Estonie – Russie Le SVR est aussi actif que l’Ex-KGB
Alain RODIER
Le 21 septembre 2008, Herman Simm, un ancien haut fonctionnaire estonien a été arrêté à Tallinn par les autorités estoniennes pour espionnage au profit de la Russie. Il semble qu'il s'agit là d'une des plus grosses « prises » faite en Europe depuis la fin de l'ex-URSS. Cependant, les autorités gardent une réserve de bon aloi sur cette affaire car elle pourrait en cacher bien d'autres.
Qui est Hermann Simm ?
Herman Simm est né le 29 mai 1947 à Suure-Jaani en Estonie. Il a tout d'abord suivi des études de chimie à l'Institut polytechnique de Talinn. En 1978, il a été diplômé de l'Académie du ministère de l'Intérieur pour la milice (la police intérieure du temps des Soviétiques). Après l'accession à l'indépendance de son pays, Simm poursuit sa carrière de policier et cumule les promotions qui le conduisent, en décembre 1994, a être nommé chef de la police estonienne. Visiblement, cette carrière brillante n'est pas uniquement due à ses capacités professionnelles : il pourrait avoir bénéficié de complicités au plus haut niveau de l'Etat estonien. Restant peu à ce poste, il entre au ministère de la Défense en mai 1995 en tant que chef du bureau information et analyse.
En 2001, il est désigné responsable du Département de la sécurité du même ministère, organisme qui vient juste d'être créé et qui a pour mission de coordonner de la protection des secrets d'Etat. A partir de 2004, ce service est également chargé de l'échange d'informations classifiées avec l'OTAN et l'Union européenne (UE). A ce titre, Simm a eu accès à de nombreux documents « secret OTAN ».
En novembre 2006, il démissionne de son poste mais continue ses activités en tant que conseiller auprès du ministère de la Défense. Ainsi, il a toujours accès à des informations classifiées.
Doté d'un caractère jovial, Herman Simm se montrait très méticuleux dans ses activités professionnelles. Par contre, il semblait assez extraverti, adorant raconter des histoires d'espionnage, désignant discrètement certains collègues comme étant « peu sûr ». Il affirmait également être menacé en raison de ses responsabilités importantes, etc. En un mot, il était en quête de reconnaissance.
Son épouse Heete qui a travaillé comme juriste auprès de l'état-major de la police a été arrêtée en même temps que lui mais relâchée le 5 novembre. Elle était la femme la plus gradée dans la police jusqu'à son arrestation. Selon les enquêteurs, elle aurait été, au minimum, la complice de son époux, mais ils n'écartent pas l'hypothèse selon laquelle elle aurait participé à son « contrôle ».
La manipulation
Simm aurait été recruté par le KGB lors de ses études au sein de l'Académie du ministère de l'Intérieur pour la milice, dont il est sorti en 1978. Etant donnée sa position relativement modeste à l'origine, il aurait été placé en position d'agent dormant. Ce n'est qu'après l'effondrement de l'URSS – et alors qu'il avait atteint une position hiérarchique jugée intéressante par le service de renseignement extérieur russe [1] – qu'il aurait été réactivé, vraisemblablement au milieu des années 199,0 alors que l'Estonie négociait son admission au sein de l'OTAN.
Son officier traitant (OT) au SVR – dont le pseudonyme serait « Jesus Suarez » utilisait – un faux passeport espagnol ou portugais. Il profitait de cette identité fictive pour se déplacer dans toute l'Europe. Bien sûr, il est aujourd'hui introuvable. Il est fortement probable que se sentant grillé, il ait rejoint la mère patrie.
Comme à l'époque héroïque de la Guerre froide, Simm communiquait avec le SVR grâce à un vieux poste de transmissions, vraisemblablement fourni par les services techniques russes. C'est grâce à ce moyen qu'il organisait ses rencontres avec son OT.
Ses motivations semblent avoir été financières – Simm possède de nombreuses propriétés foncières – mais encore plus l'ego. En effet, il souhaitait se sentir important et était fasciné par le monde de l'espionnage. Il pensait jouer un rôle à sa mesure dans l'Histoire.
Les dégâts qu'il a pu occasionner sont en cours d'évaluation, mais ilssemblent le placer dans le peloton de tête des « grands agents ». Ses fonctions lui auraient permis de communiquer aux Russes des renseignements classifiés concernant la crise du Kosovo, la guerre en Géorgie et le système de missiles anti-missile américain qui devrait être déployé en Europe. Il aurait également pris part au montage de systèmes de la défense de l'OTAN contre les cyber attaques. Encore plus grave, il aurait pu fournir aux Russes les clefs leur permettant de casser le système de codage d'origine allemande Elcrodat , utilisé par l'OTAN depuis 2004 pour crypter les conversations téléphoniques, les fax et les e-mails. Cela voudrait dire que jusqu'à son arrestation, les Russes, vraisemblablement via l'Agence fédérale pour les communications gouvernementales et l'informatique [2] ont pu avoir connaissance de toutes les communications de l'OTAN utilisant ces supports.
Son arrestation serait due à une erreur de son officier traitant qui aurait tenté de recruter une deuxième source de haut niveau. Il est possible que le SVR ait cherché à remplacer Simm, suite à son départ en retraite. Le fonctionnaire approché – dont l'identité n'a pas été dévoilée – a rendu compte aux autorités de cette tentative de recrutement. Cela a déclenché une enquête du Bureau de sécurité de l'OTAN (dirigé par un Américain) laquelle a conduit à la découverte de la taupe Simm.
Après son arrestation, Herman Simm aurait coopéré pleinement avec les autorités, donnant de nombreuses informations sur les activités du SVR en Estonie. En guise de contre-feu, une campagne de presse vraisemblablement orchestrée par les services russes, a tenté de faire croire que Herman Simm était bien un espion, mais qu'en fait il travaillait pour le Mossad et la CIA ! C'est de bonne guerre.
Herman Simm, un agent double ?
Selon la presse allemande, Simm aurait également vendu des informations au service de renseignement extérieur allemand : le Bundesnachrichtendienst (BND). Ces informations concernaient les activités du SVR dans les pays baltes et la criminalité organisée. Cependant, cette coopération aurait été rompue en 2004 lorsque l'Estonie est devenue membre de l'UE. Cela semble logique : le BND ayant pour règle de ne pas manipuler des agents ressortissants des pays de l'UE. On ne sait pas encore s'il se livrait à cette activité afin d'augmenter ses gains ou s'il agissait sur ordre de Moscou, dans le cadre d'une opération d'intoxication.
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Hermann Simm sera jugé pour trahison au cours de l'année 2009. Il risque de trois à quinze ans de prison. Les services occidentaux sont extrêmement inquiets des dommages que les renseignements transmis à Moscou ont pu causer depuis les années 1995. Plus grave, ils pensent que son cas n'est pas isolé, les services russes ayant réactivé des réseaux dormants dans les ex républiques d'URSS. Cette affaire démontre que le SVR est le digne successeur de la Première direction du KGB. L'ouverture rapide de l'UE et de l'OTAN aux ex pays de l'Est a fourni aux Russes une opportunité sans précédent pour développer l'infiltration au sein du monde occidental.