Comment les pirates somaliens repèrent leurs proies
Alain CHARRET
Face à la recrudescence des actes de piraterie maritime au large des côtes somaliennes, on est en droit de s’interroger devant l’apparente incapacité de la force maritime multinationale à lutter efficacement contre ces pirates. En effet, les bandits des mers ne semblent pas rencontrer de difficultés pour repérer leurs cibles potentielles. Il n’en faut pas plus pour que certains adeptes de la théorie du complot accusent les États-Unis – et leurs fidèles alliés israéliens – de collusion avec les pirates [1]. S’il est vrai que Washington soutient plus ou moins ouvertement certains chefs de guerre somaliens qui s’opposent à la mouvance islamiste – laquelle condamne les actes de piraterie maritime – les Américains n’ont pas vraiment intérêt à entretenir l’insécurité dans le golfe d’Aden.
Certains experts attribuent ces succès à un vaste réseau de renseignement œuvrant dans les principaux ports du Moyen-Orient et d’Afrique orientale. Si cette thèse n’est pas à écarter totalement, une telle infrastructure nécessiterait cependant d’importants moyens humains et logistiques et générerait un volume de communications qui passerait difficilement inaperçu aux yeux des services de renseignement occidentaux.
La solution pourrait se trouver ailleurs, notamment dans l’exploitation des données d’un système dédié à la sécurité maritime, dénommé Automatic Identification System [2] (AIS).
Une « boîte noire » bien indiscrète
AIS est un système VHF [3] d’échange de données entre navires et stations de contrôle de la navigation. Depuis juillet 2007 tous les navires d’une jauge supérieure à 300 tonneaux effectuant des voyages internationaux, ainsi que tous ceux transportant des passagers, doivent en être équipés.
Plusieurs fois par minute, ce système émet automatiquement des données aussi nombreuses que variées, qui permettent aux stations de contrôle de connaître le statut, l’identité, la route et la position des navires se trouvant dans la zone de navigation.
On y trouve :
- Numéro MMSI ( Maritime Mobile Service Identity ) : identifiant unique du navire,
- Statuts de navigation : amarré, au mouillage, faisant route au moteur, à capacité de manœuvre restreinte, échoué, en pêche, faisant route à la voile, etc.
- Route sur le fond,
- Vitesse sur le fond, entre 0 et 102 nœuds par pas de 0,1 nœud,
- Vitesse de changement de cap,
- Position en latitude et longitude,
- Cap vrai,
- Heure UTC [4].
De plus, toutes les six minutes les informations suivantes sont transmises :
- Numéro d’appel sélectif,
- Nom du navire,
- Type de bâtiment ou de cargaison,
- Dimensions du navire,
- Position de l’antenne GPS [5] sur le bateau,
- Type d’instrument de positionnement satellitaire : GPS ou DGPS [6],
- Tirant d’eau,
- Destination du navire,
- ETA : estimation de l’heure d’arrivée à destination,
- Nombre d’hommes d’équipage.
Toutes ces données sont à la portée, bien entendu, de tous les services d’écoutes officiels, mais également des « amateurs » un tant soit peu éclairés. Il suffit pour cela de disposer d’un récepteur couvrant la bande VHF marine, d’un ordinateur portable et d’un logiciel spécifique, que l’on peut se procurer sur Internet pour quelques dizaines d’euros. Ce qui déjà pourrait laisser supposer une collaboration entre les pirates et un État à même de disposer de ces données, ou encore la présence parmi les pirates de « radioamateurs » au fait des nouvelles technologies…
Il y a encore beaucoup plus simple. En effet, un terminal autonome à peine plus volumineux qu’un téléphone satellitaire, est commercialisé librement à destination des plaisanciers. Pour quelques centaines d’euros, en le couplant à un GPS, n’importe quel plaisancier ou pirate potentiel, peut visualiser sur son écran les navires se trouvant dans un rayon d’une cinquantaine de milles autour de sa position. Il suffit ainsi aux bandits des mers de positionner leur flotte afin de couvrir les routes habituelles du trafic maritime et de choisir leur proie en fonction du nom du navire, de sa cargaison ou encore de sa destination.
Quand on sait que parmi ces fameux pirates se trouvent d’anciens marins somaliens et des pêcheurs professionnels, il ne serait pas surprenant qu’ils aient connaissance de l’existence de ces appareils. D’autant que les experts confirment leur utilisation intensive de téléphones satellitaires et de GPS. Ceci expliquerait l’impuissance apparente des navires de guerre à repérer les pirates qui eux, gageons le, n’utilisent sûrement pas le système AIS.
Pour les réduire à l’impuissance, la solution serait de déconnecter le module AIS des navires entrant dans les zones à risques telles que le golfe d’Aden. Toutefois, si elle éteint le moniteur et ne permet plus la visualisation de la zone de navigation, l’émission n’est pas stoppée pour autant, pour des raisons de sécurité, notamment l’anticollision. Il faut donc désactiver complètement le système [7] afin de diminuer au maximum les risques d’interception par les pirates.
Quelques « prises de choix » à mettre à l’actif des pirates somaliens
– Le 4 avril 2008 les pirates somaliens s’emparent du Ponant , un trois mats de luxe qui revient des Seychelles et qui fait route vers la Méditerranée. Appartenant à un armateur français, le navire n’a pas de passager à bord, mais une trentaine de membres d’équipage dont 22 Français.
Le 11 avril de la même année des commandos-marine français libèrent les otages, récupèrent une partie de la rançon et capturent plusieurs des pirates.
– Le 25 septembre 2008 c’est le Faina , un cargo ukrainien battant pavillon du Belize, qui est arraisonné au large des côtes somaliennes. Ce piratage est presque passéinaperçu au milieu de la centaine d’autres cas de piraterie recensés dans cette zone au cours de l’année. Cependant sa cargaison est loin d’être banale puisqu’elle comprend notamment 33 chars de fabrication soviétique de type T-72, et divers types de munitions. Une cargaison qui suscite la polémique puisque, si elle est officiellement destinée à l’armée kenyane, le véritable destinataire serait le Sud Soudan toujours sous le coup d’un embargo de l’ONU.
Fin janvier 2009, l’équipage, le cargo et sa précieuse cargaison, se trouvent toujours aux mains des pirates.
– Le Sirius Star , super pétrolier appartenant à une filiale maritime de la compagnie nationale séoudienne ARAMCO et transportant 300 000 tonnes de pétrole, a été arraisonné le 15 novembre 2008.
Il a pu reprendre sa route le 9 janvier 2009 après le discret paiement d’une rançon dont le montant n’a pas été rendu public.
Alain Charret
Membre du comité de rédaction du journal Les nouvelles d’Addis
Chercheur associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)
- [1] « Les forces US luttent-elles contre les pirates somaliens ? », Les nouvelles d’Addis n°65, p. 4.
- [2] Système d’identification automatique.
- [3] Very High Frequency.
- [4] Universal Time Coordinated.
- [5] Global Positioning System.
- [6] Differential Global Positioning System.
- [7] Une telle option existe dans le menu de ces appareils d’aide à la navigation.