Etats-Unis : le testament de l’ex-directeur de la CIA
Alain RODIER
Michael Hayden, le dernier directeur de la CIA de l'ère George W. Bush, a livré, à l'occasion de son départ, les dix préoccupations majeures de l'Agence pour l'année à venir. Par ordre d'importance décroissante, les dix priorités qu'il définit sont les suivantes.
1. Al-Qaida reste le danger numéro un pour les Etats-Unis. Si la CIA considère que le noyau dur du mouvement est considérablement affaibli, cantonné à lancer des messages depuis son repaire situé dans les zones tribales pakistanaise, la franchisation de plus en plus importante de nombreux groupes islamiques fondamentalistes constitue une nouvelle donne d'importance. L'exemple du Laskhar-e-Taiba pakistanais, qui est fortement soupçonné avoir été à l'origine des attentats de Bombay, en novembre 2008, est cité. Ce mouvement qui, dans le passé, dirigeait sa vindicte contre New Delhi, internationaliserait son action en ciblant désormais les intérêts américains et juifs. Le nombre de plus en plus élevé de groupes franchisés fait entraine une diversification des menaces terroristes en fonction de la sensibilité de chacun d'entre eux. Ces groupes sont situés principalement au Yémen, en Somalie et en Afrique du Nord. Curieusement, Hayden ne cite pas les groupes extrême-orientaux. On peut en déduire que selon le renseignement américain, ils ne représentent pas une menace directe et immédiate pour les Etats-Unis.
2. La deuxième menace, par ordre d'importance, est constituée par la situation qui prévaut au Mexique. En effet, l'action des différents cartels de la drogue met directement en péril la stabilité de ce pays, avec des répercussions possibles sur le territoire américain. On ne peut qu'être frappé de la place du Mexique dans l'évaluation des menaces par M. Hayden, car elle précède l'Iran. On aurait pu penser que ce problème relevait plutôt du FBI et de la DEA, mais la CIA paraît être en première ligne dans cette affaire.
3. Le programme nucléaire iranien reste une préoccupation majeure. Les propositions du président Barack Obama d'ouvrir des discussions avec Téhéran, sans condition préalable, semblent actuellement ne pas trouver d'écho favorable en Iran. Il faut peut-être laisser un peu de temps au régime des mollahs, d'autant que le « groupe des 5 » (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Chine et Russie) appuie l'initiative du président Obama. Nul n'ignore que la nouvelle administration américaine est moins favorable à l'approche israélienne sur la question. Bien qu'elle affirme que « toutes les options (dont la militaire) restent sur la table », le spectre d'une intervention préventive en Iran paraît s'éloigner. Téhéran va pouvoir profiter de cette nouvelle donne pour faire monter les enchères et tenter de négocier en position de force.
4. Hayden considère que les approches de plus en plus divergentes entre l'Europe et les Etats-Unis concernant la « guerre contre le terrorisme », représentent la quatrième préoccupation de la CIA. Indéniablement, Les positions de la « vieille Europe » posent un problème aux Etats-Unis. On peut légitimement craindre que, dans un réflexe d'isolationnisme et de protectionnisme – que semble privilégier la nouvelle administration américaine – l'Europe ne se retrouve bien seule face aux différentes menaces sécuritaires et économiques qui pèsent sur elle.
5. L'instabilité provoquée par le faible prix du pétrole. Si Hayden reconnaît que cela n'a qu'un impact limité sur la Russie, qui reste une grande puissance capable « d'accuser le coup », l'ancien directeur de la CIA estime que ce n'est pas le cas pour l'Iran et le Venezuela. Cet état de fait pourrait pousser les dirigeants de ces Etats à des actions inconsidérées. A noter que c'est le seul passage qui évoque le Venezuela et son bouillant président. Il est pourtant à la tête, davantage que les Cubains, d'une fronde contre les intérêts américains en Amérique latine. La Russie et l'Iran l'ont bien compris et se servent de ce pays pour renforcer leur influence aux portes mêmes des Etats-Unis.
