Dubaï/Israël : retour sur l’opération « Homo » contre un responsable du Hamas
Alain RODIER
Le 20 janvier 2010, Mahmoud al-Mabhouh, responsable du Hamas chargé de l’approvisionnement en armes du mouvement [1], est retrouvé mort dans la chambre 230 de l’hôtel Al Bustan Rotana situé à proximité de l’aéroport de Dubaï. Il est normalement allongé dans son lit, aucun désordre particulier ne régnant dans sa chambre qui est verrouillée de l’intérieur. Les enquêteurs ont toutefois rapidement des doutes quant à cette mort apparemment naturelle.
L’autopsie révèle que la soi-disant crise cardiaque qui lui a été fatale est en réalité une asphyxie qui est loin d’être normale. En effet, la victime aurait subi au préalable un choc électrique dont des traces de brûlures ont été retrouvées sur sa peau. De plus, une importante dose de succinylcholine, un puissant décontractant musculaire généralement utilisé lors d’intubations, a été trouvée dans son sang. Pour ce faire, les agresseurs lui auraient fait une injection dans une cuisse.
L’examen des multiples caméras de surveillance installées dans l’hôtel, à l’aéroport et dans un centre commercial voisin permet aux autorités d’identifier dans un premier temps onze personnes. La police de Dubaï ajoutera par la suite quinze autres suspects à sa liste. Il est d’ailleurs probable qu’une partie de ses suspects désignés n’aient rien à voir avec l’opération car le nombre de 27 personnes impliquées paraît beaucoup trop élevé pour mener à bien ce genre d’action.
L’opération et ses acteurs
En dehors des effets d’annonce qui ont été largement repris par la presse mondiale, il semble qu’il y ait quelques quasi-certitudes.
Bien que certains observateurs pensent que l’objectif des Israéliens consistait à enlever ce haut responsable du Hamas pour ensuite négocier sa libération en échange du soldat Shalit, il semble toutefois qu’il s’agissait bien d’une opération d’élimination physique baptisée Homo par les services spécialisés.
Le meurtre qui aurait été perpétré par quatre hommes aurait eu lieu entre 20h24 et 20h46. Au moins deux binômes assuraient la couverture de la phase cruciale de l’assassinat, l’un à l’étage de la chambre de la victime, l’autre dans le hall de l’hôtel. L’exfiltration des différents protagonistes s’est effectuée dans le calme et la discrétion, tous les acteurs ayant quitté Dubaï avant la découverte du crime.
Le Mossad paraît être le seul service qui avait les raisons et les compétences pour mener à bien cette action. Ce seraient des membres du Kidon (« baïonnette » en hébreu, le service action du Mossad) qui auraient été chargés de mener à bien cette opération. Sur les vidéos de surveillance on distingue bien les différentes équipes : filature, surveillance et action. Certains des opérateurs ( kidonim ) se déguisent en utilisant différentes tenues et des postiches. Il est même possible que leur apparence « originale » soit en fait déjà un maquillage destiné à égarer les recherches. En effet, des professionnels ne pouvaient ignorer la présence de nombreuses caméras de surveillance dont une partie avait été achetée en Israël.
Par contre, il semble que cette opération ait été menée dans une certaine urgence. En effet, le fait que les officiers du Mossad aient eu des faux papiers [2] aux noms de personnes existantes apporte certes de la crédibilité à court terme à ces « vrais-faux », mais permet ensuite aux enquêteurs de remonter à des personnes réelles, ce qui est une erreur de sécurité extrêmement grave. Seule l’urgence peut justifier cette précipitation. En effet, le montage d’une identité fictive crédible prend généralement beaucoup de temps. La question est donc : pourquoi cette précipitation ? La réponse est peut-être dans ce qu’allait chercher al-Mabhouh en Iran (il ne faisait qu’escale à Dubaï). Il y avait peut-être urgence à l’intercepter avant qu’il ne puisse aller plus avant.
Les conséquences pour le Hamas
Il n’en reste pas moins que cette opération est un succès. Non seulement un responsable important et historique du Hamas a été neutralisé, mais d’autres vivent désormais dans la crainte d’être visés à leur tour : « les terroristes sont désormais terrorisés », la peur ayant changé de camp.
Le Hamas a ainsi officialisé au début février une liste de cibles potentielles du Mossad, ce qui permet d’ailleurs de mettre à jour l’organigramme de cette organisation : Mohammed Deif, ancien chef des brigades Izz al-Din al-Qassam, gravement blessé dans un bombardement, il serait actuellement détenu en Egypte ; Ahmad Jabry, chef d’état-major des Brigades al-Qassam ; Marouane Issa, adjoint d’Ahmad Jary ; Abou Khaled Hijazi, chef des escadrons Haiman Judah ; Mohammed Haroub, cadre du Jihad islamique ; Abou al-Montaseir Omar, chef du département planification du Hamas ; Abou Qusai, cadre du Hamas chargé du recrutement ; Nader Jaber, chef des opérations des brigades al-Qassam ; Khaled Mansour, commandant le Jihad Islamique à Gaza ; Mohammed Sanwar, commandant les forces du Hamas à Gaza ; Mohammed Abou Shemala, commandant des forces du Hamas dans le sud de Gaza ; Ahmed Randouri, commandant des forces du Hamas dans le nord de Gaza.
Depuis le massacre des Jeux Olympiques de 1972, les Israéliens se sont régulièrement livrés à des opérations Homo [3] . La dernière connue a eu lieu le 12 février 2008 à Damas quand Imad Mughniyeh, le responsable opérationnel pour l’étranger du Hezbollah libanais, a été tué dans l’explosion de son véhicule.
Cependant, il semble que le Mossad ait sous-estimé la capacité de la police de Dubaï à exploiter les films pris par les nombreuses caméras de surveillance et à faire les rapprochements qui ont conduit au décryptage de l’opération. La sécurité des officiers du Mossad qui ont participé à cette opération ainsi que celle de leurs proches est désormais compromise. Non seulement ils ne peuvent plus quitter Israël, un mandat d’arrêt international pesant désormais sur leur tête même si leur identité n’est pas encore établie formellement, mais leur carrière au sein de Mossad semble bien compromise. Dans le meilleurs des cas, ils seront affectés à l’instruction durant un certain temps avant de rejoindre la vie civile.
- [1] Principalement en provenance d’Iran.
- [2] Les billets d’avion ont été payés avec des cartes de crédit délivrées par la MetaBank aux noms des personnes indiqués sur les faux passeports. Les 15 suspects supplémentaires ont également utilisé des cartes de crédit de cet établissement financier lors de leur séjour à Dubaï.
- [3] Les Israéliens avaient monté l’opération « colère de Dieu » qui consistait à pénétrer et à détruire le mouvement palestinien Septembre Noir (qui dépendait alors du Fatah) responsable de l’attaque de la délégation israélienne aux Jeux Olympiques de Munich. Onze Israéliens et un policier allemand ont été tués lors de l’attentat. 5 des 7 preneurs d’otages ont trouvé la mort lors de l’action. Le Mossad a ensuite exécuté plus d’une dizaine d’activistes palestiniens liés d’une manière ou d’une autre à l’attentat de Munich.