L’accroissement de l’utilisation des ondes courtes par les terroristes
Alain CHARRET
L’actualité de ces derniers mois ne fait que confirmer, s’il le fallait encore, ce que dénoncent depuis plusieurs années certains spécialistes des interceptions stratégiques : le terrorisme international n’utilise plus, comme moyens de communication, les téléphones portables, qu’ils soient GSM ou satellitaires, mais reviennent à l’usage des ondes courtes, moyens chers aux services de renseignement de nombreux pays durant la Guerre froide.
Il n’y a peut être que l’ISI 1 à ne pas le savoir, ou du moins à penser être à même de berner l’opinion publique nationale et internationale avec ce qui semble bien être une pseudo transcription d’écoute téléphonique. En effet, après l’assassinat de l’ex-Premier ministre Benazir Bhutto, le 27 décembre 2007, les autorités pakistanaises ont diffusé à la presse ce qu’elles ont présenté comme une transcription d’une conversation téléphonique entre Baitullah Meshud et un certain Maulvi Sahib, membre présumé de la nébuleuse terroriste (cf pièce I). Il parait pour le moins surprenant que le responsable d’Al-Qaïda pour le Pakistan qu’est censé être Baitullah Meshud, s’exprime ainsi sans la moindre prudence, allant même à indiquer la ville et la maison dans laquelle il se trouve. Si cette conversation est authentique pourquoi les forces de sécurité pakistanaises n’ont-elles pas immédiatement déclenché une opération à l’encontre de Baitullah Meshud ? Sa situation géographique était clairement indiquée dans la communication et de plus, pouvait être confirmée techniquement grâce à la localisation du téléphone utilisé. Si toutefois les services pakistanais étaient venus à manquer de moyens, humains ou techniques, leurs alliés américains auraient sûrement été prompts à les aider dans cette opération…
Les professionnels ne sont pas les seuls à l’avoir remarqué. Les amateurs d’écoutes radio le constatent depuis de nombreux mois, les fréquences HF 2 appelées également ondes courtes, si elles sont délaissées par de nombreux services officiels, sont par contre de plus en plus occupées illégalement et apparemment en toute impunité, par des émetteurs qualifiés de « pirates ». Cela va du retraité qui veut jouer les radioamateurs sans avoir à satisfaire aux épreuves de l’examen, et surtout en acquitter la taxe afférente, aux pêcheurs hauturiers qui profitent ainsi d’un moyen de communication gratuit, donc beaucoup plus économique que les systèmes satellitaires qui leurs sont officiellement dédiés. Des usagers parmi lesquels figurent également des terroristes potentiels, preuve en est la communication interceptée le 10janvier au matin par un contrôleur du centre de Santa Maria aux Açores (cf pièce II). Pour mémoire, rappelons que malgré l’existence en nombre de plus en plus important, de systèmes satellitaires, l’aviation civile utilise encore les ondes courtes pour communiquer avec les aéronefs hors de portée des systèmes radios VHF 3, du fait de leur éloignement des côtes. Compte tenu de sa position stratégique au milieu de l’Atlantique Nord, le centre de contrôle aérien de Santa Maria est de ce fait un nœud important de l’aviation civile mondiale. On sait peu de chose sur la communication ainsi écoutée par hasard, par un employé de ce centre, si ce n’est qu’elle se déroulait dans la bande HF, en langue arabe et qu’il était fait mention d’une attaque contre la tour Eiffel. Bien que qualifiée de « vague et confuse » par certaines sources, les autorités portugaises ont tout de même jugé bon de transmettre l’information à la DST 4 française.
On l’a vu plus haut, les terroristes ne sont pas les seuls à s’être appropriés les ondes courtes. Certains chefs d’État aux visées on ne peut plus belliqueuses ont également vite compris l’usage qu’ils pouvaient en tirer. Ainsi lors du procès de Charles Taylor devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Varmuyan Sherif, qui était le responsable de la sécurité présidentiel, a déclaré connaître l’existence d’un local où se trouvait un émetteur-récepteur permettant au président du Liberia de communiquer directement avec les rebelles du RUF 5, en Sierra Leone (cf pièce III).
