres au sud-ouest du port omanais de Salalah [2]. Il s’agissait du chalutier Ekawat Neva 5 de nationalité thaïlandaise, qui avait été pris en otage quelques heures auparavant. Actuellement, seuls deux « bateaux mères » sont formellement identifiés : les chalutiers d’origine russe Burum Ocean et Arena (ou Athena ). Cependant, les pirates utiliseraient également des Dhaw, des bateaux traditionnels de la région, qui servent depuis des temps immémoriaux aux échanges commerciaux ainsi qu’aux trafics les plus divers – dont celui des êtres humains – dans cette partie du monde.
La tactique des pirates est relativement simple. Une fois une cible repérée par les radars du « bateau mère », ce dernier met à l’eau de deux à quatre embarcations rapides à bord desquelles prennent place quatre à six hommes équipés d’armes légères et de RPG 7. Ces embarcations abordent la cible par le franc-bord le plus bas sur l’eau et montent à l’assaut à l’aide de grappins comme au temps de la flibusterie d’antan. Ils prennent le contrôle de la passerelle, font stopper les machines afin que d’autres acolytes puissent les rejoindre en utilisant des échelles de coupée qui leur sont alors lancées. L’action initiale ne dure généralement que quelques dizaines de minutes. Il n’y a ensuite plus qu’à obliger l’équipage pris en otage à rejoindre la proximité d’un port somalien où les attendent leurs complices. Une fois à l’ancre, les preneurs d’otages se relayent pour assurer la garde du navire pendant que les tractations débutent avec les armateurs concernés. Une fois la rançon remise dans un endroit sûr, les navires sont libérés et peuvent repartir vers d’autres cieux plus cléments.
Les vides juridiques de la lutte anti-piraterie
Depuis le déploiement au large de la Somalie de navires de guerre internationaux, plusieurs d’entre eux qui avaient capturé des pirates se sont vus obligés de les libérer faute de législation habilitée à statuer sur leur cas. De plus, la Convention de Montego Bay n’autorise qu’un simple droit de visite sur les bateaux suspects. Si rien d’illégal n’est constaté – par exemple la présence de clandestins, de drogue ou d’armes – non seulement rien ne peut être entrepris juridiquement mais en plus, le navire « dérangé » peut réclamer une indemnisation.
La solution au problème de la piraterie ne se trouve pas en mer mais à terre. Le 17 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait une motion autorisant les opérations de poursuite à terre des pirates. Le même jour, ces derniers s’emparaient de quatre navires ! Même la Chine et l’Iran ont dépêché des bâtiments de guerre pour lutter contre ce phénomène qui n’épargne aucune nationalité.
Le Centre naval de commandement américain a défini une zone maritime sécurisée ( Maritime Security Patrol Area /MSPA) dans le golfe d’Aden où les navires de la coalition et des aéronefs effectuent de fréquentes patrouilles. En outre, tous les navires de commerces sont invités à effectuer une veille radar et visuelle 24 heures sur 24. Ils doivent écouter en permanence les canaux VHF 16 ou 72 sur lesquels des alertes peuvent être transmises en temps réel. Enfin il leur est recommandé de ne pas entrer en communication radio avec les ports somaliens et de se tenir aussi loin possible des côtes, une distance minimum de 250 miles nautiques est recommandée.
En raison de l’augmentation de la menace maritime en mer d’Oman, plusieurs importants armateurs envisagent de dérouter leurs flottesC’est ainsi le cas de Moller-Maersk , des armateurs norvégiens Frontline , Odjell et BW Gas et de leur homologue belge Euronav . Ils pourraient faire emprunter à leurs navires, jugés trop lents et aux francs-bords insuffisants, une route qui passe par le cap de Bonne Espérance et l’est de Madagascar.
Le golfe du Niger
Les eaux nigérianes se sont montrées également particulièrement dangereuses pour les navires étrangers en 2008. Au total, 889 membres d’équipage ont été pris en otage, et 46 navires ont subi des tirs ; 11 marins ont été tués et 32 blessés ; 21 sont portés disparus et présumés morts.
Quarante incidents ont été répertoriés en 2008, dont 27 assauts de navire ; 39 personnes ont été enlevése au cours de 5 prises d’otages. En fait, les armateurs n’ont pas déclaré tous les incidents qui sont survenus dans la zone. Ils pourraient avoisiner la centaine. Le delta du Niger est le théâtre de violences régulières perpétrées par des groupes armés qui, depuis 2006, ont multiplié les enlèvements d’employés du secteur pétrolier, les attaques d’installation pétrolières et divers sabotages. La grande majorité des incidents a été observée dans les eaux territoriales du Nigeria alors qu’en mer d’Oman, les mêmes actions ont plutôt lieu en haute mer. Les motivations des pirates nigérians sont généralement politiques en non pas exclusivement financières comme au large de la Somalie.
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Depuis le début de l’année 2009, les attaques des pirates continuent de se multiplier au large des côtes africaines. Les navires de guerre qui y sont déployés ont réussi à empêcher un nombre croissant de tentatives sans toutefois parvenir à faire régner le calme en mer. Cette situation reste donc très inquiétante car elle devrait perdurer dans le temps.
- [1] Particulièrement celles du Puntland où résideraient environ 1 500 pirates
- [2] Le navire indien aurait agi en état de « légitime défense », les pirates menaçant de le faire exploser. Il aurait tiré au canon sur le navire suspect et plusieurs explosions auraient eu lieu à bord entraînant l’incendie du bâtiment. Deux embarcations légères auraient réussi à s’enfuir, l’une étant retrouvée vide ultérieurement. Sur les 16 membres d’équipage, 14 sont portés disparus, l’un a été retrouvé mort et un dernier a été repêché quatre jours après. Aucun pirate n’a été retrouvé.