Israël/iran/bande de gaza : Jeu de billard a trois bandes
Alain RODIER
Si les observateurs avertis avaient pu noter en 2006 une certaine faiblesse des services de renseignements israéliens, qui n'étaient pas parvenus à donner aux pouvoirs politique et militaire des informations opérationnelles suffisamment exploitables sur le Hezbollah libanais, il semble que cette lacune passagère ait été comblée depuis.
En effet, l'opération Plomb durci déclenchée par Tsahal le 27 décembre 2008 a bénéficié des renseignements nécessaires pour frapper le Hamas d'une manière particulièrement efficace sans causer trop de victimes collatérales, tout en ne provoquant pas les représailles d'envergure qui pouvaient être attendues. Pourtant, le Hamas avait bien pris soin de camoufler ses installations opérationnelles au milieu de la population palestinienne, bénéficiant en cela du fait que la densité démographique dans la bande de Gaza est l'une des plus importante au monde.
Ainsi, début 2009, quelques 120 des 200 tunnels clandestins reliant l'Egypte à la bande de Gaza auraient été détruits. Plusieurs centaines de membres du Hamas, dont certains hauts responsables, auraient été tués. Les pertes civiles collatérales – toujours inacceptables mais difficilement évitables – s'élèveraient à moins du quart des tués [1].
Par contre, il est extrêmement difficile pour Tsahal de détruire l'infrastructure militaire du Hamas. En effet, suivant l'exemple du Hezbollah libanais, de nombreuses installations enterrées – remplies d'armes diverses et variées fournies gracieusement par les services spéciaux iraniens – courent sous des édifices publics. Leur bombardement provoquerait des pertes civiles importantes qui, bien exploitées par la propagande pilotée par Téhéran, auraient des conséquences politiques incalculables. Toutefois, les mollahs iraniens se sont bien gardés de livrer des armes trop sophistiquées au Hamas. En effet, si le Hezbollah chiite a pu bénéficier d'une certaines largesse, avec par exemple la livraison de missiles Zelzal , le Hamas sunnite n'a pu mettre en œuvre jusqu'à aujourd'hui que des roquettes de type Grad dont la précision reste aléatoire. Pour Téhéran, il convient que ce mouvement palestinien reste ce qu'il est – une arme psychologique – sans qu'il ne soit tenté de développer un sentiment d'indépendance vis-à-vis de son mentor.
Rôle joué par Téhéran
Comme en 2006 lors de la guerre du Liban, les mollahs au pouvoir à Téhéran ont joué un rôle très fin dans le déclenchement des évènements de Gaza. Leur but final est d'amener les Américains à négocier directement avec eux, si possible en position de force, afin d'affirmer leur influence régionale prépondérante et surtout, d'assurer leur survie à la tête de l'Iran.
Les Iraniens ont profité de la relative vacance de pouvoir à Washington, en attendant l'intronisation, le 20 janvier prochain, de Barack Obama [2] et ont parié sur une absence de réaction d'Israël avant les élections prévues pour le 10 février. Ils ont demandé à leurs alliés du Hamas de rompre le cessez-le-feu en vigueur depuis des mois. Ils comptaient bien attirer Tsahal dans le « bourbier gazaoui » qui provoquerait une vague d'indignation planétaire au détriment d'Israël. A cette fin, ils ont activé tous leurs réseaux d'influence pour provoquer des manifestations de rues, particulièrement dans les capitales arabes mais également en Europe. La propagande a également fonctionné à fond. Ainsi, des étudiants iraniens volontaires pour commettre des attentats suicide ont défilé devant les caméras à Téhéran. Toutefois, les autorités les ont empêché de prendre des vols pour rejoindre la bande de Gaza. En effet, il est difficile de les acheminer chez les voisions de l'Etat hébreu, d'où ils pourraient agir : l'Egypte est en froid avec Téhéran et refoulerait certainement ces volontaires ; le Liban n'a pas besoin de candidats au martyre, le Hezbollah disposant largement de la ressource nécessaire. Le but de cette manifestation était à l'évidence purement médiatique et à usage interne car le monde estudiantin iranien est globalement opposé au pouvoir en place [3].
Cette opération a également pour but de donner un coup de pouce au Hamas, au dépens du Fatah – jugé trop proche des Occidentaux – alors que des élections palestiniennes pourraient être provoquée par le président Mahmoud Abbas dont le terme du mandat de quatre ans arrive à échéance le 9 janvier.
En résumé, une fois la nouvelle administration américaine en place, il est fort probable que des négociations incluant les Iraniens auront lieu pour tenter de calmer la situation au Proche-Orient. Le régime des mollahs verra ainsi s'éloigner le spectre d'une intervention militaire américaine ou israélienne sur son sol, ce qui lui permettra de terminer son programme nucléaire militaire en toute quiétude. Une fois doté d'une force de dissuasion, le régime des mollahs pense être à l'abri de tout projet de renversement venu de l'extérieur.
La guerre secrète menée contre Téhéran
Parallèlement aux opérations de renseignement qui avaient pour but d'identifier le plus précisément possible le dispositif du Hamas dans la bande de Gaza, les services israéliens étaient parfaitement conscients de la stratégie iranienne et ont poursuivi leur guerre secrète dirigée contre l'effort nucléaire de Téhéran.
