Russie : un attentat islamiste qui pose des questions
Alain RODIER
Le 21 octobre, une citoyenne russe originaire du Daghestan se fait exploser dans un bus dans la région de Volgograd (ancien nom de Stalingrad), non loin de Sotchi où doivent se tenir les Jeux Olympiques d'hiver 2014. Sept personnes, dont la kamikaze, sont tuées et tous les autres passagers sont blessés à des degrés divers. Les autorités retrouvent un passeport attribué à la kamikaze qui permet de l'identifier. Il s'agirait d'une certaine Naida Asiyalova.
Bien qu'aucune revendication n'ait eut lieu les jours suivants, les autorités russes attribuent l'attentat – qui a été filmé en direct par un automobiliste se trouvant derrière le bus – à l'Emirat islamique du Caucase (EIC), et plus particulièrement à sa Brigade Riyad-us-Saliheen. Il est vrai que l'EIC a organisé de nombreuses opérations de ce type au cour ses dix dernières années dans le Caucase et à Moscou. Ses actions les plus récentes sont l'attaque du métro de Moscou, le 29 mars 2010 – au cours de laquelle deux femmes kamikazes avaient causé la mort de 37 personnes -, et celle du 29 août 2012 au Daguestan, qui avait permis à une autre militante d'assassiner un membre du clergé modéré soufi. D'ailleurs, les protestations populaires avaient été tellement importantes que Doku Oumarov, l'émir de l'EIC, avait ordonné la suspension des attaques, jugées contreproductives. Toutefois, lors d'une déclaration faite en juillet 2013, il avait levé cette interdiction en appelant à lancer des opérations destinées à nuire à l'organisation de JO de Sotchi.
Des faits troublants
Toutefois, des faits troublants viennent interpeller les observateurs avertis. La police a diffusé un premier passeport avec la photo de la kamikaze portant le voile. Le port du foulard est autorisé depuis quelques années en Russie, dans la mesure où le visage reste reconnaissable, mais un examen attentif du document semble prouver que la photo d'identité a été grossièrement retouchée pour y ajouter ce hijab noir. De plus, l'état impeccable du document est étrange, car l'explosion a été extrêmement violente. D'ailleurs, un deuxième document semblable a été présenté dans les jours qui ont suivi. La photo n'est plus exactement la même et le passeport est endommagé.


A gauche, le passeport présenté initialement par les autorités.
En dehors du hijab, tout correspond, même les taches !
Par contre, l'identité et la personne représentée en photo sont bien les mêmes. La personnalité de Naida Asiyalova attire également l'attention. Originaire du Daguestan, elle allait avoir 31 ans quatre jours plus tard. Elle aurait rencontré sur le net son futur époux, lui-même originaire de Sibérie. Ce Dimitri Sokolov – dit « la girafe », alias Abou Jabbar -, âgé de 21 ans, suivait des cours de langue arabe à Moscou. En 2010, c'est elle qui l'aurait converti à l'islam et ils se seraient mariés secrètement à Moscou. Sokolov aurait rejoint le Daghestan en 2012 où il est soupçonné avoir participé au moins à deux opérations terroristes. Depuis, un mandat d'arrêt a été lancé contre sa personne.
Bien qu'il fut passionné d'armes et d'explosifs (les services russes ont dû le voir via les sites qu'il consultait sur le net), il semble bien jeune pour avoir occupé des postes de responsabilité au sein de mouvements islamistes, d'autant que sa conversion relativement récente ne pouvait que le rendre suspect auprès de ces derniers.


Naida Asiyalova et Dimitri Sokolov
Naida Asiyalova serait partie de Makhachkala, la capitale de la province de Daghestan, avec un billet d'autocar à destination de Moscou. Pour une raison non élucidée, elle serait descendue à Volgograd, une heure avant l'attentat. Elle serait montée dans un bus urbain dans le quartier de Krasnoarmeïski et se serait installée à une place arrière. Elle aurait alors mis en œuvre sa charge, équivalente à un pain de 500 grammes de TNT. Selon la police, elle était atteinte d'une grave maladie des os en phase terminale qui l'obligeait à prendre des antalgiques très puissants. Cette version est contestée par sa mère qui dit qu'elle avait des troubles gastriques bénins dus à la prise de pilules amincissantes. Au moment de l'opération, sa main gauche était plâtrée et soutenue par la droite. Peut-être que c'est là qu'était dissimulée la bombe.
Il semble bien que Naida Asiyalova était une musulmane radicale convaincue. Plusieurs témoins, dont sa mère, qui n'entretenait plus que des relations téléphoniques avec elle[1], l'ont confirmé. Toutefois, ce qui est étrange, c'est l'attitude des autorités. Pourquoi ont-elles présenté un passeport falsifié si rapidement ? Pourquoi a-t-on ensuite retrouvé le « vrai » passeport ? Le mariage avec Dimitri Sokolov est-il réel (même sa mère ne savait pas qu'elle s'était mariée) ? Pourquoi n'a-t-elle pas poursuivi son périple jusqu'à Moscou où un attentat aurait été beaucoup plus marquant ?
L'hypothèse la plus crédible est qu'elle avait été repérée par le FSB et placée sous surveillance. Elle s'est vraisemblablement rendu compte qu'elle était suivie (d'où le film de l'autocar qui explose) mais, se sentant « coincée », elle a tenté de rompre la filature en changeant de bus. Enfin, en désespoir de cause, elle a déclenché l'explosion un peu au hasard.
Cette version permet de comprendre pourquoi les autorités ont été à même de donner rapidement des détails sur la kamikaze, précisant même qu'elle servait d'agent recruteur et logistique à un groupe terroriste au Daghestan. Elles en ont profité pour se livrer à une opération de propagande destinée déconsidérer les islamistes[2]. Ce dramatique incident va servir de prétexte pour accentuer les mesures de sécurité qui entourent les JO de Sotchi, en faisant comprendre aux populations que la menace terroriste est réelle et immédiate.