Afghanistan : le Mollah Abdul Ghani Baradar, chef opérationnel des Talibans ?
Alain RODIER
Né vers 1968 dans le village de Weetmak du district de Dehrawood de la province d'Uruzgan, le mollah Abdul Ghani Baradar – alias mollah Baradar Akhund – appartient à la tribu pachtoune Popalzaï. Il est décrit comme ayant un esprit relativement ouvert (en comparaison avec d'autres leaders taliban), calme, s'ingéniant à écouter les avis des différents responsables avant de prendre toute décision. Ce portrait ressemble étrangement à celui qui a été fait de Ben Laden par certains de ses disciples.
Abdul Ghani Baradar est un compagnon de la première heure du mollah Omar. Malgré son jeune âge, il a combattu à ses côtes lorsque les Soviétiques occupaient l'Afghanistan. C'est au cours de ce conflit que le mollah Omar a perdu son œil droit. Ensuite, avec lui, il s'est révolté contre les chefs de guerre afghans qui avaient mis le pays en coupe réglée. Lorsque le mollah Omar a établi son QG à Kandahar, il est devenu son plus proche conseiller. Parallèlement, il avait été investi de la responsabilité des opérations militaires dans l'ouest de l'Afghanistan, en tant que ministre de la Défense adjoint des taliban, avant de prendre le commandement de la région de Kaboul. En novembre 2001, la légende dit que ce serait lui qui aurait exfiltré le mollah Omar sur sa motocyclette alors que les Américains commençaient le bombardement de la région de Kandahar. Bien qu'il l'ait démenti, certaines rumeurs prétendent que Baradar serait également un des beaux-frères du mollah Omar.
Curieusement, le mollah Baradar a peu défrayé la chronique par le passé. Toutefois, il est connu des services spécialisés puisqu'il fait l'objet d'une fiche de recherche de la part d'Interpol. Il semble que, comme son maître, il privilégie la discrétion. Par exemple, aucune photo publique de lui n'est disponible.
Baradar a toujours vécu dans l'ombre de son chef, le mollah Omar. Cependant, ce dernier n'ayant donné aucun signe de vie depuis trois ans, il semble que Baradar assume maintenant le commandement opérationnel direct des taliban afghans. Ainsi, ce serait lui qui aurait ordonné aux chefs taliban de la province d'Helmand – laquelle fait l'objet d'une vaste offensive américaine depuis début juillet 2009 – de refuser tout affrontement frontal quitte à perdre du terrain, de manière à éviter au maximum les pertes. Il a tout à fait conscience de la supériorité tactique et logistique des forces coalisées. Le seul moyen qu'il préconise pour y répondre est d'intensifier des actions de guérilla.
En tant que chef du conseil consultatif (Shura) des talibans afghans établi à Quetta au Pakistan, c'est lui qui désignerait aujourd'hui les commandants et les gouverneurs taliban ; il dirigerait également les opérations militaires, politiques, religieuses et financières du mouvement. A cette fin, il aurait fait éditer un livret intitulé Les règles de l'émirat islamique d'Afghanistan pour les moudjahiddines. Ce document qui comporterait 13 chapitres et 67 articles demanderait notamment à limiter les attentats suicide de manière à éviter les pertes civiles inutiles et à interdire toute création d'une nouvelle unité taleb si elle n'a pas reçu l'aval de la Shura. Une telle centralisation du commandement aurait été voulue par le mollah Omar en personne.
Par mesure de sécurité, le mollah Baradar ne séjournerait pas longtemps au même endroit. Par contre, il se rendrait assez souvent à Karachi, mégapole pakistanaise qui sert de base logistique majeure aux taliban. Malgré la surveillance des communications effectuée par les Américains, il utiliserait parfois un téléphone portable dont il changerait la carte SIM afin de ne pas être repéré.
Nul ne sait si le mollah Omar est encore de ce monde. Baradar affirme que oui et se dit être le simple exécutant des volontés de son mentor. Il est vrai que dans le passé, le mollah Omar a généralement eu davantage un rôle spirituel que temporel, laissant la conduite des opérations à ses nombreux lieutenants. Il est donc possible qu'il reste en retrait en appuyant son conseiller de toute son autorité morale. Par conséquent, Baradar est désormais devenu l'homme à abattre pour les forces de la coalition présentes en Afghanistan.
Son principal défi actuel est d'unifier les différents groupes taliban sous un commandement unique. En effet, les chefs de guerre ont toujours veillé jalousement à leur autonomie, contrôlant chacun leurs territoires respectifs. Des rumeurs laissent entendre que certains responsables jugés trop indépendants auraient été indirectement « donnés » aux forces coalisées, pour que ces dernières les fassent taire. Les deux seules forces importantes encore capables de s'opposer à cette centralisation du commandement semblent être le réseau Haqqani et les troupes d'Hekmatyar.