Afghanistan – Pakistan : les taliban dans la tourmente
Alain RODIER
Quoique puissent en dire les médias occidentaux, qui semblent souhaiter un désengagement rapide des forces multinationales, les taliban afghans et pakistanais rencontrent de multiples difficultés depuis le début de l’année 2010. Pour eux, cela rompt avec une série de succès remportés lors des quatre années précédentes. Bien sûr, cela ne doit pas occulter le fait que les pertes des forces de la coalition sont en très nette augmentation, particulièrement au sein des troupes américaines. Ce phénomène s’explique par le fait que ces dernières sont de plus en plus incisives et prennent souvent l’initiative des combats, ce qui ne peut se faire sans dégâts.
Les taliban afghans
En Afghanistan même, l’opération Moshtarak ( « Ensemble » ), qui engage pour la première fois de très importants effectifs de l’Armée Nationale Afghane (ANA) aux côtés des forces de la coalition, semble avoir remporté quelques succès dans la région de Marja, dans la province d’Helmand, au sud-ouest de l’Afghanistan. Même si ces succès ne sont pas purement « militaires », les insurgés refusant le combat selon les principes de la guerre asymétrique, il semble qu’une partie de la population soit en train de changer d’opinion, malgré les pertes collatérales provoquées lors de cette opération. En effet, les taliban auraient perdu une partie de leur prestige car, selon l’avis général, ils ont été contraints de fuir en laissant le terrain aux forces adverses. A noter que la coalition prend d’ailleurs grand soin de limiter autant que possible les pertes civiles et mène, parallèlement à l’offensive, une politique d’accompagnement civilo-militaire. Cela est fort important quand on sait que le concept de la guerre révolutionnaire qui est appliqué en Afghanistan a pour but la « conquête des esprits ».
L’offensive de printemps lancée par les Taliban, caractérisées par des attaques audacieuses dirigées contre des grandes bases américaines et à l’intérieur de Kaboul, si elle a rempli le but médiatique recherché, n’a pas eu de résultats tactiques probants. D’autre part, les pertes occasionnées par ces actions spectaculaires ont été lourdes au sein des forces insurgées. Il est à noter que depuis la guerre contre les Soviétiques, l’« offensive de printemps » est devenue une habitude : les combattants sortent de leurs réduits où ils ont passé l’hiver au chaud pour mener une série d’actions offensives plus ou moins coordonnées dans le temps. Le but est de montrer qu’ils sont toujours là.
En ce qui concerne les taliban afghans, leur chef opérationnel, le mollah Abdul Ghani Baradar a été capturé un peu par hasard en compagnie de cinq autres responsables taliban [1] et d’Al-Qaida par les forces de sécurité pakistanaises lors d’un raid qui a eu lieu à Karachi en janvier 2010. Le détail de la localisation de cette capture accrédite un peu plus la thèse qui prétend que des responsables des taliban afghans et d’Al-Qaida ne sont pas tous terrés dans les zones inhospitalières de la frontière afghano-pakistanaise, mais au contraire installés bien plus confortablement dans les mégapoles pakistanaises. Ils peuvent y trouver différentes facilités logistiques en matière d’approvisionnements, de transmissions, de santé, etc. Preuve en est l’arrestation à Karachi en début d’année d’Agha Jan Mohtasim, un des gendres du mollah Omar et ancien ministre des Finances taleb.
Baradar, le numéro deux des taliban afghans (juste après le mollah Omar) pourrait servir les intérêts de Kaboul et d’Islamabad. Les Pakistanais ont refusé de le livrer aux Américains et, par contre, se sont engagés à l’extrader vers Kaboul. La rumeur prétend que des tractations auraient eu lieu depuis le début de l’année entre Kaboul et les taliban aux Maldives. Or Baradar, à la différence de nombreux autres responsables taliban, est considéré comme un personnage censé et relativement ouvert sur l’extérieur. Il pourrait même avoir rencontré Ahmed Wali, un des frères du président Karzaï, lors d’un séjour en Arabie saoudite ! A terme, il pourrait donc être considéré comme un interlocuteur valable au sein des taliban dont il pourrait fédérer une certaine partie des forces.
Parallèlement, le mollah Abdul Kabir, ancien gouverneur de la province de Nangarhar du temps où les taliban étaient au pouvoir – aujourd’hui membre de la Shura de Quetta (conseil des taliban afghans basé à Quetta au Pakistan) et responsable militaire pour l’est de l’Afghanistan – a été arrêté à Nowshera près de Peshawar.
De son côté le clan de Jalaluddin Haqqani – une des factions taliban afghans, qui reste indépendante mais puissante – vient de connaître une perte importante. Mohammed Siraj Haqqani, un des fils du vieux leader charismatique et frère de Sirajuddin Haqqani, l’actuel chef du clan, a été tué par un drone américain dans la région de Dande Darpa Khel au Pakistan.