Ainsi, le samedi 27 décembre, une explosion « accidentelle » est-elle survenue dans un complexe militaro-industriel de la province d'Ispahan. Bien évidemment, les autorités iraniennes n'ont pas dit dans quelle usine cet évènement dramatique – qui a causé la mort d'au moins huit techniciens – a eu lieu. Mais, il est de notoriété publique que de nombreux ateliers de cette région participent directement au programme nucléaire iranien. Il n'est donc pas illogique de penser que cette action est le résultat d'un sabotage mené dans l'un de ces sites par le Mossad qui s'évertue depuis des années à contrer le programme nucléaire iranien.
D'ailleurs, d'autres opérations du même type ont eu lieu dans un passé récent. Ainsi, une cinquantaine de centrifugeuses auraient été détruites sur le site de Natanz suite à des défauts de pièces achetées à l'étranger. L'homme d'affaire iranien Ali Ashtari arrêté en 2007, et pendu en novembre 2008 pour espionnage au profit d'Israël, aurait été mêlé à ce sabotage [4].
En janvier 2007, le physicien atomiste Ardeshir Hosseimpour est décédé « accidentellement » par une « intoxication due au gaz » dans une usine de conversion d'uranium à Ispahan. Des informations non confirmée font état de la mort d'autres techniciens lors du même incident qui serait en fait un empoisonnement aux matières radioactives. Le 26 juillet de la même année, une explosion toujours « accidentelle » survenait sur un site d'armes spéciales – qui effectuait le montage de têtes chimiques sur des missiles Scud C – situé à Moussallamiya dans la région d'Alep, en Syrie. 15 techniciens syriens et 10 de leurs homologues iraniens travaillant sur ce site trouvaient la mort. Le 12 février 2008, Imad Fayez Mugniyah, un des leaders opérationnels historiques du Hezbollah explosait avec sa voiture à Damas [5].
Peut-être plus important encore, le Mossad a informé le gouvernement israélien que Téhéran n'était pas prêt à déclencher une riposte à l'offensive de Tsahal. Ainsi, en dehors des déclarations enflammées faites par son leader Hassan Nasrallah, le Hezbollah s'est maintenu dans une position de réserve exemplaire. De plus, aucune action terroriste d'envergure n'a été déclenchée contre les intérêts israéliens, que ce soit en Israël même ou à l'étranger. Il faut cependant souligner que des mesures de protection préventives drastiques ont été mises en œuvre avant le déclenchement de l'opération Plomb durci .
Curieusement, les actions terroristes du mouvement d'opposition iranien Jundallah ( L'armée d'Allah ) dirigé par Abdolmalek Rigi se sont accrues depuis des semaines. Loin de mettre en péril le régime des mollahs, ce mouvement qui est soupçonné être aidé par le Mossad, représente tout de même pour Téhéran une préoccupation interne d'importance.
Enfin, le raid mené par l'aviation israélienne (opération Orchard ) sur un « site nucléaire » syrien situé dans la région de Deiz ez Zor, le 6 septembre 2007, a servi d'avertissement sans frais à Téhéran.
A noter que de nombreuses actions israéliennes ont été permises grâce aux renseignements fournis par le général des pasdarans Ali Reza Asgari, qui a fait défection en février 2007 dans des conditions rocambolesques [6].
*
L'offensive déclenchée contre le Hamas dans la bande de Gaza fait partie de la lutte menée par Israël contre Téhéran par acteurs interposées. Il s'agit d'une sorte d'avertissement musclé destiné à montrer aux mollahs que leur intérêt est de ne pas dépasser certaines limites au moment où ils peuvent envisager l'ouverture de négociations directes avec les Américains via le conflit irakien. La visite du Premier ministre irakien Nouri Al Maliki à Téhéran, initialement prévue à la fin décembre 2008, a débuté comme par hasard le jour même du déclenchement de l'offensive terrestre israélienne sur la bande de Gaza. Il est probable qu'Al Maliki est porteur d'un message de demande de modération rédigé par Washington.
Si par contre la situation venait à dégénérer du fait de Téhéran, il n'est pas impossible qu'une opération de bombardement des sites nucléaires iraniens puisse être déclenchée à son tour. Les Israéliens n'attendent que le bon prétexte pour convaincre les Américains de les laisser opérer, tout en leur demandant de leur donner un sérieux coup de pouce en autorisant le survol de l'Irak et en apportant une aide en renseignements et en logistique.
Tous les experts pensaient que 2009 serait une année décisive pour l'évolution de la situation géopolitique au Proche et Moyen-Orient. Ils ne s'attendaient pas à ce que cela débute si rapidement.
- [1] En plus du fait que la tactique qui consiste à s'abriter derrière les populations civiles est une des constantes dans les savoir-faire enseignés par Téhéran, il est parfois difficile de distinguer un adolescent d'un combattant palestiniens. En effet, au moment ou le monde occidental réprouve le statut d'enfant soldat, particulièrement en Afrique et en Extrême-Orient, personne ne semble rien avoir à redire à l'embrigadement de la jeunesse palestinienne dans des unités paramilitaires.
- [2] Et en en sachant que ce dernier s'est déclaré favorable à une discussion directe avec Téhéran.
- [3] Il ne s'agit pas d'une spécificité purement iranienne. Des tous temps, les étudiants de tous les pays ont été généralement opposés au pouvoir en place dans leur pays. Pourquoi ? C'est une question à laquelle les psychologues peuvent mieux répondre que l'auteur (qui a tout de même sa petite idée).
- [4] Voir NA 147 du 26/11/2008.
- [5] Voir NA 117 du 16/02/2008.
- [6] Voir NA 107 du 01/11/2007.