Lutte anti-terroriste dans le district du Caucase du Nord
Ivan SOUKHOV
Ivan Soukhov
Journaliste à Vremya Novostey (Russie)
Cet article a été publié le 30 août 2010 sur le site d’information agentura.ru (http://www.agentura.ru/dossier/russia/people/sukhov/counterterrorism/).
Le propriétaire du site, le journaliste russe Andrey Soldatov, a bien voulu en autoriser la reproduction.
L’article a été traduit du russe par Philippe Botto
Le 19 janvier 2010, le président Medvedev a décidé la création du District du Caucase du Nord (DCN). Depuis la mise en place de cette nouvelle structure administrative, les acteurs sécuritaires russes ont enregistré certains succès sur le front nord-caucasien. Ainsi, plusieurs leaders de l’Imarat du Caucase ont-ils été abattus ces sept derniers mois. Parmi eux : le prédicateur Saïd Bouriatskiy, populaire auprès de la jeunesse nord-caucasienne, le responsable de l’attaque de Naltchik de 2005, Anzor Astemirov, et le chef de la guérilla daghestanaise, Magomedali Vagabov. Les services de sécurité de la Fédération de Russie ont, par ailleurs, été en mesure, de capturer vivant l’Emir Magas. Ce dernier, que l’on tient pour l’organisateur de la prise d’otages de Beslan en 2004, assumait la responsabilité du secteur ingouche de l’insurrection nord-caucasienne.
Il est clair, toutefois, que ces succès n’ont pas mis un terme à l’activité insurrectionnelle dans le Caucase-Nord. Ces derniers mois, les combattants ont été en mesure de perpétrer une série d’attentats retentissants. En mars dernier, des femmes kamikazes se sont fait exploser dans le métro de Moscou. En juillet, la centrale hydro-électrique de la république de Kabardino-Balkarie a fait l’objet d’une attaque terroriste. En août, un attentat à l’explosif a été perpétré à Piatigorsk.
Ce dernier attentat, qui a coûté la vie à 20 personnes, semble d’ailleurs constituer un avertissement direct adressé au nouveau représentant plénipotentiaire du Président russe dans le district du Caucase du Nord, Alexandre Khloponine. En effet, quoiqu’il en soit de ses commanditaires, qu’il s’agisse des insurgés ou de clans caucasiens, cet attentat vient contredire toutes les tentatives de Khloponine pour convaincre les investisseurs que le nouveau district est en mesure d’être pacifié.
Par ailleurs, il semble bien que la création du district du Caucase du Nord n’a pas conduit à un renouvellement des savoir-faire dans le domaine de la lutte antiterroriste dans le Caucase du Nord. Les structures de commandement traditionnellement en charge des opérations spéciales dans cette aire sont demeurées
en place depuis la création du nouveau district. En outre, les changements intervenus depuis le 19 janvier ne permettent pas de conclure à un possible renforcement des positions de Khloponine dans l’appareil sécuritaire chargé du suivi du Caucase du Nord. A l’inverse, il n’est pas à exclure que le président de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, puisse y jouer un rôle croissant à l’avenir.
Le civil Khloponine face aux acteurs sécuritaires
Dans le Caucase du Nord, la responsabilité de la lutte antiterroriste revient en partage à plusieurs structures de force : les directions régionales du Service Fédéral de Sécurité (FSB), le renseignement militaire (GRU), la Direction centrale des affaires intérieures pour le District Sud de la Fédération de Russie et le district du Caucase du Nord, le commandement régional des troupes du ministère l’Intérieur dans le DCN, les forces spéciales et, à un degré moindre, les unités de la police locale.
Rien n’indique que, depuis ces sept derniers mois, l’on assiste à un renforcement de la présence militaire dans la région du Caucase-Nord. Au nom du principe d’ « optimisation » en vigueur dans le cadre de la réforme militaire, on a pu, à l’inverse, observer une réduction des effectifs des brigades des forces spéciales du renseignement militaire stationnées dans les districts de Krasnodar et de Stavropol.
