Covid-19 et rapatriement de ressortissants : la probable infiltration de djihadistes
Mounir ABI
En 2016, l’Europe a été prise d’assaut par un flux important de migrants arrivant du Proche-Orient, dont l’Irak et la Syrie. Les capitales de certains pays, dont Moscou et Damas, avaient alerté l’Europe contre l’infiltration de djihadistes parmi les migrants. Des spécialistes de la lutte antiterroriste n’ont, malheureusement, pas accordé d’importance aux alertes.
L’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic avait ainsi expliqué qu’une organisation comme l’État islamique (Daech) n’avait pas « besoin techniquement » d’envoyer des « combattants » mélangés avec les migrants, étant donné qu’elle disposant d’éléments recrutés localement en Europe. Les attentats de Paris et de Saint-Denis, commis le 13 novembre 2015, ont contredit l’ex-juge puisque les autorités européennes en charge de la lutte contre le terrorisme ont précisé que nombre des attentats avaient été perpétrés par des djihadistes de Daech revenus en Europe avec les migrants.
Il ne serait pas étonnant que les terroristes, qui ne s’encombrent pas de scrupules, exploitent la propagation du covid-19 pour tenter de se redéployer dans le monde, notamment après leur échec en Irak et en Syrie. Le 17 mai 2019, Interpol et Europol ont publié un document reconnaissant que les terroristes de Daech avaient commencé à s’infiltrer en Europe via les filières d’immigration clandestine. Le rapport considère cette évolution comme « préoccupante ».
Totuefois, en mars 2020, Daech a déconseillé à ses combattants de se rendre en Europe, durement frappée par l’épidémie. Ce qui veut dire que les terroristes vont tenter de se rendre ailleurs pour fuir l’Irak. Il ne faut donc pas exclure la possibilité que les djihadistes tentent d’exploiter le rapatriement de ressortissants par divers pays d’Afrique et d’Asie pour s’infiltrer parmi eux. Le cas de l’Algérie en est un bon exemple.
L’exemple de l’Algérie
Dans le cadre de la crise liée au coronavirus, Alger vient de procéder au rapatriement de 1 788 ressortissants bloqués à Istanbul, en Turquie, suite à la suspension des liaisons aériennes internationales afin de réduire les risques de la propagation de la pandémie. « Les rapatriements ont débuté vendredi 3 avril et vont durer trois jours » a indiqué un communiqué du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales.
Fin mars, le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune avait annoncé le déclenchement imminent du rapatriement des Algériens bloqués en Turquie : « Dans deux ou trois jours, nous entameront le rapatriement de ces ressortissants, graduellement, suivant la libération des structures réservées à la mise en quarantaine. (…) Cette procédure concernera, au début, les familles en attendant la vérification de l’identité d’autres personnes ». Le Président avait également rappelé que l’Algérie avait déjà organisé, les 20 et 21 mars, « en dépit de la fermeture de l’espace aérien », des opérations de rapatriement de 1 800 citoyens à partir de la Turquie.
L’Algérie avait été alors accusée de négligence pour le délai mis à rapatrier ses ressortissants bloqués à Istanbul. Le 26 mars, le ministère algérien des Affaires étrangères répondit aux accusations en expliquant que ce retard s’expliquait par la nécessaire « confirmation de l’identification d’un grand nombre d’entre eux ». Le ministère fit savoir qu’« un nombre grandissant chaque jour » d’Algériens désiraient rentrer au pays depuis la Turquie, ce qui « ne manque pas de susciter des interrogations, d’autant plus que la plupart d’entre eux ne présentent ni document de voyage, ni passeport ».
En clair, cela signifie que l’Algérie craint l’infiltration de djihadistes parmi les ressortissants bloqués à Istanbul. Certes, certains d’entre eux sont véritablement en détresse et, chose incontestable, ont le droit d’être rapatriés dans les meilleurs délais. Mais Alger a également le devoir d’empêcher les terroristes de Daech de profiter de cette opération pour accéder au pays. Une source proche du ministère des Affaires étrangères a fait part de l’existence de 160 cas douteux – ne disposant ni de passeport ni d’un autre document de voyage – parmi les personnes exigeant leur retour.
L’Algérie a rapatrié nombre de ses ressortissants de divers pays, dont la France Le problème de la vérification de l’identité réelle de certains d’entre eux ne s’est posé qu’avec la Turquie. D’où l’alerte. L’Algérie connait le rôle joué par le président turc Erdogan dans le soutien aux djihadistes contre Damas. Les services de renseignement algériens ont également tiré les leçons de l’infiltration des terroristes parmi les migrants en partance vers l’Europe en 2016. De plus, ils se souviennent que des individus n’étant pas Algériens s’étaient fait passer pour tels afin d’obtenir leur départ du camp de Guantanamo, sachant que l’Algérie ne lésinerait pas sur les efforts pour obtenir leur extradition. Toutefois, il a fallu, que des officiels se rendent sur place rencontrer ces individus afin s’assurer qu’ils soient Algériens.
Cet exemple nous rappelle que la vigilance doit être de mise contre les stratégies des terroristes, lesquels cherchent toujours à s’infiltrer dans les pays qu’ils ciblent afin d’y commettre leurs méfaits.