Pour leur part, les milices du chef de guerre Gulbuddin Hekmatyar (Hezb-i-Islami Gulbuddin) affrontent effectivement le pouvoir central de Kaboul et les forces coalisées, mais parfois s’opposent aux taliban dont ils ne sont que des alliés de circonstance. Cela est arrivé au début mars dans la région de Baghlan où des affrontements auraient causé la mort de plus de 50 personnes. De plus, Hekmatyar a tenté de négocier une « paix séparée » avec Kaboul. Ses exigences ont été jugées trop extravagantes pour que le processus aboutisse et pourtant, le président Karzaï était preneur !
Les taliban pakistanais
Quant aux taliban pakistanais, ils traversent actuellement une crise sans précédent. Hakimullah Mehsud, le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), mouvement insurgé qui regroupe de nombreuses factions islamistes, a été annoncé tué par un drone américain en janvier 2010. Mais, des informations reçues fin avril laissent entendre qu’il serait encore en vie et réfugié au Nord-Waziristan. Toutefois, il semble que son état physique ne lui permette pas de continuer à assumer des responsabilités. Sa succession risque d’être assez compliquée et de provoquer des conflits internes.
Or, le TTP est aujourd’hui en guerre ouverte avec d’autres mouvements fondamentalistes qui n’ont pas voulu le rejoindre. Ainsi, il s’en est pris au Laskhar-e-Taiba al-Alami , un groupe qui a fait sécession avec le Laskhar-e-Taiba , une de ses principales composantes très active au Cachemire.
Le 18 février, le TTP aurait organisé deux attentats qui ont visé des activistes du Laskhar-e-Islam dans le district de Khyber, secteur stratégique par lequel transite une partie importante de la logistique des forces de l’OTAN présentes en Afghanistan. Une cinquantaine de victimes ont été relevées suite à ces actions.
Le 27 février, c’est au tour de Qari Mohammad Zafar, l’émir du Lashkar-e-Jhangvi de trouver la mort lors d’un tir de drone au Nord-Waziristan. En ce qui concerne les forces de sécurité, une clarification est venue à point nommé. En effet, le général Ashfaq Kiyani, le chef des armées pakistanaises, a déclaré qu’il n’existait pas de « bons et de mauvais » taliban. Pour lui, ils sont tous considérés comme des ennemis d’Islamabad. D’ailleurs, un certain nombre de fonctionnaires des services de renseignement (Inter Services Intelligence/ISI) auraient été relevés de leurs fonctions en raison des liens trop étroits qui les unissent aux taliban. Cela contredit les critiques qui prétendent que le pouvoir en place à Islamabad continue à mener une politique ambiguë vis-à-vis des taliban. En effet, les documents confidentiels sortis par le site Wikileaks.org en juillet 2010 tendent à prouver le contraire. Toutefois, en analysant avec attention le contenu de ces « révélations », il semble que seuls quelques éléments de l’ISI ou des retraités des services soutiennent encore les taliban.
Parallèlement un autre signe politique fort vient d’être donné par l’Inde qui a décidé de rouvrir les négociations avec le Pakistan sur le sort du Cachemire. Ces pourparlers avaient été interrompus après les attaques de Bombay de novembre 2008. Cette décision n’a pas été remise en cause par l’attentat de Pune du 13 février qui a fait 12 tués et 32 blessés. Un apaisement des tensions entre les deux Etats est un point négatif pour tous les activistes islamiques pakistanais qui comptent sur un conflit entre les deux pays pour asseoir leur position.
Les Américains sont donc en train de marquer des points grâce à la politique civilo-militaire appliquée sur le théâtre afghano-pakistanais (AFPAK). Par exemple, la décision annoncée du président Barack Obama de commencer à retirer ses troupes d’Afghanistan courant 2011 a poussé les responsables afghans et pakistanais à prendre leurs responsabilités. Ensemble, ils examinent quelle politique doit être menée vis-à-vis de leurs taliban respectifs. D’autre part, ces derniers se retrouvent sans arguments valables à asséner aux populations qui commencent à douter de leur crédibilité.
L’aide pécuniaire accordée par Washington à ces deux Etats les pousse également à trouver des solutions rapides et efficaces, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption.
La stratégie de l’accroissement de l’emploi de drones armés au Pakistan paraît aussi porter ses fruits, les activistes fondamentalistes ne se sentant plus en sécurité dans les zones tribales du nord-ouest du pays.
Toutefois, il serait prématuré de crier victoire. La guerre qui se déroule actuellement en zone AFPAK est très loin d’être gagnée. Les populations y sont traditionnellement rétives à tout pouvoir central, qu’il soit basé à Kaboul ou à Islamabad. L’Occidental considéré comme un envahisseur aux mœurs dépravées y est honni, même si les règles ancestrales de l’hospitalité peuvent parfois laisser croire le contraire. S’il veut être payant, l’effort doit donc être poursuivi avec patience et obstination. Toutefois, les populations occidentales sont-elles disposées à cet effort avec les coûts humains et financiers que cela provoque ? On peut raisonnablement en douter…
- [1] Dont les mollahs Abdul Salam, Mohammed Yunis et Mir Mohammad, qui seraient les « gouverneurs » talibans des provinces afghanes de Kunduz, Zabul et de Baghlan.