Sri Lanka : rôle des services secrets dans la victoire contre le LTTE
Alain RODIER
Vendredi 2 janvier, l'armée du Sri Lanka s'est emparée de Kilinochchi, la « capitale politique » des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). Le 10 janvier, c'est la position stratégique d' Elephant Pass , qui relie la presqu'île de Jaffna au reste de l'île, qui tombe à son tour aux mains de l'armée. Les forces indépendantistes se sont repliées dans la jungle, au nord de Mullaittivo. Les opérations militaires se poursuivent désormais pour tenter d'assainir cette région de 40 kilomètres carrés.
Depuis 1983, les Tigres tamouls hindouistes luttent pour l'indépendance du nord et du nord-est du Sri Lanka, un pays peuplé à 75% de Cinghalais bouddhistes. Le nombre des victimes de ce conflit serait de 70 000, dont plusieurs milliers depuis la reprise des combats survenue en novembre 2005, après l'élection du président Mahinda Rajapakse, qui est considéré comme un nationaliste pur et dur.
Ce succès militaire indéniable et du en grande partie à l'affaiblissement du LTTE depuis des années. Ce recul n'a été rendu possible que grâce à l'action des services secrets sri lankais qui ont débuté le gangrénage du mouvement au début des années 2000.
Le National Intelligence Bureau (NIB), créé en 1984 sous le gouvernement de Jayawardere – et rebaptisé depuis le State Intelligence service (SIS) – a été épaulé depuis sa naissance par l' Intelligence Service britannique (plus connu comme le MI 6).
Le NIB a décidé en 2000 de tenter de faire éclater le LTTE de l'intérieur, en jouant sur les rivalités de personnes existant entre les différents responsables du mouvement. A cette fin, différentes opérations de déception, de désinformation et d'intoxication ont été lancées par le NIB qui s'est montré particulièrement efficace et professionnel.
Ces actions de longue haleine [1] ont connu leur premier succès important en mars 2004, quand Vinayagamoorthi Muralitharan – plus connu sous le pseudonyme de colonel Karuna Amman – a rompu avec le mouvement. Le prétexte invoqué était que le chef historique du LTTE, Velupillai Pradhakaran, n'accordait pas assez d'intérêt à la population tamoule vivant dans l'est du pays car il concentrait ses efforts sur le nord de l'île.
Karuna a alors créé un mouvement dissident : le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal /TMVP (Les tigres de libération du peuple tamoul) aussi appelé la « faction Karuna ».
Une guerre interne s'en est alors suivie dans l'est du pays, donnant d'abord l'avantage au LTTE. Cependant, le TMVP n'a pas été détruit et s'est réfugié un peu plus au sud. Son action a toutefois permis à de nombreux tamouls de remettre en cause la direction du LTTE, accusée de ne pas défendre réellement les intérêts de la population mais de poursuivre des buts personnels. C'est un secret de polichinelle que les forces armées sri lankaises ont fournit depuis le début à la « faction Karuna » une aide logistique sans laquelle elle n'aurait pu survivre. Depuis, les autorités ont repris le contrôle de l'est du pays.
Le 2 novembre 2007, la mort de S.P. Thamichelvan, le chef de l'aile politique « présentable » du LTTE, reste un mystère [2]. Il n'est pas impossible qu'il ait été assassiné sur ordre de Velupillai Pradakharan, lequel craignait qu'il prenne trop d'importance.
Jouant sur la paranoïa que connaissent tous les dirigeants des mouvements révolutionnaires, il est vraisemblable que le NIB était à la base de la défiance qu'entretenait Pradakharan à l'égard de son subordonné. En effet, les services srilankais lui auraient fait croire que Thamichelvan représentait une menace pour lui. Cette manœuvre d'intoxication aurait entraîné son élimination. Afin d'éviter que son opération d'intoxication ne soit dévoilée, Colombo a confirmé que c'était bien son aviation qui avait causé la mort de Thamichelvan.
Par ailleurs, deux autres leaders importants du LTTE s'opposent depuis des années. D'un côté, Shanmugalingam Sivashankar – alias Pottu Amman – le redouté chef des services de renseignement et de l'escadron des Black Tigers , de l'autre Thihilalyampalan Sivanesan – alias colonel Soosai – le chef des Sea Tigers . Ce dernier aurait été gravement blessé en 2004 suite à un « accident » qui pourrait être en fait une tentative d'assassinat par son rival qui lui reproche d'être un proche du colonel Karuna et un agent des services de renseignement extérieurs indiens ( Research & Analysis Wing /RAW). Cet assassinat a entrainé une lutte fratricide entre les fidèles de chacun des deux camps.
En décembre 2008, cette lutte interne – activée par le NIB qui a ajouté de l'huile sur le feu en se livrant à des opérations d'intoxication – a conduit à l'éviction de Pottu Amman de la tête des services de renseignement du LTTE. Il a été remplacé par Ratnam Master, lequel est loin de posséder ses compétences.
Parallèlement, les Sea Tigers, qui constituaient une force navale redoutable, ont connu d'importants revers en 2008. Ceux-ci n'ont pu être provoqués que par des renseignements collectés à l'intérieur même du mouvement, vraisemblablement dans le camp de Pottu Amman. En outre, vraisemblablement pour les mêmes raisons, la marine « civile » du LTTE qui approvisionnait le mouvement en armes et munitions depuis la Thaïlande et le Myanmar, aurait perdu la quasi-totalité de ses bâtiments en 2007. Cela expliquerait que, vivant sur leurs réserves, les combattants séparatistes se seraient retrouvés peu à peu à court de munitions et n'auraient ainsi pu s'opposer efficacement aux offensives déclenchées en 2008 par les forces armées sri lankaises.
Grâce à des opérations d'intoxication – aidées par les nombreuses maladresses des cadres dirigeants du LTTE – la population tamoule a commencé à rejeter le mouvement séparatiste. Avec l'aide discrète des services sri lankais, certains groupes se seraient même constitués pour combattre les partisans du LTTE.
Cependant, cela ne signifie en rien la fin de la lutte. En effet, Velupillai Pradhakaran est toujours en liberté. Les rebelles sont solidement retranchés dans la jungle sur des positions qu'ils ont préparées depuis des années. Le LTTE est toujours apte à mener des attentats dans l'ensemble du Sri Lanka et plus particulièrement à Colombo. Il est d'ailleurs très probable que acculés militairement, les Tigres tamouls ne déclenchent une vaste campagne d'attentats suicide dans un proche avenir. C'est une spécialité peu coûteuse mais très efficace, dont le LTTE s'est fait une spécialité depuis sa création. Enfin, le vaste réseau de soutien implanté à l'étranger au sein de la communauté tamoule émigrée fonctionne toujours et apporte grâce, à l'impôt révolutionnaire recueilli de gré ou de force, d'importantes sommes d'argent au mouvement.