Des ondes radios qui sont si mal surveillées qu’elles pourraient, en plus de favoriser les communications de terroristes de tout poil, être à l’origine de dangereuses méprises. Ainsi après l’incident naval ayant opposé l’US Navy à la marine iranienne, le 6 janvier 2008 dans le détroit d’Ormuz, le Pentagone a diffusé une vidéo montrant les vedettes rapides des Gardiens de la révolution, et où l’on pouvait entendre un message radio menaçant de faire exploser les navires américains. Après avoir accusé les Iraniens d’en être les auteurs, la marine américaine semble revenir sur ses premières déclarations, admettant que les Iraniens pourraient ne pas être les auteurs de ces menaces. L’hebdomadaire Navy Times va même jusqu’à parlé de « mauvaise plaisanterie ». Le message menaçant de faire exploser les navires américains émaneraient d’un « mauvais plaisant », un phénomène qualifié de courant au Moyen-Orient (cf pièce IV).
La radiodiffusion n’échappe pas au phénomène et quoi qu’on en pense le danger n’est pas moindre. Ainsi durant l’été 2007, l’aéroport Ben Gourion de Lod a été fermé plusieurs heures à cause des émissions d’une radio pirate. Cette dernière perturbait les communications entre les aéronefs, la tour et le centre de contrôle.
La radiodiffusion dont les enjeux politiques peuvent également être étonnamment important bien que nous vivions à l’heure d’Internet et du tout numérique. À titre d’exemple, La voix de la Russie s’est vue interdire d’émettre en Lituanie et les émissions de la BBC dans la capitale moscovite ont été suspendues. Dans les zones en crise, l’importance de ce média est telle que ses journalistes sont emprisonnés, parfois même abattus par l’armée. C’est le cas notamment en Somalie. Au Kenya, devant la recrudescence des violences politico-ethniques qui ont suivis la réélection contestée de Mwai Kibaki, le 27 décembre 2007, le chef de la police kenyane a ordonné la surveillance des ondes radios pour s’assurer qu’elles ne diffusent pas des messages d’incitation à la violence (cf pièce V). On se souviendra du rôle génocidaire que joua la radio des mille collines au Rwanda…
Il ne reste plus à espérer que devant ces éléments qui démontrent une nouvelle fois outre le regain d’activités illégales dans la gamme des ondes courtes, les menaces qu’elles peuvent faire peser sur la sécurité internationale, que de nouvelles orientations seront données aux différents centres d’écoutes de la planète afin qu’il délaisse quelque peu l’interception satellitaire au profit de l’écoute radio traditionnelle qu’ils ont délaissée, semble-t-il, un peu trop rapidement.
Alain Charret
Janvier 2008
- 1 Inter-Services Intelligence, les services de renseignement pakistanais
- 2 Haute Fréquence
- 3 Very High Frequency, Très haute fréquence
- 4 Direction de la surveillance du territoire.
- 5 Revolutionary United Front
I – Contenu de l'appel téléphonique d'Al-Qaeda concernant Bhutto…
Voici une traduction faite par l'AFP du contenu de la conversation téléphonique qu'auraient échangée, vendredi 28 décembre 2007, un haut responsable d'Al-Qaeda, Baitullah Mehsud, et un autre militant du réseau, que le ministère pakistanais de l'Intérieur dit avoir interceptée après l'attentat contre Benazir Bhutto.
Maulvi Sahib (MS) – Asalam Aleikum ! ( La Paix soit avec vous !)
Baitullah Mehsud (BM) – Waleikum Asalam ! (Et avec vous aussi !)
MS – Chef, comment allez-vous ?
BM – Je vais bien
MS – Félicitations, je viens juste de revenir cette nuit.
BM – Félicitations à vous, étaient-ce nos hommes ?