Symétriquement, les structures de force locales n’ont pas été renforcées. Il en va ainsi en Ingouchie où les autorités ont vainement sollicité, dès le début de l’année 2009, la création d’un nouveau bataillon au sein de son ministère de l’Intérieur. Au final, seuls quelques hommes ont été mis à sa disposition, qui plus est, par le ministère de la Défense. De façon générale, il semble bien que les réformes impliquées par la création du nouveau district n’ont porté, pour l’essentiel, que sur la dimension « civile » de la direction des affaires nord-caucasiennes. Chargé au premier chef d’attirer les investissements dans la région et de permettre la réhabilitation sociale et économique de celle-ci, Alexandre Khloponine s’est vu confier, dès le départ, une mission à caractère essentiellement civil.
Répondant des transferts financiers émanant du Centre fédéral en direction des républiques nord-caucasiennes, Khloponine devra, pour ce faire, s’appuyer sur l’Institut du Développement créé sur la base de la Banque du commerce extérieur. Ces financements ont pour but de remplir une mission de pacification et de prévention du terrorisme, l’idée étant qu’une nette amélioration de la situation économique et sociale dans le Caucase du Nord ne manquera pas de détourner les populations civiles de la tentation de rejoindre les rangs des insurgés.
Même si l’on excepte le fait que nombreux sont les Nord-Caucasiens à prendre les armes au nom de leurs convictions personnelles et non pas du fait de la pauvreté, on n’échappe pas à un cercle vicieux. Alexandre Khloponine a reçu pour mission d’attirer les investissements dans une région qui se trouve de fait en proie à la guerre et dont la situation, par là même, n’est aucunement propice aux investissements. Les projets de financement sont censés éteindre le brasier, mais tant que l’incendie fait rage, il ne saurait être question d’investir. Depuis qu’il se trouve à la tête du district du Caucase du Nord, le représentant plénipotentiaire du président Medvedev s’est heurté à cette vérité massive selon laquelle il ne peut s’acquitter de sa mission civile sans lui adjoindre un volet sécuritaire. Nombreux, dès la création du nouveau district, pensaient que Khloponine recevrait tôt ou tard les pleins pouvoirs dans le domaine des affaires de sécurité. En effet, l’expérience des années passées avait clairement montré que les opérations militaires conduisent à des dépenses
conséquentes et que le système complexe dans lequel se trouvent impliqués plusieurs services de niveaux de subordination différenciés mérite d’être corrigé.
Prenons l’exemple de l’Ingouchie où, entre 2002 et 2008, les structures de force fédérales ont reçu, de fait, carte blanche du commandement central et des autorités locales. Le succès affiché des opérations anti-terroristes s’est traduit, dans la réalité, par une démultiplication du nombre des insurgés. Par ailleurs, les témoignages recueillis auprès de la population locale indiquent clairement que les différentes structures de force engagées sur le théâtre des opérations se sont trouvées dans l’incapacité de coordonner efficacement leurs actions. Très régulièrement, ces dysfonctionnements ont conduit à des erreurs et des fautes au point même que les différentes forces en présence en sont venues à s’affronter sur le terrain.
En outre, il est à noter que la population locale dans le Caucase est convaincue que les responsables des structures de force, que ce soit au niveau de la région, du district ou du centre fédéral, cherchent à maintenir la région dans un état d’instabilité afin de continuer à bénéficier d’un haut niveau de financement.
