Iran : nouveaux sites nucléaires secrets ?
Alain RODIER
Alors que les négociations portant sur le nucléaire iranien dites « 5+1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne + Allemagne) ont officiellement abouti à un accord préliminaire conclu dans la nuit du 23 au 24 novembre 2013 – mais qui devrait être revu à la mi-2014 -, des opposants au régime apportent de nouveaux éléments sur la partie militaire du programme en cours. Ces révélations devraient être vérifiées par les inspecteurs de l'AIEA avant toute décision.
Le site « IR-10 » et la filière plutonium
Tout d'abord, il y a les plans de l'usine « IR-10 » de Chiraz, présentée en avril 2013 par Fereydoun Abbassi, l'ancien responsable de l'Agence atomique iranienne[1] comme un « nouveau réacteur de recherche, du type de celui existant à Téhéran ». D'après l'opposition, les plan obtenus laissent penser que ces installations abriteront un laboratoire qui « améliorera significativement les capacités du régime à traiter des combustibles nucléaires irradiés, y compris à séparer le plutonium » afin d'obtenir les matières fissiles nécessaires à la fabrication d'une arme nucléaire. Sur le plan ci-dessous, on distingue une succession de cellules chaudes « bien protégées des radiations » où « les scientifiques iraniens, pour la première fois, pourront acquérir l'expérience » indispensable pour séparer le plutonium afin d'obtenir une qualité militaire.
Si cette hypothèse se révèle exacte, cela signifierait que les Iraniens cherchent ainsi à obtenir une bombe par la filière plutonium (comme « Fat Man » qui a explosé sur Nagasaki en 1945), en parallèle avec leurs recherches menées sur une arme à uranium enrichi (cf. « Little Boy » largué sur Hiroshima).
Ce plutonium serait fourni par la centrale à eau lourde d'Arak (« IR-40 ») qui devrait être opérationnelle à l'été 2014 si sa mise en service n'est pas retardée par des « mésaventures » comme l'explosion mystérieuse qui aurait eu lieu à l'intérieur du site fin octobre 2013. Le procédé utilisant du plutonium est plus complexe à réaliser. A noter que la première bombe atomique française, qui a été testée le 13 février 1960 (Gerboise Bleue) à Reggane (Algérie), utilisait la filière plutonium.
Selon l'accord conclu en novembre avec le groupe « 5 + 1 », cette centrale ne devrait pas être mise en route, ce qui devrait être relativement aisé à surveiller si les inspecteurs peuvent la visiter comme c'est le cas pour Natanz et Fordow. Lors de ces négociations, l'interdiction de séparer du plutonium a aussi été signifiée à l'Iran. Mais, les Israéliens font remarquer que le non-démarrage de l'usine d'Arak ne signifie pas son démantèlement !
Le site « IR-012 » contient-il des centrifugeuses ?
Mehdi Abrichamtchi, le président la commission de la Paix et de la Sécurité du CNRI[2], a déclaré en novembre 2013 : « Aujourd'hui nous dévoilons l'existence d'un autre site nucléaire non déclaré […]. Ce site nucléaire a été construit en toute clandestinité et dissimulé dans une vaste zone militaire près de la ville d'Ispahan […] La dictature en Iran poursuit, en parallèle des projets atomiques déjà dévoilés, d'autres projets clandestins.»
Selon les informations obtenues par l'opposition iranienne, Téhéran est en train de construire des sites clandestins pour son programme d'armement nucléaire. Ces informations ont été réunies par l'Organisation des Moudjahidines du peuple d'Iran (OMPI) à l'intérieur du pays. Selon le CNRI, certaines sources se trouveraient au sein même du régime. Il affirme que les travaux du site, appelé « IR-012 », ont démarré en 2005 et que la construction de ses tunnels a été terminée en avril 2009. Le site serait sur le point d'être opérationnel. Toutefois, rien ne prouve que des centrifugeuses s'y trouvent.
