La familia mexicaine : Une nouvelle organisation criminelle
Alain RODIER
En juillet 2009, suite à l'arrestation de Arnoldo Rueda Medina, un des principaux responsables de la Familia Michoacana , cette organisation criminelle mexicaine a déclenché une série d'attaques meurtrières contre les forces de police fédérales et l'armée.
Ainsi, le 14 juillet, douze agents (onze hommes et une femme) ont été assassinés et leurs corps mutilés déposés en tas le long d'une autoroute de montagne. Deux messages étaient laissés avec les corps : « voyons si vous essayez d'arrêter un autre des nôtres » et « rejoignez la Famille ou partez ! ». Le 11 juillet, le jour même de l'arrestation de Rueda Medina, l'organisation avait attaqué simultanément huit objectifs policiers et militaires dans la province de Michoacan. Deux policiers et trois militaires avaient été tués au cours de ces actions.
Une organisation criminelle ultra violente
Ce mouvement s'est fait connaître lorsque le 6 septembre 2006, une vingtaine de ses hommes a effectué une descente dans une boîte de nuit de Uruapan, dans la province de Michoacan. Après avoir tiré de nombreux coups de feu en l'air, cinq têtes décapitées ont été balancées sur la piste de danse accompagnées des messages suivants : « la Famille ne tue pas pour de l'argent. Elle ne tue pas de femmes. Elle ne tue pas des innocents, mais seulement ceux qui l'ont mérité. Sachez que c'est la justice divine ». Les victimes avaient été décapitées la veille, au poignard.
Cette organisation criminelle forte d'environ 9 000 membres, majoritairement originaires de la province de Michoacan, dépasse toutes ses homologues mexicaines dans l'horreur. Si ses membres utilisent couramment des armes à feu modernes, ils font preuve d'une véritable prédilection pour les assassinats sauvages, souvent accompagnés d'actes de torture. C'est ainsi qu'ils ont généralisé les décapitations à l'arme blanche et les étouffements pratiqués à l'aide de sacs en plastique. Les cadavres sont ensuite abandonnés bien en vue, accompagnés de messages écrits destinés à impressionner les autorités et la population. C'est ainsi que de nombreux membres des forces de l'ordre ont préféré démissionner car leurs noms étaient apparus comme étant les prochains sur la liste des futures victimes !
Cette organisation est également spécifique par le fait qu'elle n'est pas uniquement un cartel à l'image de ses homologues nationales. En effet, elle ressemblerait plus aux milices d'autodéfense colombiennes (AUC), regroupant en son sein des « vigilants », des membres de milices de protection rurales, des anciens policiers et militaires, des trafiquants de drogue et – c'est son originalité – des adeptes d'un mouvement chrétien de type sectaire (mouvement de la nouvelle Jérusalem). Certains de ses dirigeants s'inspireraient des écrits du pasteur américain John Eldredge qui officie à Colorado Springs.
Les chefs de la Familia sont : son fondateur, Nazario Moreno Gonzales, alias El Chayo, connu pour être le « plus fou de tous » ; Servando Gomez Martinez alias El Profe ; José de Jesus Méndez Vargas, alias El Chango ; Enrique Tlacaltepelt, alias El Kiki ; et Dionicio Loya Plancarte alias El Tio . Le porte parole de la Familia serait Servando Gomez « El Tuta ».
Historique de la Familia
Cette organisation serait née à la fin des années 1990. De nombreux membres de la Familia auraient fait partie des Zetas, un groupe paramilitaire composé d'anciens membres des forces spéciales mexicaines [1], rattaché au cartel du Golfe alors dirigé par Osiel Cardenas Guillen [2].