L’on ne saurait mettre fin à ces accusations, qui portent atteinte à l’image du pouvoir russe dans le Caucase, sans placer l’ensemble des structures de force opérant dans la région sous le contrôle exclusif du responsable civil du nouveau district. Pour faire plus simple, Khloponine aurait dû pouvoir accéder à toutes les informations concernant l’organisation des services actifs sur le terrain, leurs missions concrètes ainsi que leurs pertes. Idéalement, il aurait dû se voir reconnaître le droit de valider ou de ne pas valider chacune des opérations menées par les responsables de l’appareil sécuritaire. Ces mesures auraient permis, avec le temps, d’optimiser le fonctionnement des services de sécurité opérant sur le territoire du district du Caucase du Nord et de renforcer leur efficacité, en particulier si l’on s’était préalablement décidé à créer une base de données commune aux différentes structures opérationnelles concernées. Ces mesures, toutefois, n’ont pas été adoptées. Le district du Caucase du Nord, jusqu’à ce jour, ne dispose pas de ses propres services de sécurité. Seule une direction en charge du DCN a vu le jour au sein du ministère de l’Intérieur, et l’on ne dispose, à cette heure, d’aucune information indiquant que le FSB, le ministère de la Défense ou le commandement des troupes du ministère de l’Intérieur auraient l’intention de coordonner, d’une quelconque façon, leur action dans la région avec les responsables civils du district.
Dans un premier temps, c’est le général Evgueni Lazebine qui a assuré la Direction du ministère de l’Intérieur en charge du District du Caucase du Nord. Ce dernier a longtemps servi dans le Groupe fédéral unifié en Tchétchénie, lequel a pratiquement cessé d’exister depuis la proclamation de la fin de l’opération antiterroriste en Tchétchénie, en avril 2009. C’est le général Sergueï Tchentchkik qui, en mai de cette année, lui a succédé.
Malheureusement, le passé des collaborateurs de Khloponine en charge des affaires sécuritaires ne permet pas de nourrir des espoirs quant à une réforme substantielle de la direction des structures de force opérant dans le Caucase-Nord.
Le fait est que les responsables des forces fédérales en Tchétchénie ont, entre 2004 et 2009, établi des contacts par trop étroits avec Ramzan Kadyrov. Ce sont eux qui ont contribué à transférer l’essentiel des missions sécuritaires aux structures de force locales, lesquelles, on le sait, comptent dans leurs rangs un nombre conséquent de combattants repentis. Par voie de conséquence, l’on peut affirmer qu’une partie du commandement des forces fédérales a considérablement favorisé l’autonomisation de la république de Tchétchénie dans le domaine de la lutte anti-terroriste. Par la suite, ces mêmes responsables militaires ont contribué à la montée en puissance de l’influence politique de Ramzan Kadyrov. Selon de nombreux
observateurs, il en va ainsi d’Arcady Edelev, l’ancien chef de l’état-major opérationnel régional en Tchétchénie, aujourd’hui adjoint de Khloponine pour les questions relatives à la coopération transfrontalière. Edelev, le 18 février 2010, a été démis de ses fonctions de ministre adjoint de l’Intérieur par oukase présidentiel. Presque aussitôt, il a fait son apparition dans les services du représentant plénipotentiaire du président russe au Caucase du Nord. Il est clair qu’en dépit des fonctions qui lui sont officiellement dévolues, et qui ne s’étendent qu’au cercle étroit des questions frontalières, l’insubmersible général conserve une influence d’importance au sein de l’appareil et demeure, comme auparavant, étroitement lié à Ramzan Kadyrov.
Evgueni Labezine, le premier responsable en date de la Direction du ministère de l’Intérieur pour le District du Caucase du Nord, appartient également au nombre de ceux qui ont plaidé pour l’autonomie de la Tchétchénie et le renforcement des pouvoirs de Kadyrov.
Son successeur, Sergueï Tchentchkik, dispose, quant à lui, d’une expérience opérationnelle dans le cadre des guerres locales. Dans les années 1990, il a dirigé un détachement à destination spéciale sur le territoire tchétchène et joui d’une grande popularité auprès de ses subordonnés. Ces dernières années, Tchentchkik a travaillé à l’appareil central du ministère de l’Intérieur, en partie comme adjoint du chef du Département en charge de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Au vu de ses états de service et de sa spécialisation, l’on peut espérer qu’il organisera avec succès l’action du ministère de l’Intérieur dans le District du Caucase du Nord. Il faut cependant reconnaître que Tchentchkik ne dispose que de peu d’influence au sein de l’appareil du DCN, ce qui ne lui permet pas de rivaliser avec ceux qui ont, de longue date, établi des relations d’amitié avec le président de la république de Tchétchénie.