Les craintes françaises rejoignent celles d'Israël et de l'Arabie saoudite
L'inquiétude sur la sincérité de la partie iranienne subsiste, surtout de la part de la France, d'Israël et de l'Arabie saoudite. En effet, si le président Hassan Rohani, élu en juin 2013, se veut rassurant, le véritable leader de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution, a revendiqué officiellement le 20 novembre le droit pour son pays à enrichir l'uranium[3] sur le sol iranien (théoriquement jusqu'à 5%) et d'achever la centrale à eau lourde d'Arak (nécessaire pour la filière plutonium). Cerise sur le gâteau, il a réaffirmé que l'Etat hébreu était « voué à disparaître ». Sémantiquement, cela ne correspond pas tout à fait au « Israël doit être rayé de la carte », propos de l'ex-président Mahmoud Ahmadinejad. A savoir que dans le premier cas, la disparition d'Israël serait « naturellement inéluctable », dans le deuxième, que l'Iran se chargerait de la besogne. Il n'en reste pas moins que cette déclaration montre que le régime des mollahs reste profondément anti-sioniste.
De plus, son interventionnisme dans la région reste extrêmement préoccupant. En effet, l'Iran est directement impliqué dans la guerre civile syrienne aux côtés du régime de Damas. A titre d'exemple, deux généraux appartenant à la force Al-Qods des pasdarans y ont perdu la vie. Plus discrètement, Téhéran soutiendrait les rébellion des tribus Al-Houthi au Yémen du Nord, dans la province de Sa'dah. Un risque d'extension de cette rébellion est possible dans la province saoudienne du Najran. Enfin, l'activisme iranien en Irak, au Bahreïn et au Liban est parfaitement connu.
Les six prochains mois devraient être révélateurs des véritables intentions de Téhéran. A savoir que l'Iran devrait démontrer sa bonne volonté en apportant les éclaircissements nécessaires sur les installations pointées du doigt par l'opposition, ne plus construire de centrifugeuses (Téhéran en déjà 18 000 dont environ la moitié devrait arrêter de fonctionner) et démanteler son stock d'uranium déjà enrichi à 20% en le ramenant sous la barre des 5%.
Si les suspicions sont infondées, alors la suite des négociations pourrait aller de l'avant. Il semble en effet que la politique des sanctions ait porté ses fruits et que les dirigeants iraniens souhaitent tout faire pour obtenir leur levée. Il en va de la survie du régime. Même les Américains, qui avaient été en pointe dans ce domaine, envisagent de les diminuer. Paradoxalement, ils avaient imposé aux pays occidentaux – dont la France -de retirer leurs entreprises – dont Peugeot et Renault – du pays. Or, Washington est en train d'installer les siennes en Iran pour accompagner le redémarrage économique du pays.
Il faut dire que depuis mars 2013, les Etats-Unis négocient discrètement, avec le régime iranien et Moscou, le retour de Téhéran sur la scène internationale. Même si le motif économico-commercial n'est pas leur premier objectif[4], les Américains souhaitent tirer parti la réouverture de ce marché prometteur. En effet, les Iraniens sont avides de technologie et les entreprises d'outre-Atlantique qui sont très en pointe dans ce domaine n'ont pas de concurrence étrangère sur le marché iranien, à l'exception de celle des Russes, qui toutefois ne jouent pas dans la même « cour ».
Les six prochains mois devraient être cruciaux pour l'évolution de la situation dans la région. L'effet domino, dans un sens comme dans l'autre, n'est pas à exclure.
- [1] F. Abbassi était régulièrement attaqué comme étant une des chevilles ouvrières du programme nucléaire militaire iranien. Il avait même échappé à une tentative d'assassinat à la bombe le 29 novembre 2010 vraisemblablement commandité par le Mossad. Le même jour, le docteur Majid Shahriari, un autre expert nucléaire, n'avait pas eu cette chance.
- [2] Conseil National de la Résistance en Iran, organisation présidée par Maryam Radjavi.
- [3] L'Iran détiendrait déjà plus de 150 kilos d'uranium enrichi à 20%. Cela n'est utile que pour la construction d'armes nucléaires.
- [4] Washington souhaite se désengager du Proche-Orient pour se redéployer en Extrême-Orient considéré comme stratégiquement vital pour l'avenir des Etats-Unis. Toutefois, la survie de l'Etat hébreu reste toujours une de ses préoccupations principales.