L’importance de la Nouvelle-Calédonie pour l’Australie et le reste du monde
Nicholas FLOYD
Lieutenant-colonel
Chief of Army Visiting Fellow
Lowy Institute for International Policy, Sydney, Australie
http://www.lowyinstitute.org
Tout au long de son histoire, la position stratégique de la Nouvelle-Calédonie, permettant la surveillance des approches du Pacifique Sud, a contrasté avec son isolement, tandis que la richesse et la diversité des ressources de l’archipel sont limitées par son accessibilité et sa vulnérabilité.
Alors que la Nouvelle-Calédonie a attiré à plusieurs reprises l’attention de l’Australie et du reste du monde au cours de son histoire récente, elle est aujourd’hui rarement sous les feux de l’actualité, sauf peut être en tant que destination touristique. Malgré cela, son importance ne peut être ignorée : dans certains domaines, l’intérêt international est fluctuant, dans d’autres il défie le temps, à l’image de ces montagnes de latérite qui constituent l’épine dorsale de la Grande Terre.
Les ressources naturelles
Il existe différentes façons d’apprécier l’importance stratégique d’un pays. Son potentiel militaro-industriel fait partie des critères naturels ; mais l’indicateur de qualité de vie doit être considéré comme un autre facteur pertinent, d’autant qu’il va devenir de plus en plus essentiel au cours de ce siècle. Cette approche holistique est vitale si l’on veut appréhender la vraie capacité d’un territoire à jouer un rôle dans le cadre du développement durable de notre planète.
Les minerais de chrome, de fer, de cobalt, de manganèse, d’argent, d’or, de plomb, de cuivre et bien sûr de nickel dominent l’éventail des ressources disponibles en Nouvelle-Calédonie, qui détient plus de 25% des réserves mondiales de nickel. Bien que les prix sur le marché mondial des matières premières varient sans cesse, il est hors de doute que ce minerai va demeurer un produit de base essentiel pour de nombreuses activités industrielles, telles que la production de véhicules, d’armements, de matériel de construction et de composants. Seuls les prix que ces minerais pourront atteindre et la capacité de la Nouvelle-Calédonie à tirer parti de ces ressources relèvent à ce jour de l’analyse prospective.
A l’exportation, les partenariats se recentrent vers de nouveaux pôles et ce phénomène va persister tant que la soif industrielle des économies asiatiques en plein développement ne sera pas étanchée. Même si on ne peut exclure quelques tensions potentielles entre la Nouvelle-Calédonie et l’Australie, le marché des minerais devrait continuer à se développer à l’avantage de l’ensemble des fournisseurs.
De la même façon que l’un des objectifs du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale était de sécuriser son approvisionnement en nickel calédonien pour la production d’armement des pays de l’Axe, il est tout à fait vraisemblable que des situations similaires se reproduiront à l’avenir. L’intérêt et les investissements étrangers en Nouvelle-Calédonie et chez ses voisins de l’arc mélanésien apparaissent parfois disproportionnés aux yeux des autres pays du Pacifique moins bien dotés en ressources naturelles. Pourtant cette tendance ira nécessairement en s’affirmant. L’Australie dispose de ses propres ressources minières, mais il lui importe néanmoins que la Nouvelle-Calédonie soit entre de bonnes mains.
Même si son PIB par habitant est supérieur à celui de la Nouvelle-Zélande, l’économie intrinsèquement déséquilibrée de la Nouvelle-Calédonie représente un défi pour son avenir politique. Actuellement, le déséquilibre de son commerce extérieur se retrouve noyé au sein des chiffres globaux de la France. Mais si, dans des circonstances futures, la Nouvelle-Calédonie ne faisait plus partie d’un tel ensemble commercial cohérent, son économie aurait besoin d’une restructuration en profondeur afin de diminuer la vulnérabilité de ses secteurs clés et elle devrait nouer rapidement des relations avec de nouveaux partenaires commerciaux.