MS – Oui, c'étaient les nôtres.
BM – Qui étaient-ils ?
MS – Il y avait Saeed, il y avait Bilal de Badar et Ikramullah.
BM – Ces trois là l'ont fait ?
MS – Ikramullah et Bilal l'ont fait.
BM – Alors félicitations.
MS – Où êtes-vous ? Je veux vous rencontrer.
BM – Je suis à Makeen (une ville de la région tribale du Waziristan du sud), passez, je
suis dans la maison d'Anwar Shah.
MS – D'accord, je viendrai.
BM – N'informez pas leur maison pour le moment.
MS – D'accord.
BM – Cela a été un formidable effort. C'étaient vraiment de braves garçons ceux qui
l'ont tuée.
MS – Mashallah (Dieu merci). Quand je viendrai, je vous donnerai tous les détails.
BM – Je vous attendrai. Félicitations, encore une fois félicitations.
MS – Félicitations à vous.
BM – Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?
MS – Merci beaucoup.
BM – Asalaam Aleikum.
MS – Waaleikum Asalaam.
(Agence France-Presse, Islamabad, 28 décembre 2007)
II – Interception téléphonique : menace terroriste contre la tour Eiffel…
Les autorités portugaises de l'aviation ont intercepté, jeudi dernier, une conversation sur une éventuelle attaque contre la tour Eiffel à Paris, en France, ont rapporté vendredi les médias portugais. Le centre aérien de Santa Maria a intercepté, jeudi matin, cette conversation concernant une attaque contre la tour Eiffel, sur une radio à ondes courtes, a fait savoir la police locale. Les autorités portugaises concernées ont immédiatement prêté attention à la situation et ont informé leurs homologues françaises, qui sont en train d'identifier les suspects impliqués dans cette conversation téléphonique, grâce aux services de surveillance du territoire. Cette conversation « vague et confuse » a mis en alerte les autorités portugaises et françaises concernées, du fait que des messages similaires ont également été interceptés sur Internet ces derniers jours, révélant une possible attaque terroriste contre Paris, selon des informations.
(Xin-hua, le 11-01-2008)
III – Charles Taylor s’adressait directement au RUF, grâce à un émetteur-récepteur…
Varmuyan Sherif a fait valoir qu’en tant que haut responsable de la sécurité au palais présidentiel, à la fin des années 1990, il était au courant d’une pièce secrète où se trouvait une radio dont se servait Charles Taylor pour communiquer directement avec les rebelles du RUF, en Sierra Leone.
(La voix de l’Amérique, le 09-01-2008)
IV – Incident naval entre US Navy et marine iranienne : les menaces pourraient être l’œuvre d’un « mauvais plaisant »…
Un journal américain affirme que des bateaux iraniens pourraient ne pas être les auteurs du message radio menaçant parvenu aux bâtiments de guerre américains dans le détroit d'Ormuz, le 6 janvier dernier. Selon l'hebdomadaire Navy Times , il pourrait s'agir d'une mauvaise plaisanterie. La semaine dernière, le gouvernement américain a diffusé un reportage vidéo montrant cinq vedettes de la Garde révolutionnaire iranienne tournant autour de bâtiments américains, dans le détroit d'Ormuz, ainsi qu'un message radio menaçant de faire sauter les bateaux américains. Les États-Unis ont critiqué Téhéran pour l'incident, qualifié d'acte de provocation. La partie iranienne a alors protesté en affirmant que le message était un faux. Dans son édition de dimanche, le Navy Times souligne la possibilité que ces menaces aient émané en fait d'un mauvais plaisant, et non pas des vedettes iraniennes. Le Navy Times ajoute que ce genre d'incident se produit souvent au Moyen-Orient.
(Radio Japon international, le 15-01-2008)
V – Les radios kenyanes sous surveillance…
Le chef de la police kenyane a ordonné la surveillance des ondes radio pour s’assurer qu’elles ne diffusent pas de messages d’incitation à la violence.
(Médi-1, le 12-01-2008)