Pakistan : mort du leader des taliban pakistanais
Alain RODIER
Le 5 août 2009, un drone Predator américain a pris pour cible une habitation située dans le village de Zangarha, à 15 kilomètres au nord-est de Ladha, dans la province du Sud Waziristan, au Pakistan. Cette maison était celle du dignitaire religieux Malik Ikramuddin, le père de la deuxième épouse de Baitullah Mehsud [1], considéré comme le leader du mouvement des taliban pakistanais ( Tehrek-e-Taliban Pakistan /TTP [2]). Ce bombardement aurait eu lieu suite à des renseignements fournis par les services pakistanais à leurs homologues de la CIA et aurait causé la mort de Baitullah Mehsud, de son épouse et de sept de ses fidèles.
Dès le lendemain, selon le rituel musulman, la dépouille du leader taliban aurait été mise en terre dans le village voisin de Narghasi. A noter que le leader taleb pakistanais avait déjà fait l'objet de deux autres frappes de Predators de la CIA [3] qui s'étaient avérées infructueuses, en dehors des pertes collatérales alors occasionnées. Depuis, la tête de Baitullah Mehsud avait été mise à prix pour 5 millions de dollars par les Américains et pour 615 000 dollars par Islamabad.
Une succession difficile
Le conseil consultatif du mouvement des taliban pakistanais, qui regroupe treize factions distinctes d'islamistes radicaux, a commencé des négociations le vendredi 7 août afin de désigner un successeur parmi différents prétendants qui avaient accepté la tutelle de Baitullah Mehsud. Certains de ces derniers auraient commencé à s'entre-déchirer.
Le mieux placé dans la famille du défunt semble être Hakeemullah Mehsud – alias Zulfikar Mehsud – un de ses cousins et plus proches collaborateurs qui dirige les opérations militaires dans les provinces d'Arakzai, de Kurram et de Khyber. Depuis la fin de l'année 2008, il serait le responsable de la destruction de plus de 700 camions et containers de l'OTAN qui transitent par le Pakistan pour rejoindre l'Afghanistan. Sur le plan opérationnel, il est considéré comme le chef de guerre pakistanais le plus efficace à l'heure actuelle.
Son challenger direct est l'un de ses cousins, Qari Hussain, qui est un chef de guerre redouté localisé au Sud Waziristan. Il était également considéré comme un adjoint direct de Baitullah Mehsud. Sa spécialité serait le recrutement et l'entraînement d'enfants rendus « volontaires » pour commettre des attentats suicide. Une de ses « nurseries pour kamikazes » a été détruite par l'armée pakistanaise en 2008.
D'autres leaders militaires taliban sont également sur les rangs pour cette succession :
– Hakim Ullah qui serait un des proches de l'ancien leader des taliban plus particulièrement chargé de la programmation des attentats-suicide.
– Hafiz Gul Bahadar serait le responsable du TTP pour le Nord Waziristan. C'est un chef respecté des taliban pakistanais qui entretient d'étroites relations avec ses homologues afghans et Al-Qaida.
– Faqir Mohammad, chef du Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi (TNSM) qui était l'adjoint direct de Baitullah Mehsud.
– Wali-ur-Rehman est l'ancien porte-parole du TTP. Il est le chef du Jaish-e-Islami (JI) Pakistan, anciennement Laskhar-e-Islam (LeI), un groupe qui a fait allégeance aux taliban pakistanais. Il serait le principal opposant à Hakeemullah Mehsud pour prendre la succession du leader défunt du TTP.
Un succès pour Washington et Islamabad
Incontestablement, la mort de Baitullah Mehsud est un succès pour les Américains. En effet, cet ancien combattant internationaliste soutenait les taliban afghans dont il avait été un disciple. En effet, dans les années 1990, il a combattu aux côtés du légendaire Jalaluddin Haqqani et a rencontré à plusieurs reprises le mollah Omar, le chef spirituel des taliban afghans. En retour, il leur offrait une zone de repli sûre dans les zones tribales pakistanaise que ses hommes contrôlaient. Il a créé son propre mouvement en 2004.
Pour sa part, Islamabad n'est pas mécontent de la disparition de cet opposant farouche au régime qui est suspecté d'avoir commandité l'assassinat de Benazir Bhutto le 27 décembre 2007. Toutefois, Baitullah Mehsud a toujours démenti cette accusation. Pour donner le change, le gouvernement pakistanais continue à condamner « énergiquement » les frappes aériennes américaines qui « violent le territoire national ».
Un éclatement du mouvement des taliban pakistanais permettrait au pouvoir en place à Islamabad de reprendre l'avantage militaire durement acquis – et toujours fragile – dans la vallée de Swat sur les forces dirigées par Maulana Fazlullah (qui n'appartient pas au TTP). Par contre, cela ne signifie pas que les violences vont s'arrêter. Elles risquent même de s'en trouver exacerbées, certains islamistes radicaux pakistanais étant encore plus haineux et violents que Baitullah Mehsud. Afin de tenter de contrer cette menace, une offensive militaire d'envergure pourrait être déclenchée dans le Sud Waziristan d'autant que des troupes y ont été amassées depuis juin dernier.
- [1] La première épouse de Baitullah Meshud lui a donné trois filles. Afin d'assurer une descendance « digne » selon les coutumes locales, il lui fallait avoir un fils. C'est pour cette raison qu'il s'est marié une deuxième fois en novembre 2008.
- [2] L'union des factions islamiques radicales pakistanaises s'est constituée en juillet 2007 après le siège de la Mosquée Rouge à Islamabad. Baitullah Mehsud, alors à peine âgé de 33 ans, a pris en décembre 2007 la tête du conseil consultatif, l'organe dirigeant de cet mouvement qui regrouperait plus de 20 000 combattants (sans compter les dizaines de milliers de sympathisants qui apportent leur soutien logistique). Les taliban pakistanais sont responsables de la mort de plus de 2 000 personnes, principalement tuées lors d'attentats suicide.
- [3] Depuis le début de l'année, les Américains ont procédé à 32 frappes air-sol dont 19 au Sud Waziristan.