Etats-Unis – Russie : cas d’espionnage atypique
Alain RODIER
Un cas d'espionnage atypique vient d'être révélé aux Etats-Unis. Harold James Nicholson et son fils, Nathaniel James, viennent d'être inculpés pour avoir tenté de fournir des informations secrètes au Sluzhba Vneshney Razvedki (SVR), l'ancien Premier directorat du KGB, chargé de la collecte des renseignements à l'étranger. Les deux hommes ont été présentés à la justice le 29 janvier 2009.
Or depuis 1997, Harold J. Nicholson, un ancien fonctionnaire de haut rang de la CIA, purge une peine de 283 mois d'emprisonnement dans le Federal Correctional Institute (FCI) de Sheridan (Oregon), pour trahison au profit de la Russie. Son matricule de prisonnier est le numéro 49535-083.
C'est en 2002 que le contre-espionnage américain avait été alerté de la volonté de Harold J. Nicholson de reprendre contact avec les services russes par un ancien co-détenu. Nicholson aurait alors chargé ce dernier d'effectuer les démarches nécessaires. A l'époque, la tentative avait échoué. C'est pour cette raison qu'à partir de juin 2006, il se serait servi de son plus jeune fils, Nathaniel, comme intermédiaire. Ce dernier a servi dans les troupes aéroportées avant de suivre à partir de 2005, des cours d'ingénieur en mécanique, au sein du Lane Community College, tout en effectuant des petits boulots. Alerté par les fréquentes visites qu'il rendait à son père, le FBI l'a placé sous surveillance à partir de fin 2007.
La première affaire Harold James Nicholson
Harold James Nicholson est le fonctionnaire de rang le plus élevé dans la hiérarchie de la CIA a avoir été impliqué dans une affaire d'espionnage au profit d'un pays étranger.
Né le 17 novembre 1950, il intègre la CIA le 20 octobre 1980 après avoir servi dans des unités de renseignement de l'armée de terre jusqu'au grade de capitaine. Très bien noté, il est affecté dès 1982 à Manille (Philippines) comme adjoint au chef de poste de l'agence. Il enchaîne ensuite les postes à l'étranger : Bangkok (1985-87), Tokyo (1987-89), Bucarest (1990-92 ; il est alors chef de poste), Kuala lumpur (1992-94). En 1994, il retourne aux Etats-Unis où il affecté comme instructeur au CIA Special Training Center (STC) plus connu sous l'appellation de « la ferme ».
Fin 1995, lors de tests de routine au polygraphe que doivent subir régulièrement tous les fonctionnaires de la CIA, il attire l'attention des interrogateurs. L'enquête est alors confiée au FBI. Préférant le mettre dans une position moins sensible, il rejoint en juillet 1996 la section du contre espionnage de la Direction des opérations, à Langley (Virginie). Les doutes sur sa conduite ont bloqué une nouvelle affectation en poste extérieur pour lequel il avait été pressenti.
C'est en remontant sa carrière que les enquêteurs découvrent qu'Harold J. Nicholson, recevait des versements d'argent suspects depuis 1994 . Il aurait reçu un premier versement de 12 000 dollars le 30 juin 1994, juste après avoir rencontré un officier traitant (OT) russe à Kuala Lumpur, alors qu'il allait rentrer aux Etats-Uni). De plus, l'enquête démontrera que les contacts officiels qu'il entretenait avec des OT du KGB, puis du SVR, dans le cadre de ses activités professionnelles, ont été complétés par des rencontres à l'insu de sa hiérarchie.
Le 16 novembre 1996, il est arrêté par le FBI à l'aéroport international de Dulles, alors qu'il s'apprête à prendre un vol pour Zurich. Il emportait avec lui des documents classifiés qu'il allait vraisemblablement remettre aux Russes. Afin d'échapper à la peine capitale, il accepte de coopérer et révèle qu'il a fourni aux Russes les identités des recrues qu'il encadrait à la ferme, les curriculum des autres instructeurs et le contenu des méthodes de formation pratiquées par la CIA. Il aurait également donné l'identité et le curriculum de membres de la CIA implantés en Russie. Il aurait aussi décrit en détail le fonctionnement du poste de Moscou et l'identité « d'honorables correspondants » (HC) américains. Enfin, il aurait fourni des informations que détenait Langley à propos de la situation en Tchétchénie, ainsi qu'un certain nombre de rapports concernant les renseignements recueillis par la CIA sur la Russie.