Vladimir Chvetsov, l’adjoint de Khloponine pour les questions sécuritaires, se trouve pour ainsi dire dans la même situation que Tchentchkik. La nomination, au printemps dernier, de cet ancien chef de la section locale du FSB pour l’Ossétie du Nord dans l’équipe de Khloponine a été favorablement accueillie par nombre d’experts. L’Ossétie du Nord a, de fait, pendant de longues années, jouer le rôle de centre de coordination pour les opérations spéciales conduites dans le Caucase du Nord. Par ailleurs, le centre de détention provisoire de Vladikavkaz, du moins avant la création, l’an dernier, d’une nouvelle structure carcérale en Ingouchie, a été le principal lieu d’internement des combattants tchétchènes ainsi qu’une base de regroupement pour les acteurs sécuritaires opérant dans la région.
Dans ce contexte, la loyauté de Chvetsov à l’égard du pouvoir fédéral et son indépendance à l’endroit des différents clans en présence ne font pas question. Si son statut d’adjoint du représentant plénipotentiaire ne l’handicapait pas, il pourrait jouer un rôle positif dans la réforme de l’organisation des opérations sécuritaires dans le district du Caucase du Nord.
Dans cette ligne, il faut préciser que les prérogatives de Khloponine n’ont été nulle part publiquement définies avec précision. Il en va de même de celles de ses adjoints. Dans certains cas, il est évident que le poids de Chvetsov est moindre que celui d’Edelev, pourtant en charge de la seule coopération frontalière.
Tout se passe comme si, pour l’heure, le Kremlin cherchait à mettre en place un tandem à la tête de la direction du Caucase du Nord. Il revient en partage à Khloponine d’assurer le suivi des questions financières et de contrôler les projets d’investissement. Parallèlement, les missions sécuritaires incombent soit aux hommes de Kadyrov, selon un schéma habituel de réciprocité entre le « Centre » et la « périphérie », soit aux personnes nommées par le pouvoir fédéral. Celles-ci, à
l’instar du chef de la Direction du ministère de l’Intérieur pour le District du Caucase du Nord, se tiennent aux ordres de Moscou, et non pas de Piatigorsk.
Dans les faits, le représentant plénipotentiaire du président russe dans le Nord-Caucase contrôle les flux financiers sur un territoire dont la situation opérationnelle lui échappe totalement puisqu’elle est déterminée par des structures de force qui sont soustraites à son autorité.
Les structures de force locales
La question de l’autonomie des acteurs sécuritaires à l’endroit du pouvoir politique n’est pas contemporaine de la nomination de Khloponine. Elle s’est posée, depuis longtemps, et avec force, aux chefs des différentes républiques caucasiennes. Pour l’heure, ce problème n’a pu être résolu en plénitude que par le président de la république de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov. Ce dernier domine complètement l’appareil sécuritaire présent en Tchétchénie. Formellement rattachés au ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie, les services de sécurité tchétchènes se trouvent, de fait, entièrement contrôlés par le pouvoir politique local. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que Kadyrov apparaisse non seulement à ses collègues des républiques voisines mais également, aussi paradoxal que cela puisse paraître, à la direction du nouveau District, comme un modèle à imiter.
Après la réunion du 11 août, à laquelle ont participé, en présence de Medvedev, le président de la république du Daghestan, Magomedsalam Magomedov, et Alexandre Khloponine, il est possible que l’on cherche à étendre l’expérience tchétchène en matière d’autonomie sécuritaire aux républiques voisines.
