Quand des espionnes racontent…
Éric DENÉCÉ
Journaliste à M le magazine du Monde, Chloé Aeberhardt, en collaboration avec Aurélie Pollet (illustrations), vient de réaliser pour Arte une mini-série sur les femmes et l’espionnage, visionnable sur le site de la chaine TV[1].
Chloé Aeberhardt, n’en est pas à sa première production en matière de renseignement puisqu’elle a déjà publié plusieurs articles sur le sujet, qu’elle a participé à la rédaction d’un rapport de recherche intitulé Des femmes dans le renseignement belge : un défi permanent (publié par le CF2R[2]) et qu’elle est surtout l’auteure d’un ouvrage remarqué consacré aux femmes dans le renseignement pendant la Guerre froide, Les espionnes racontent (Robert Laffont, 2017[3]).
Dans le cadre de ce livre, Chloé Aeberhardt a pu rencontrer des professionnelles occidentales et communistes du renseignement et leur donner la parole afin de mettre en lumière le rôle important et méconnu joué par les femmes pendant cette période, loin du mythe de Mata Hari et du cliché de la séductrice qui prévaut aujourd’hui encore lorsqu’on évoque « l’espionnage » au féminin
Cinq ans d’enquête, de Paris à Washington, de Londres à Genève et de Moscou à Tel-Aviv, ont été nécessaires pour convaincre ces ex de la CIA, du KGB, de la Stasi, de la DST et du Mossad de lui raconter leur parcours et leur ressenti dans ce monde dominé par les hommes.
Les révélations recueillies lors de ces rencontres sur le rôle joué par ces femmes sont passionnantes : pénétration du gouvernement d’Allemagne de l’Ouest par la Stasi, lutte contre les réseaux du KGB en France, traque des anciens nazis en Amérique du Sud, exfiltration des juifs falachas d’Éthiopie vers Israël dans les années 1980, poursuite de Noriega au Panama, etc.
L’exemple de Ludmila (pseudonyme), la Soviétique, et de son mari, est particulièrement édifiant. C’est l’histoire véridique et passionnante d’un couple d’officiers de la « Ligne S » (clandestins) du KGB, implanté en Argentine dans les années 1960 pour y créer un réseau local de renseignement et surtout, afin de parfaire leur « légende » dans la perspective d’une infiltration ultérieure aux Etats-Unis… qui n’eut jamais lieu. Il met remarquablement en lumière la manière dont le service soviétique formait ses agents illégaux, les obligeait se marier et à vivre entre eux, leur construisaient un passé capable de résister à toute vérification policière, etc. Il révèle aussi la façon dont ces clandestins opéraient dans des pays « hostiles ».
Au-delà d’une extraordinaire opération d’infiltration, ce récit est aussi une très intéressante histoire de couple « d’espions », dont les enfants ne découvriront la vraie nationalité et la véritable activité de leurs parents que lors de leur arrestation. En effet, Ludmila et son mari sont « tombés », non pas parce qu’ils ont commis une erreur, mais parce que l’un des officiers du KGB chargé de gérer les clandestins travaillait pour le Secret Intelligence Servicebritannique et les a dénoncés : il s’agissait d’Oleg Gordievsky, l’un des plus hauts gradés du KGB à avoir trahi pour les Occidentaux[4].
Ce sont les entretiens exceptionnels que Chloé Aeberhardt a réalisé dans le cadre de ce livre qui viennent d’être mis en image, donnant vie aux femmes hors du commun qu’elle a rencontrées lors de la rédaction son ouvrage. Racontée de manière très vivante à la première personne, chacun des épisodes est consacré à l’une d’entre elles et à son rôle pendant la Guerre froide.
Une série de portraits réalistes et passionnants sur la vie des femmes dans le dans la guerre secrète. Et sur le rôle capital qu’elles y jouent : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017940/les-espionnes-racontent/
Présentation de la mini-série au format pdf :