Ses motivations
Harold J. Nicholson était un officier de renseignement de terrain particulièrement compétent, ce qui a expliqué sa brillante carrière au sein de la Company où il a enchaîné les postes à l'étranger et a été promu à un échelon élevé : GS-15. Sa vie privée en a souffert puisque après avoir eu trois enfants, il a divorcé, ce qui est relativement courant dans les services.
Passionné par son métier, il a franchi la ligne jaune alors qu'il était en poste extérieur en ayant des contacts non autorisés avec des OT du KGB puis du SVR. Au départ, peut-être n'y avait-il pas malice à procéder de la sorte car il est connu que pour obtenir des résultats, certains officiers de renseignement s'affranchissent parfois des règlements et de la hiérarchie.
Par contre, sachant qu'une fois rentré au pays, sa rémunération serait amputée des primes importantes gagnées à l'étranger, il a décidé de vendre ses services aux Russes qui payent bien leurs agents de premier plan. Cet argent – environ 300 000 dollars – lui a permis de mener grand train et d'aider ses enfants, dont il avait obtenu la garde après son divorce, et pour lesquels il entretenait une profonde affection.
Il semble que son ego a également joué un grand rôle. En effet, il considérait que son affectation comme instructeur au sein de la ferme était une voie de garage indigne de ses compétences. A la CIA, un haut rang dans l'indice des salaires des fonctionnaires des services n'implique pas obligatoirement l'attribution d'un poste de responsabilité équivalent.
C'est donc pour toutes ces raisons que, juste avant son retour aux Etats-Unis, il aurait décidé de travailler pour le SVR.
Malgré son professionnalisme (il pensait ne pas être détecté), il a commis de nombreuses fautes de sécurité qui l'ont perdu. A savoir il n'a pas su passer l'épreuve du polygraphe avec succès, il n'a pas réussi à camoufler efficacement ses gains illégaux et il n'a pas détecté la surveillance dont il a fait l'objet pendant deux ans.
L'affaire actuelle
Bien qu'incarcéré, Nicholson aurait transmis le « virus de l'espionnage [1]» à son fils. Il l'aurait formé aux techniques clandestines et lui aurait fourni secrètement les informations que demandaient les Russes. Cette facilité à communiquer discrètement s'explique par le fait que l'établissement dans lequel il était incarcéré n'est pas classé « haute sécurité ». Cette conspiration du père et du fils aurait débuté en juin 2006.
Ainsi, selon les instructions données par son père, Nathaniel prend contact avec un membre du consulat général de Russie à San Francisco, en octobre 2006. Les Russes, visiblement surpris, par cette démarche, organisent une autre rencontre dans la même ville, à la fin du mois, pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une manœuvre de provocation. Lors de cette deuxième entrevue, Nathaniel reçoit de son OT russe la consigne de se rendre à Mexico, en fin d'année, pour y avoir un nouveau contact en pays étranger, donc moins surveillé par le contre-espionnage américain. Il reçoit tout également 5 000 dollars pour « services rendus » par son père dans le passé.
Selon les instructions reçues, Nathaniel se rend à Mexico du 11 au 17 décembre 2006. Les Russes qui n'ont visiblement pas terminé les vérifications de sécurité d'usage [2], lui fixent un nouveau rendez-vous, dans la même ville, à la mi-juillet 2007. Néanmoins, ils lui remettent la somme de 10 000 dollars.
Comme prévu, Nathaniel retourne à Mexico du 9 au 12 juillet suivants. Là, les Russes lui communiquent une première orientation : comment son père a-t-il pu être démasqué ? Il reçoit la somme de 9 080 dollars. Rendez-vous est fixé à Lima (Pérou) pour décembre 2007. Ce changement de pays de contact est le signe que le SVR souhaite mener cette manipulation avec un maximum de sécurité. Du 10 au 13 décembre, Nathaniel, se rend à Lima. En échange des informations demandées à son père – qu'il a recueilli de manière clandestine, vraisemblablement au parloir de la prison – il est payé 10 000 dollars. Un autre rendez-vous est alors programmé à Chypre, fin 2008, ce qui tend à prouver que les Russes n'ont plus grand-chose à demander à son père. Cependant, en plus d'une rémunération de 7 013 dollars, ils lui fournissent un manuel détaillant comment communiquer discrètement avec eux via le net.