6. La sixième préoccupation d'Hayden est la situation au Pakistan, qualifié de « pays ami ». Selon lui, le gouvernement est confronté à des difficultés internes très importantes comme le non contrôle des zones tribales, les difficultés économiques et la montée de l'islamisme extrémiste. Cet état de fait est particulièrement grave pour un Etat qui est détenteur de l'arme nucléaire. Il met là le doigt sur un des points cruciaux de la sécurité mondiale. Le basculement possible de cet Etat dans l'extrémisme islamique représente le risque majeur auquel les Occidentaux aient à faire face. A l'heure actuelle, nul ne voit quelle solution peut être apportée à ce problème dont les portées sont incalculables.
7. L'Afghanistan : la situation à la frontière pakistanaise représente toujours un souci majeur pour la CIA, ainsi que la capture d'Oussama Ben Laden et son adjoint Ayman Al-Zawahiri. Bien que les Américains aient remporté de nombreux succès dans le domaine de la lutte contre cette hydre islamique, ils ne sont pas parvenus à neutraliser ces deux symboles du terrorisme. Certains disent que c'est volontairement car ils n'ont pas voulu en faire des martyrs qui auraient été extrêmement encombrants en devenant des exemples pour tous les exaltés du fanatisme islamique. Plus prosaïquement, l'auteur pense qu'ils n'ont pas réussi à les localiser et cela reste un grand regret pour leurs services. Cela semble logique quand on se réfère au cas de Saddam Hussein. Bien que les forces américaines tenaient le pays, il a fallu des mois pour le repérer et l'arrêter. Les zones tribales pakistanaises ne sont pas sous contrôle (ni américain ni pakistanais) et sont très difficiles d'accès. On atteint là la limite de la capacité tactique des opérateurs des services spéciaux.
8. La Corée du Nord qui semblait être un problème en voie d'être réglé, reste d'actualité. Aucune confiance ne peut être accordée aux dirigeants qui tentent par tous les moyens de noyer le poisson en déstabilisant le processus de négociations sur le nucléaire. Pourquoi feraient-ils ce cadeau aux Américains alors qu'ils sont instrumentalisés par Moscou et Pékin, qui ont trouvé là un moyen de contrer leur vieil adversaire ?
9. La Chine qui a été vue comme une nation émergente sur le plan économique pose une question : comment ce pays communiste tourné vers l'économie de marché va faire face à la crise mondiale ? Autant elle avait un pouvoir économique déstabilisateur, autant elle peut prendre aujourd'hui des décisions qui affaibliraient un peu plus le système financier international.
10. Le Proche-Orient où la situation vient d'être compliquée par l'offensive israélienne contre le Hamas dans la Bande de Gaza reste une zone de tension extrêmement importante.
Le nouveau chef du renseignement américain (DNI), l'amiral (à la retraite) Dennis Blair, et le nouveau directeur de la CIA, Leon Panetta, vont prendre en compte cette liste qu'ils modifieront éventuellement en fonction des volontés de la nouvelle Administration américaine. Cependant, si cette liste ne devrait pas être sensiblement modifiée – les risques restent les mêmes, seules les priorités peuvent changer – ce sont les méthodes d'action de l'Agence qui devraient être notablement revues. En effet, le président Obama exige que le renseignement soit désormais exemplaire. Plus question de Waterboarding (simulation de noyade appliqué à des détenus) assimilé à de la torture, fermeture de la prison de Guantanamo et des lieux d'incarcération secrets de la CIA, plus de transparence des opérations de la CIA vis-à-vis des représentants parlementaires, etc. Certains membres de l'ancienne administration Bush prétendent que cette nouvelle politique en matière de renseignement va exposer plus gravement la sécurité nationale à la menace terroriste. C'est ignorer le fait que l'Agence possède d'autres atouts dont les ressources financières qui lui permettent d'acheter la collaboration de repentis, ce qui constitue une arme plus douce mais tout aussi efficace que les méthodes musclées employées jusqu'à aujourd'hui.