L’énergie est un bon exemple de vulnérabilité: c’est un élément vital pour l’industrie minière, mais les ressources énergétiques de la Nouvelle-Calédonie sont très modestes, et même l’hydroélectricité constitue une alternative problématique à une forte dépendance aux énergies fossiles. En outre, les vastes quantités d’énergie qu’exige l’extraction impactent sur l’environnement et condamnent la Nouvelle-Calédonie à générer l’une des plus fortes empreintes-carbone par habitant du Pacifique, une situation comparable aux mauvaises performances de l’Australie en la matière. Le secteur des énergies renouvelables se développe rapidement : il couvre actuellement 16% des besoins domestiques, notamment à travers la production d’énergie éolienne et solaire. Comme le reste des îles du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie représente un champ d’investissement difficile mais incontournable pour les entreprises australiennes opérant dans le secteur des énergies renouvelables.
Les ressources vivantes de Nouvelle-Calédonie présentent une image contrastée. L’archipel dispose d’une faune et d’une flore d’une incroyable diversité eu égard à la faible superficie de l’île, mais l’échelle et la diversité ne sont pas les seules raisons pour lesquelles l’écosystème calédonien doit être considéré comme essentiel. L’archipel est situé dans le courant marin est-australien, là où il s’approche de l’Australie en provenance de l’équateur : il réunit les chaînes alimentaires et les cycles de vie des deux hémisphères avec le reste du Pacifique sud, dans une symbiose que l’humanité n’a pas encore totalement appréhendée. La disparition de certains écosystèmes marins dans l’un des hémisphères serait, par exemple, susceptible d’affecter de manière irrémédiable les ressources pélagiques des pays riverains. Cette interaction souligne l’importance d’une collaboration forte entre l’Australie et ses voisins du Pacifique pour protéger les ressources marines, mais également pour partager des informations relatives à la sécurité maritime.
Le patrimoine maritime calédonien ne se limite pas à ses seules ressources marines. Sa zone d’exclusion économique (ZEE) couvre 1,74 million de km², une superficie supérieure à celle de la France métropolitaine et de sa propre ZEE combinée. En outre, la France a récemment obtenu une extension substantielle de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie (extension du plateau continental/EPC) après avoir saisi avec succès la Commission sur les limites de la plateforme continentale. Les ressources qui se trouvent sous la mer sont appelées à devenir de plus en plus précieuses tant que l’humanité maintiendra sa pression sur les ressources terrestres et que les techniques d’exploration et d’extraction sous-marines continueront de s’améliorer. Le projet ZONECO (Zone économique de Nouvelle-Calédonie) permet actuellement de mener à bien la cartographie des fonds marins et de mieux inventorier les ressources de la ZEE et de l’EPC.
Situation géographique
Les ressources de la Nouvelle-Calédonie sont donc suffisantes pour mériter la considération des Etats de la région. Mais, la position géographique de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique Sud est tout autant digne d’intérêt. Avant même que le capitaine Tardy de Montravel n’établisse l’avant-poste de Port-de-France (maintenant Nouméa), le 18 août 1854, les explorateurs, les missionnaires et ceux qui faisaient commerce du bois de santal et des bêches de mer, avaient bien perçu l’intérêt stratégique de son port naturel. Peu de ports dans le Pacifique Sud – à part Port Jackson – ont un potentiel équivalent. Durant l’époque coloniale, la population calédonienne, isolée et parfois paranoïaque, l’a perçu comme un patrimoine susceptible de justifier une invasion de la part de l’Australie. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, le potentiel de Nouméa en tant que base logistique pour le Pacifique a tout d’abord été convoité par les Japonais avant d’être exploité par les Alliés, jusqu’à un point tel qu’à la fin de la guerre, seul le port de San Francisco dépassait Nouméa en tonnage traité.
L’exploitation de possibilités de projection maritime de la Nouvelle-Calédonie a connu des hauts et des bas au cours des cent soixante ans d’occupation européenne, mais les atouts naturels de l’île ne sont pas contestables, que l’on parle de la baie de Dumbéa, de celle de Népoui ou de Thio. Au-delà de la montée en puissance de l’aéroport de La Tontouta, observé tout au long de la guerre, d’autres bases aériennes américaines gigantesques ont été développées, telle que celle de la plaine des Gaiacs, rendues par la suite à la nature.
