Le financement de Daesh
Bernard OWEN
Docteur en science politique de l’université Panthéon-Sorbonne (Paris I), directeur du Diplôme d’université « Administrateur d’élections » à l’université Panthéon-Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages.
Dernier livre paru : Proportional Western Europe : The Failure of Governance, Palgrave-MacMillan, 2013.
Le 13 novembre 2014, le Dr. Matthew Levitt du Washington Institute for Near East Policy a présenté devant le Comité des services financiers de la Chambre des Réprésentants, la façon dont l’Occident se doit de coordonner les moyens de contrôler les fonds considérables qui circulent à travers le monde.
Son exposé s’est concentré sur la situation financière de « l’Etat islamique » (Daesh). Il a reconnu que les frappes aériennes, grâce à la haute technicité des nouvelles armes, commencent à produire leur effet, mais il a affirmé qu’il fallait également mettre de l’ordre dans les pratiques des Etats pétroliers du Moyen-Orient. Rappelons que les Etats-Unis sont incomparables quand il s’agit d’étudier et de contrôler la source des capitaux.
De cette étude il ressort que Daesh disposait, au départ, de fonds considérables, mais vite insuffisants quand il lui fallu administrer tout un territoire. Aujourd’hui, ses fonds proviennent en premier lieu de la vente de pétrole illicite et de dons de riches mécènes. Le revenu de Daesh est estimé à 3 millions de dollars par jour, avec un capital proche de 2 milliards de dollars. L’organisation terroriste exploite 20% du pétrole extrait des puits qu’elle contrôle en Irak et en Syrie. Cette production illicite est acheminée à dos d’âne ou par des tunnels souterrains – traversant les champs ou parallèles aux rues des villages – dans les pays voisins.
L’autre source de revenus provient de donateurs originaires d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït. Le State Department considère que des mécènes, qui souhaitent investir en Syrie, le feront par l’Arabie saoudite en passant par le Koweït.
Une autre source provient des sites archéologiques pillés, avec un revenu impossible à chiffrer, mais qui serait à peu près égal à celui du pétrole. Par exemple, en 2007, à New York, la sculpture d’un lion a été vendue aux enchères 50 millions de dollars.
Le sous-secrétaire d’Etat David Cohen a également présenté la stratégie du Trésor des Etats-Unis qui impose des actions drastiques et des interdictions pour toute organisation impliquée d’une façon ou d’une autre dans le transfert ou la vente de pétrole illicite. Il suit avec attention les difficultés d’accès de Daesh au système financier international et, malgré l’aggravation de la situation au Moyen-Orient, il a confiance dans les possibilités d’action du Trésor américain.
David Cohen considère notamment que la juridiction du Qatar est laxiste. Cet Etat a souhaité persuader la chancelière Angela Merkel qu’il ne finançait en rien le terrorisme et vient de créer un nouvel organisme chargé de contrôler les financements illégaux. Malheureusement, le Qatar a la réputation de créer des lois spectaculaires qui ne sont jamais appliquées. Le FMI qui s’est rendu sur place s’est aperçu de l’absence d’application des textes.
Les profonds bouleversements du Moyen-Orient, dans tous les domaines, font couler beaucoup d’encre. Les réflexions en cours concernent tout ce qui compose une nation, et vont jusqu’à la recomposition des frontières (cf. Pierre Hillard La composition géopolitique programmée au Moyen-Orient, 2010).
« L’Etat islamique », qui se veut une entité souveraine, pourra-t-il s’entendre indéfiniment avec les monarchies du Golfe et leurs régimes autoritaires ? Si Europe, les attentats et leurs effets terribles ne remettent pas en cause les institutions, il pourrait en être différemment au Moyen-Orient. Ces pays sont vulnérables et n’oublions pas que lors de l’invasion du Koweit par Sadam Hussein en 1990, celui-ci a été acclamé par les Palestiniens qui s’y étaient réfugiés.