Nigeria : situation a l’été 2009
Alain RODIER
En juillet 2009, des renseignements concordants étant parvenus aux autorités nigérianes affirmant que le mouvement islamique à caractère sectaire Boko Haram était en train de s'armer, elles ont lancé une vaste opération de ratissage dans les provinces nord du pays. En représailles, des bandes armées dépendant de ce mouvement sont passées à l'offensive dans quatre provinces : Bauchi, Yobe, Borno et Kanoare. Les insurgés s'en sont pris à des postes de police et de douanes, à des bâtiments publics et à la minorité chrétienne, particulièrement en incendiant des églises. Début août, le nombre des victimes de part et d'autre se comptait par plusieurs centaines (800 selon les chiffres officiels vraisemblablement sous-évalués). L'explication du grand nombre de tués provient de deux facteurs : les insurgés étaient pauvrement armés et n'ont pu s'opposer efficacement aux forces de sécurité ; de nombreux prisonniers ont été abattus arbitrairement.
Le mouvement islamique Boko Haram
Boko Haram veut dire en dialecte Haoussa « l'école est un péché ». Ce mouvement était dirigé par Ustaz Mohammed Youssouf de l'ethnie Kanuri depuis 2002. Cet homme de 39 ans avait fait des études religieuses à la mosquée de Maiduguri, dans l'Etat de Bono, avant de créer son propre dogme : le « Youssoufia ». Le 30 juillet, c'est dans cette même localité qu'il a été arrêté avant d'être abattu par la police, officiellement en tentant de s'enfuir.
Bien que la loi islamique soit déjà en vigueur dans les douze Etats [1] du nord, peuplés majoritairement de musulmans, le Boko Haram veut encore aller encore plus loin. Se revendiquant ouvertement des taliban, il souhaite que les minorités chrétiennes et les adeptes des cultes ancestraux animistes se convertissent ou quittent la région. En cas de refus, leurs membres doivent être exterminés.
Ces luttes religieuses doublées de problèmes ethniques endémiques [2] ne sont pas nouvelles et ont fait des dizaines de milliers de morts dans les années passées. Elles sont alimentées par le prosélytisme auquel se livrent les radicaux musulmans financés par des riches sponsors proche-orientaux auquel il convient d'opposer celui pratiqué par les églises évangéliques d'origine anglo-saxonnes [3]. Elles sont alimentées par le fait que bien que le pays soit le huitième producteur de pétrole mondial et qu'il possède de vastes réserves de gaz, 40% de la population vit avec moins d'un dollar par jour ! De plus, la situation sanitaire du Nigeria est catastrophique, le sida et les maladies infectieuses graves, dont le choléra, y font de nombreuses victimes.
Le président Umaru Yar'Adua, qui a succédé à Ulasegun Obasanjo en mai 2007, a bien tenté de renverser la tendance ; mais la corruption est telle au sein de toute la chaîne administrative et sécuritaire qu'il est resté impuissant jusqu'à maintenant. Il en résulte que le Nigeria est toujours un des Etats les plus dangereux d'Afrique.
Implication éventuelle d'Al-Qaida
Il n'est pas aujourd'hui formellement prouvé que le Boko Haram ait tissé des liens organiques avec Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Toutefois, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien – qui est l'ancêtre d'AQMI – a créé dans les années 2002 une « brigade du Sahara », stationnée dans les montagnes du Tibesti au nord du Tchad. Cette unité aurait eu des contacts avec des associations et des confréries religieuses islamiques nigériennes. Ces dernières se sont considérablement développées dans la région de Zinder au sud du pays d'où elles entretiendraient des relations avec ses homologues nigérianes. En raison de ces connexions, les violences religieuses pourraient se propager depuis le nord du Nigéria jusqu'au Sahel, où AQMI est très présent. Par contre, le Boko Haram n'entretient pas de relations avec le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) qui est responsable de la plupart des violences qui ont lieu depuis 2006 dans le sud du pays, particulièrement contre les installations pétrolières.
Par ailleurs, trente activistes appréhendés fin août dans l'Etat d'Adamawa (est du pays) auraient avoué avoir subi un entraînement en Afghanistan. Le groupe a été arrêté en deux temps. Cinq individus qui venaient au ravitaillement dans la ville de Yola, la capitale de l'Etat d'Adamawa, ont attiré l'attention des forces de police qui les ont appréhendés. L'interrogatoire des suspects a permis de mener les forces de sécurité à une cache voisine où se trouvait le reste du groupe qui, épuisé, s'est rendu sans opposer de résistance. Cependant, la sincérité des leurs aveux est sujette à caution.
Il n'en reste pas moins que le Boko Haram ne semble pas avoir bénéficié d'une aide logistique importante de la part d'Al-Qaida. L'armement saisi est rudimentaire et les militants ne paraissaient généralement pas avoir été sérieusement formés au combat de guérilla. Surtout, aucun combattant étranger n'a été exhibé (vivant ou mort) par les forces de sécurité. Comme dans de nombreux autres cas, le soutien semble avoir été plus idéologique et moral qu'opérationnel.
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Malgré la mise en alerte maximale des forces de sécurité décrétée par le président nigérian fin juillet 2009, la situation dans le pays est toujours jugée préoccupante par les observateurs internationaux. Cependant, il semble que le Boko Haram ait cessé d'exister en tant que mouvement armé constitué. Si le pays reste extrêmement dangereux, la menace provient désormais plus du MEND, de groupes armés criminels et de la corruption de nombre de fonctionnaires.