L’accord conclu entre les Américains et les taliban le 29 février est bien fragile
Alain RODIER
Les États-Unis, représentés par l’ancien ambassadeur américain – d’origine afghane – Zalmay Khalizad, cornaqué par le secrétaire d’État Mike Pompeo, ont signé avec le mollah Abdul Ghani Baradar -numéro deux des taliban -, samedi 29 février, un accord à Doha (Qatar), en présence d’observateurs afghans, pakistanais et indiens. Cette signature a été saluée par des « Allahu akbar » lancés par la délégation des taliban ce qui démontre qu’ils considèrent – même s’ils n’ont pas encore gagné la guerre -, que la première puissance mondiale l’a perdue. Haibatullah Akhundzada, l’émir des taliban afghans, ne s’est pas gêné pour proclamer la « victoire au nom de l’ensemble de la nation musulmane et des moudjahiddines ».
Cette cérémonie avait été précédée d’une semaine de « réduction de violence » – et non par un cessez-le-feu -, qui avait été globalement respectée[1]. Mais dès le 1er mars, les chefs locaux taliban ont reçu de la choura (organe de commandement) l’instruction de reprendre les opérations anti-gouvernementales.
Un accord d’une portée limitée
Les négociations discrètes qui avaient eu lieu depuis 2018 sous l’égide du Qatar ont fini par aboutir à cette signature qui, répétons-le, n’est pas un « accord de paix » mais un « accord » entre les Américains et les taliban. Le président Donald Trump veut absolument tenir sa promesse de ramener les Boys à la maison avant la prochaine présidentielle de novembre. Il en reste aujourd’hui 12 000 militaires américains en Afghanistan, 5 000 devant quitter le pays avant fin mai prochain. Un premier contingent devrait symboliquement partir ces jours-ci. Au bout du compte, il ne devrait pas rester une « botte US sur le terrain » en mai 2021.
En échange, les taliban se sont engagés – pour eux comme pour d’autres groupes présents en Afghanistan – à ne pas attaquer les intérêts américains (en rappel de ce qui s’était passé le 11 septembre 2001) et à combattre Daech et Al-Qaïda. Sur ce dernier point, il semble que Washington se trompe sur le contenu des déclarations des taliban qui n’ont pas l’intention de s’en prendre à Al-Qaïda dont le chef, Al-Zawahiri, a fait allégeance à Haibatullah Akhundzada comme Oussama Ben Laden l’avait fait vis-à-vis de son prédécesseur, le mollah Omar.
Pour Washington, cet accord fait partie d’un processus beaucoup plus large qui est une « opportunité offerte » pour amener à la table des négociations – sans doute à partir du 10 mars – les taliban, le pouvoir en place à Kaboul – le président Ashraf Ghani – et tous les responsables politiques, dont Abdullah Abddullah qui est en conflit ouvert avec Ghani.
Ainsi, les Américains vont se désengager graduellement après la plus longue guerre de leur Histoire qui vu 2 448 GI’s tués[2]. Ils ont obtenu la promesse que les taliban ne nuiraient pas à leurs à l’avenir, comme cela avait été le cas lorsqu’ils abritaient Oussama Ben Laden. Mais tout reste à faire dans la réorganisation de l’Afghanistan et les acteurs nationaux et – les pays voisins – ont des intérêts divergents. Pour parvenir à ce premier résultat, toutes les parties auraient consenti d’importants efforts pour parvenir à un compromis. Certains analystes avancent toutefois qu’il s’agit surtout de « gros mensonges » dont personne n’est dupe sauf la presse internationale.
Le double-jeu des taliban
Les taliban tiennent un double discours. L’un est destiné à l’extérieur, affirmant qu’ils acceptent de parler au gouvernement de Kaboul alors que tous les soldats étrangers n’ont pas quitté le sol afghan ; l’autre est destiné à leurs propres troupes et appelle à la victoire militaire. Il y a fort à parier que c’est cette deuxième version qui traduit la véritable pensée des taliban et que leur objectif final demeure inchangé.
Le président afghan Ghani, resté à Kaboul, a dû être rassuré par le secrétaire à la Défense américain Mark T. Esper qui avait été dépêché à ses côtés pour lui assurer que l’armée américaine continuerait à aider son homologue afghane et que si les taliban n’honoraient pas leur parole, « les États-Unis n’hésiteraient pas à annuler l’accord ». Personne ne dit si Ghani a cru à cette promesse ou s’il s’est rappelé l’histoire du président Najibullah, abandonné par les Soviétiques en 1989, puis assassiné par les taliban lors de leur prise de Kaboul en 1996.
Le premier « couac » est venu de Ghani lorsqu’il a affirmé que la libération de 5 000 prisonniers – en échange de la libération de 1 000 détenus par les taliban – avant le début des négociations avec les taliban n’était pas envisageable. Cela ne pourrait être discuté qu’au cours de ces négociations. Les taliban ont immédiatement réagi en déclarant que l’accord signé n’était pas respecté par Kaboul… La deuxième entorse à l’accord est le fait que Sirajuddin Haqqani, le chef militaire des taliban afghans, n’a pas renoncé à sa proximité avec Al-Qaïda. Pour mémoire, les principaux leaders de cette « nébuleuse » reconnaissent Akhundzada et Haqqani comme leurs « émirs ». Dès les années 1980, Jalaluddin Haqqani, le père de Sirajuddin, était un des premiers soutien et bienfaiteur de Ben Laden. Il était alors de ce que l’on appelait « réseau Haqqani ».
Le troisième « couac » s’est produit le 4 mars, lorsque les Américains ont procédé à une frappe air-sol – menée par un drone – dans la province d’Helmand, visant des éléments taliban qui attaquaient une position afghane[3]. Cette frappe qualifiée de « défensive » ne présage rien de bon pour l’avenir.
Les groupes islamiques plus ou moins liés à Al-Qaïda ne s’y trompent pas. Ainsi, la katiba ouzbèke Imam al Boukhari, active en Syrie et en Afghanistan, a adressé ses « félicitations » aux taliban pour la « victoire remportée contre les forces américaines et de l’OTAN », rappelant une citation du mollah Omar: « Dieu nous a promis la victoire et l’Amérique nous a promis la défaite ; nous verrons donc quelle promesse sera tenue ». Cette unité ouzbèke est proche du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), du Parti islamique du Turkestan (PIT) et du Jaamat Ansarulla, tous trois faisant partie du mouvement taleb.
[1] 19 membres des forces de sécurité et quatre civils tués, ce qui n’est pas grand-chose en Afghanistan.
[2] Sur un total de 3 592 Occidentaux dont 90 Français.
[3] 20 membres des forces de l’ordre ont été tués.