La ZEE de la Nouvelle-Calédonie se situe dans le prolongement de celle de l’Australie, des Fidji, du Vanuatu et des Iles Salomon, et à proximité de celle de la Nouvelle-Zélande, de la Papouasie Nouvelle-Guinée, de la Polynésie et de la Micronésie. La Nouvelle-Calédonie occupe ainsi une position centrale qui légitime, en toute logique, un rôle de base logistique pour tous les liens transpacifique. Cet atout a fortement influencé la décision de la France d’annexer le territoire en 1853 et reste un facteur clé dans l’accord tripartite France-Australie-Nouvelle-Zélande (FRANZ) pour la surveillance maritime, l’assistance d’urgence et l’aide humanitaire dans le Pacifique.
L’accord de coopération de Défense entre la France et l’Australie, signé en 2009, rapproche les parties de manière à offrir un cadre légal aux activités communes. Les exercices récurrents tels que Croix du Sud et les situations d’urgences réelles, de plus en plus fréquentes, illustrent l’importance et les bénéfices d’une telle entente opérationnelle. Au niveau global également, la France et l‘Australie ont des points de vue similaires sur les dossiers tels que le contre-terrorisme, la lutte contre le crime organisé, les interventions extérieures et les actions de stabilisation comme en Afghanistan.
Naturellement, il existe un contrechamp français à la perspective australienne qui considère la Nouvelle-Calédonie comme un point de passage stratégique : il justifie à la fois sa présence en Pacifique et son soutien aux affaires régionales. La Nouvelle-Calédonie donne à la France un moyen de projeter son pouvoir et son influence. Mais l’isolement extrême de l’île par rapport à l’Europe la conduit à travailler avec les pays proches en fonction d’objectifs communs. D’où les mots du ministre français de la Défense, Hervé Morin, pendant sa visite en Australie, en septembre 2008 : « La France est en train de restructurer ses capacités de défense et nous avons décidé que la Nouvelle-Calédonie allait devenir une base majeure dans le Pacifique. Nous avons décidé ceci parce que la Nouvelle-Calédonie est proche de l’Australie et pour nous, cette base constituera le moyen avec lequel nous allons développer notre coopération avec l’Australie ».
L’éloignement de la Nouvelle-Calédonie par rapport à son mécène européen est à la fois une chance et une contrainte pour ses habitants. Quelque soit sa destinée, il est incontestable que la Nouvelle-Calédonie est et restera une pièce maîtresse des affaires stratégiques dans le Pacifique. Qu’elle reste une partie de la France à laquelle Paris donnera une plus grande autonomie ou qu’elle devienne indépendante, la Nouvelle-Calédonie doit développer et renforcer ses liens avec ses voisins du Pacifique et ses partenaires commerciaux du sud-est asiatique, ce qu’elle a d’ores et déjà commencé à faire. Devenir membre à part entière du Forum des îles du Pacifique et des institutions régionales les plus marquantes telles que le Groupe du Fer de Lance offrirait à la Nouvelle-Calédonie l’opportunité de développer ses relations et sa compréhension de l’environnement régional, en cohérence avec sa participation active au sein d’organisations telles que le Secrétariat de la Communauté du Pacifique et l’Agence des Pêches du Forum. Dans chacune d’entre elles, le défi de la langue est essentiel et il est peu probable qu’il diminue dans une région du monde de plus en plus globalisée et anglophone.
Dans les domaines de la connaissance et de la technologie, la Nouvelle-Calédonie offre des programmes de qualité, qui pourraient être bénéfiques pour les pays voisins autant que pour elle-même. L’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Université de Nouvelle-Calédonie sont des exemples de portails régionaux français pour les sciences, la recherche et les programmes de développement qui méritent une meilleure intégration au sein d’autres initiatives Pacifique. Un défi de plus pour la Nouvelle-Calédonie et ses voisins, susceptible de déboucher sur un résultat gagnant/gagnant.
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Les ressources minérales de la Nouvelle-Calédonie vont jouer un rôle de plus en plus important dans une économie mondiale chaque jour davantage industrialisée. Par ailleurs, l’emplacement de l’île sur les routes du commerce maritime, comme sur les grands axes écologiques, la met dans une position de surveillance unique de tous les flux qui traversent le Pacifique Sud. Mais au final, c’est la façon dont la Nouvelle-Calédonie s’engagera avec ses voisins et partenaires qui définira l’importance de son influence dans la région et au-delà. Ce sera le cas que la Nouvelle-Calédonie demeure partie intégrante de la France, ou devienne une nation souveraine.