Syrie : « Aucun cas de Covid-19 en zone gouvernementale… »
Alain RODIER

Le ministre de la Santé syrien, le docteur Nizar Yazigi, a déclaré à la mi-mars : « l’armée syrienne a nettoyé la Syrie de nombreux germes et il n’y a pas de cas de coronavirus pour l’instant ». L’amalgame avec les rebelles et l’humour pour le moins douteux de cette péroraison laissent rêveur. De son côté, le représentant local de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a gardé un silence prudent sachant que toute déclaration intempestive de sa part amènerait automatiquement son expulsion du pays. Son supérieur hiérarchique, le docteur omanais Ahmad El-Maldhari, directeur régional de la zone Méditerranée orientale de l’OMS, déplore ne pas recevoir suffisamment d’informations des pays dont il est en charge.
Des chiffres sous-évalués
Il est vrai que les chiffres semblent être globalement sous-évalués, pas nécessairement volontairement, mais souvent parce que les services médicaux locaux sont déjà totalement débordés par les problèmes auxquels ils sont confrontés : les blessés, les malades, les réfugiés, etc. Les décès par coronavirus ne sont, dans cette zone, que des morts parmi tant d’autres.
En Syrie, l’information donnée par le gouvernement est évidement une pure propagande. Tous les pays aux alentours annoncent des chiffres de personnes atteintes (De plus, il y a beaucoup d’Iraniens présents dans le pays, non seulement des conseillers militaires, mais aussi de nombreux pèlerins chiites se rendant à la mosquée de Sayyidah Zaynab, au sud de Damas. Or, l’Iran est un pays très affecté avec environ 20 000 cas détectés plus 5 000 douteux, dont 1 600 morts et 7 000 guéris. La situation ne devrait d’ailleurs pas s’améliorer car le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, non seulement a refusé de se ranger aux recommandations faites par l’OMS de lever une partie des sanctions, mais il a décidé de les alourdir encore.
Accompagnant les Iraniens, il y a également beaucoup de miliciens afghans et pakistanais. Islamabad a annoncé que huit de ces derniers rentrés récemment au Pakistan ont été testés positifs au coronavirus.
Face au danger, Damas a tout de même décidé d’interdire les vols commerciaux civils en provenance d’Iran, mais la route Téhéran-Bagdad-Damas restait encore ouverte à la circulation à la mi-mars.
Enfin, on imagine le risque que représente le Covid-19 pour les populations entassées dans des camps de réfugiés – et pas seulement en Syrie -, dont une grande partie ne bénéficie pas d’aide médicale coordonnée (région d’Idlib et à l’est de l’Euphrate).
La situation sanitaire dans la région d’Idlib se dégrade
Comme l’on pouvait s’en douter, la province syrienne d’Idlib qui est sous le contrôle des rebelles syriens, dont une partie est appuyée par les forces militaires turques, est à son tour touchée par le coronavirus. Aucune information fiable ne provient des populations locales, mais on a appris que des étrangers auraient été contaminés. Cela a poussé les organisations internationales à fournir aux es « Casques blancs » un équipement sommaire de protection. Damas persiste à affirmer que la Syrie n’est pas touchée mais admet ne pas savoir ce qui se passe dans la province d’Idlib.
Le corps expéditionnaire turc, les officiers de renseignement et tous les intervenants extérieurs présents sur zone sont susceptibles d’être désormais impactés. Le 20 mars, la Turquie voisine admettait avoir détecté sur son territoire 359 cas confirmés de Covid-19 et 4 décès. Ces chiffres sont vraisemblablement fantaisistes, le pouvoir ne voulant pas montrer ses déficiences. Les seuls cas annoncés sont d’ailleurs localisés dans la moitié ouest du pays, aucun n’ayant été détecté dans l’est de l’Anatolie ni le long des frontières géorgienne, arménienne, iranienne, irakienne et syrienne. Il est raisonnable de penser qu’il n’y a pas de tests de détection dans ces régions.
Le directorat de la santé d’Idlib, l’autorité sanitaire régionale « de fait », affirme que des préparatifs sont en cours en liaison avec l’OMS. 60 lits de réanimation seraient dédiés dans les trois hôpitaux des villes de Salqin (province d’Idlib), Al-Bab et Darat Izzan (ouest de la province sous contrôle turc) pour les patients les plus atteints. Des bâtiments sont en cours de réquisition pour accueillir 28 centres d’isolement pour les malades moins touchés. Il convient de se souvenir que la province d’Idlib accueille aujourd’hui trois millions de personnes, dont plus d’un million de réfugiés qui vivent dans des conditions sanitaires épouvantables.
De l’autre côté du front, la situation ne serait pas bien meilleure. Des médias internationaux affirment depuis quinze jours que le Covid-19 aurait obligé des unités supervisées par Téhéran – milices afghanes, pakistanaises, irakiennes et Hezbollah libanais- à se retirer du front d’Idlib et que des militaires syriens seraient aussi atteints. Là également, il semble que les autorités soient dans le déni le plus complet.
Si la situation est très grave dans les pays développés comme l’Europe, la Chine ou les États-Unis – et dans une moindre mesure en Russie -, elle l’est plus encore dans les pays « en voie de développement », particulièrement dans les régions en guerre ou dénuées de tout centres de soins comme la province d’Idlib.