Russie : arrestation d’un parrain du crime organise
Alain RODIER
Mercredi 23 janvier au soir, Semyon Mogilevich, un des parrains les plus haut en couleur de la criminalité organisée russe, est arrêté à Moscou. Il sortait du World Trade Center local en compagnie du citoyen franco-russe Vladimir Nekrasov. Ce dernier est l’actionnaire majoritaire d’Arbat Prestz, une importante chaîne de magasins cosmétiques soupçonnée d’avoir fraudé le fisc russe pour un montant de 1,4 millions d’euros. Au moment de l’arrestation, Mogilevich utilisait l’identité fictive de Sergueï Schneider, le nom de sa dernière épouse. Les deux hommes étaient escortés par de nombreux gardes du corps qui heureusement, n’ont pas opposé de résistance aux 50 policiers venus procéder aux interpellations.
Un homme à la tête d’une organisation puissante
Semion Yudkovich « Seva » Mogilevich est né le 3 juin 1946 au sein d’une famille ukrainienne de confession juive. Il est surnommé le « Don intellectuel », en raison des diplômes qu’il a obtenu à l’université nationale Ivan Franko de Lviv (Ukraine).
Dans les années 1970, il intègre comme homme de main le clan moscovite Lyubert-sky, qui s’est particulièrement fait connaître pour avoir escroqué des milliers de candidats à l’émigration à destination d’Israël. Il rejoint ensuite le clan Solntsevo (du nom d’une banlieue de Moscou) dont il dirige une des plus importantes branches.
Depuis les années 1980, Mogilevich est à la tête d’une des plus importantes organisation criminelle transnationale (OCT) russe. Ses hommes de main, dont le nombre est estimé à quelques 250 individus, sont encadrés par quelques vétérans de la guerre russo-afghane. Ils n’hésitent pas à user de la torture et du meurtre pour parvenir à leurs fins.
Dès novembre 1994, à l’initiative de la justice britannique, il est activement recherché par les polices russe, ukrainienne, israélienne, américaine, canadienne, belge, italienne et allemande. En raison de ses activités, Semion Mogilevich était interdit de séjour dans l’espace Schengen.
Présente sur l’ensemble de la planète, son OCT avait noué de nombreuses relations d’affaires avec la Camorra napolitaine, la Cosa Nostra new-yorkaise (famille Genovese) et les cartels colombiens.
Elle se livrait à toutes les activités classiques propres à ce type d’organisation : trafic de drogue, d’être humains, d’armes, de matières nucléaires, d’œuvres d’art, de pierres précieuses, racket, assassinats sur contrat (aux Etats-Unis et en Europe), infractions financières, etc. En outre, son organisation contrôlait tous les trafics transitant par l’aéroport international de Sheremetyevo de Moscou, considéré comme le « paradis des contrebandiers ». Pour recycler ses gains colossaux, il se livrait à de savantes opérations de blanchiment d’argent sale. Il semble qu’une grande partie de ses transactions financières passait par Londres.
Semyon Mogilevich possédait également la fabrique d’armes Army Co-op Ltd de Budapest, spécialisée dans la fabrication de canons anti-aériens. En 1994, il avait acquis l’Inkombank, une des plus importante banque russe privée, avant que celle-ci ne cesse ses activités en 1998, accusée de multiples fraudes. Il était cofondateur de la première société privée de pompes funèbres moscovite, fournissant occasionnellement à cette entreprise la « matière première ». Aujourd’hui, des enquêtes ont lieu concernant ses liens éventuels avec le complexe RosUkrEnergo basé à Zoug, en Suisse. En effet, cette importante société est chargée d’importer du gaz du Turkménistan en Ukraine, en Pologne et en Hongrie. De forts soupçons d’irrégularités financières pèsent sur cette entité possédée à 50% par Gazprom, via sa filiale Arosgas Holding AG enregistrée à Berne. Les 50% restant sont la propriété de deux hommes d’affaire ukrainiens via la Centragas Holding AG enregistrée à Vienne.
De 1995 à 1999, il séjourne librement à Budapest et effectue de nombreux déplacements aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Israël et en Russie. Puis il s’installe à Prague avant de retourner vivre à Moscou, dans un premier temps dans une villa cossue du quartier huppé de Rublyovka, avant d’élire domicile à l’hôtel Ukrainia, haut lieu du crime organisé. Cependant, il semble que son QG était toujours installé à Budapest.
Pour échapper à ses poursuivants, Semyon Mogilevich utilise au moins dix sept identités différentes (avec tous les papiers nécessaires) et possède officiellement les nationalités russe, ukrainienne, hongroise et israélienne.
Prudent, il aurait entretenu des relations avec différents services secrets d’Europe occidentale, devenant même un agent d’information régulier de certains d’entre eux. Il est notamment soupçonné avoir eu des contacts avec le service de renseignement fédéral allemand, le BND.
Une arrestation à rapprocher du calendrier électoral russe ?
Semyon Mogilevich a été incarcéré à la prison Matroskaya Tishina. Son extradition vers les Etats-Unis, où il est recherché pour 45 infractions commises de 1993 à 1998 (racket, fraudes financières diverses, blanchiment, etc.), est quasiment impossible. En effet, il a été arrêté en Russie et il n’existe pas de traité d’extradition entre Moscou et Washington.avec
La mise hors circuit de ce parrain russe ne signifie pas la fin du crime organisé dans les ex-pays de l’Est. La nature ayant horreur du vide, d’autres leaders criminels plus discrets vont profiter de l’occasion pour tenter de conquérir ses « territoires ». Cela promet une guerre des gangs sanglante dont personne ne peut prédire aujourd’hui les suites.
Une question reste cependant posée : pourquoi cette arrestation survient-elle si tard sachant que Mogilevich ne se cachait pas vraiment en Russie ? Cela n’aurait-il pas un lien avec les prochaines élections présidentielles ? En effet, Moscou souhaite que Gazprom entre à la bourse de New York. Pour ce faire, il convient que cette entreprise se débarrasse de ses « relations sulfureuses », donc de sa participation à 50% dans RosUkrEnergo. A terme, c’est la fin de cette société qui semble inéluctable. Cela ne peut que plaire au marché financier américain (et donc à la Maison blanche) et au Premier ministre ukrainien, Yulia Tymoshenko – l’égérie de la révolution orange – qui souhaite depuis son premier mandat la dissolution de RosUkrEnergo. Il semble bien que Mogilevich était décidément devenu trop encombrant pour le pouvoir à Moscou !