Du 8 au 14 décembre 2008, Nathaniel Nicholson se rend à Chypre pour un contact clandestin avec son OT. Il est porteur d'une lettre de six pages de son père, dans laquelle ce dernier donne des informations sur sa personne et sur ses proches. Il semble que cela soit destiné à confectionner des visas pour la Russie. Le jeune homme reçoit la somme de 12 000 dollars. Des consignes de sécurité lui sont données pour qu'il ne dépose pas plus de 5 000 dollars en une seule fois sur un même compte bancaire, de manière à ne pas attirer l'attention. Un autre rendez-vous est programmé à Bratislava, en Slovaquie, pour le 16 décembre 2009. Il ne pourra s'y rendre, ayant été arrêté en janvier de la même année.
L'appât du gain aurait également été le levier de cette affaire. Plus curieusement, il semble qu'Harold J. Nicholson espérait réellement pouvoir émigrer en Russie après sa libération pour y jouir d'une retraite, selon lui méritée. Il avait certainement en mémoire le souvenir des « cinq de Cambridge » dont trois (Kim Philby, Donald Maclean et Guy Burgess) ont fini leurs jours à Moscou avec tous les honneurs et avantages possibles. Son fils aurait donc également effectué des démarches pour que son père puisse rejoindre la Russie à l'issue de sa peine et aurait tenté de vérifier quel sort (pécuniaire) lui était réservé. Le montage d'un dossier de retraite en quelque sorte !
Pourquoi l'espion incarcéré intéressait-il encore les Russes ?
Les services russes auraient été intéressés par les détails de l'arrestation de Nicholson. Comment a-t-il été découvert ? Que savent les Américains sur les méthodes d'acquisition du renseignement humain (Humint) par les services russes ? Leur objectif semble donc bien être de protéger d'autres taupes au sein de la CIA, toujours actives à l'heure actuelle.
Cela confirme plusieurs choses intéressantes concernant les méthodes du SVR.
- Moscou a relancé ses activités de collecte de renseignements en Occident et plus particulièrement aux Etats-Unis. Une de ses cibles de choix reste les services de renseignement étrangers.
- Quoique puisse en dire certains, les services russes ne laissent jamais tomber leurs agents, même si apparemment, ils ne représentent plus beaucoup d'intérêt pour eux. L'objectif est simple : rassurer sur leur avenir les personnes qui se voient proposer de travailler pour les services russes.
- Un des moyens d'action utilisé pour contacter leurs agents passe tout simplement par des messages e-mails codés. L'autre méthode employée est vieille comme l'espionnage : l'utilisation de boîtes aux lettres mortes ou vivantes. De plus, le courrier adressé par les sources est codé grossièrement.
- L'informatique est largement employée pour transmettre des documents classifiés qui ont été préalablement copiés à l'aide de scanners, photocopieuses ou appareils photo. Lorsqu'ils sont transmis, la source doit effacer ces documents.
- En cas de danger détecté, le SVR a des moyens d'alerter ses sources pour qu'elles fassent disparaître tout élément de preuve. Des moyens d'exfiltration d'urgence seraient prévus.
- Quand cela est possible, le SVR débriefe ses sources dans le confort et la sécurité de ses représentations diplomatiques.
- Pour les rencontres clandestines, les services russes privilégient les pays tiers, où la source se rend sous un prétexte ou un autre, généralement à l'occasion de congés. En Europe, la Suisse, Chypre et la Slovaquie semblent être des pays particulièrement appréciés ; mais ce ne sont certainement pas les seuls. Toutefois, des contacts dans les pays d'origine ne sont pas à exclure. Dans ce cas, des mesures de sécurité draconiennes sont adoptées.
- Par contre, les OT russes font parfois preuve d'une incroyable légèreté en utilisant leur voiture diplomatique pour des rencontres clandestines.
- Enfin, le SVR paye généralement bien ses sources.
Les deux Américains risquent maintenant une peine de plusieurs centaines d'années d'incarcération. Il est peu probable que Harold James Nicholson connaisse une retraite paisible en Russie, à moins qu'il ne soit échangé. Dans le passé, les services russes avaient pour habitude d'arrêter et de faire condamner pour espionnage des quidams parfaitement innocents mais qui constituaient des monnaies d'échange appréciables.
- [1] Bien que les métiers du renseignement ne ressemblent en rien ce qui est décrit dans la plupart des films et des livres du genre, ils n'en restent pas moins fascinants. Il suffit d'y avoir goûté une fois pour comprendre ce sentiment (Cf. Alain Rodier, « Lettre ouverte aux candidats espions », Note de réflexion n°5, CF2R, décembre 2006).
- [2] Les services se méfient toujours au plus haut point d'un quidam qui vient proposer sa collaboration de manière spontanée.