A l'origine, le cartel du Golfe qui contrôlait la plus grande partie de la côte Est du Mexique tentait d'étendre son influence sur la côte pacifique du pays. Pour ce faire, il avait déclenché une guerre contre les organisations criminelles qui occupaient ces territoires: le cartel du Milenio (famille Valencia), qui couvrait la province de Michoacan ; le cartel de Sinaloa [3], influent au nord du Michoacan ; et le cartel de Colima (ou de Guadalaraja) des frères Luis et Jesus Amezcua Conteras, qui avait alors la haute main sur 90% du trafic de métamphétamine.
Les membres des Zetas qui avaient été dépêchés dans la province de Michoacan pour mener cette guerre de conquête de nouveaux territoires se seraient alliés à des membres de milices d'autodéfenses locales pour créer la Familia.
En 2006, de manière à gagner son indépendance, la Familia se serait retournée contre le cartel du Golfe ainsi que contre son allié, le cartel de Juarez [4]. Elle souhaitait vivre sa propre vie en s'autofinançant grâce au trafic de méthamphétamines. En effet, cette organisation fabriquait alors cette drogue synthétique en quantité dans des laboratoires situés dans le Michoacan. Afin de commercialiser ce produit aux Etats-Unis en utilisant la voie maritime, la Familia se serait emparée du port de Lazaro Cardenas et de ses environs. Ce cartel aurait ensuite étendu son influence à l'ensemble de la région de Mexico d'où elle aurait chassé les Zetas .
En dehors de la violence extrême dont fait preuve cette organisation, une de ses caractéristiques réside dans les liens étroits qu'elle est parvenue à tisser avec la population et les autorités politiques et sécuritaires locales. Pour preuve, en mai 2009, une dizaine de maires et une vingtaine d'élus ont été arrêtées en raison des relations troubles qu'ils entretenaient avec cette organisation. Après les assassinats de juillet 2009, ce sont dix policiers locaux qui ont été appréhendés. Pour arriver à ses fins, les membres de la Familia se sont érigés en « défenseurs du peuple » face aux exactions commises par les autres cartels qu'ils accusent d'avoir soudoyé les policiers fédéraux et les membres des forces armées chargés du maintien de l'ordre. C'est pour cette raison qu'ils justifient les actions violentes dirigées contre les fédéraux considérés par eux comme totalement corrompus.
Parallèlement, ils fréquentent régulièrement les bancs des églises, distribuent à tout va des bibles et des ouvrages religieux, apportent leur aide aux paysans, construisent des écoles, ont une action sociale, etc. Certains activistes de la Familia se pavanent en uniforme et dans des véhicules semblables à ceux de la police sans être nullement inquiétés ! En échange de la « protection » qu'elle lui accorde, la population préfère payer une dîme à la Familia que de s'acquitter de l'impôt. En dehors de ce racket, la Familia se livre à toutes les sortes de trafics pratiqués par le crime organisé : drogue, armes, êtres humains, etc.
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De nombreux observateurs pensent que la Familia est constituée d'un conglomérat de plusieurs groupes criminels. Si chacun répond à une hiérarchie bien établie, ils agissent souvent indépendamment les uns des autres. Cela explique que certaines opérations aient été attribuées à la Familia, puis qu'elles aient été ensuite démenties. C'est le cas de l'attaque à la grenade qui a fait huit victimes le 15 septembre 2008 à Morelia. Cette compartimentation structurelle explique le mal qu'ont les autorités fédérales mexicaines à lutter contre ce qui semble être une sorte de nébuleuse criminelle. Certains cartels bien connus utilisent peut-être également cette appellation pour égarer les enquêteurs. Il n'en reste pas moins que la Familia a réussi à se faire de nombreux ennemis au sein des organisations concurrentes. Ainsi, le cartel de Golfe a officiellement mis à prix la tête des leaders les plus connus de la Familia . A n'en pas douter, les actes de violence dus à la guerre des gangs vont perdurer. Les autorités mexicaines, elles sont malheureusement mal armées – au sens propre comme au figuré – pour espérer remporter une victoire significative sur le crime organisé.