Au Daghestan, l’on songe déjà à créer, sur la base d’un recrutement exclusivement local, des « bataillons nationaux ». Ces structures seront, nominalement, rattachées au ministère de l’Intérieur de la République du Daghestan. Dans les faits, elles seront subordonnées à la direction politique de la république, à l’image de ce qui se fait en Tchétchénie. On suppose que ces « bataillons nationaux » seront intégrés à la 102ème brigade à destination opérationnelle du commandement régional des troupes du ministre de l’Intérieur – cette brigade est basée à Makhatchkala – et seront placées sous l’autorité du chef du MVD daghestanais.
D’un côté, l’apparition de telles structures au Daghestan peut s’expliquer par des raisons à la fois d’ordre pratique et intellectuel. Ainsi, une part significative de la population locale confesse un islam soufi traditionnel et nourrit une hostilité certaine à l’égard des salafistes. Par ailleurs, du point de vue pratique, les autorités daghestanaises disposent d’ores et déjà d’un vivier d’hommes et de cadres prêts à intégrer ce nouveau bataillon. Il s’agit de ces Daghestanais qui ont servi dans les milices populaires créées, entre août et septembre 1999, pour faire pièce aux troupes de Chamil Bassaev.
D’un autre côté, il faut bien voir que Moscou, en décidant de créer ces nouvelles unités nationales, reconnaît que les moyens sécuritaires dont il dispose au Daghestan pour lutter contre les insurgés sont insuffisants ou complètement inadaptés. Rappelons que nombreuses sont les structures de force à être impliquées dans la lutte anti-terroriste sur le territoire daghestanais : au premier chef, la police locale, plusieurs unités du ministère de la Défense, dont la brigade spéciale de montagne, stationnée à Botlikh, la direction régionale du FSB, les troupes des gardes-frontières de Makhatchkala, le centre antiterroriste « T », basé dans la capitale.
Par ailleurs, un autre point fait question. La situation daghestanaise diffère clairement de celle qui prévaut en Tchétchénie. Si l’on trouve au Daghestan des
vétérans du conflit de 1999, on n’a pas à faire ici à d’anciens combattants ou à des séparatistes repentis, à l’image de ceux qui, en Tchétchénie, se sont rendus à Ramzan Kadyrov, après avoir découvert en lui un nouveau symbole ethnique. Le président du Daghestan n’a rien avec voir avec Kadyrov et ne représente les intérêts que d’une fraction des groupes daghestanais en présence. C’est pourquoi, il ne faut pas exclure que le processus de formation de nouvelles unités armées à partir des différents groupes ethniques daghestanais puisse conduire, à terme, à une intensification des conflits sur le territoire de la république.
En outre, il faut bien voir que le système sécuritaire tchétchène n’est lui-même pas sans failles. Il est notoire que la subordination des services de police tchétchènes aux responsables du ministère de l’Intérieur est purement nominale et que des conflits ne manquent pas de se produire entre les agents russes missionnés en Tchétchénie et les hommes de Kadyrov.
Le dernier exemple en date, largement couvert par les médias moscovites, concerne le conflit survenu entre des membres des forces spéciales du ministère de l’Intérieur russe et le bataillon tchétchène « Nord ». D’après les membres d’un commando russe ayant participé à un raid en montagne, en février 2010, leurs collègues tchétchènes auraient livré leurs positions aux insurgés. Cette trahison aurait coûté la vie à 4 militaires russes.
Même si cette information n’est pas confirmée, d’autres faits, mettant également en cause la fiabilité des « unités militaires nationales », sont bien connus. Ainsi, au printemps 2008, un conflit a éclaté en Tchétchénie entre deux unités nationales. La première, le bataillon spécial « Est », était placée sous l’autorité du ministère de la Défense. La seconde, la milice tchétchène, se trouvait sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Si, d’un point de vue formel, tout semblait indiquer que deux structures fédérales s’affrontaient sur le terrain, il n’en était rien en réalité. Les acteurs en présence n’étaient autres que les représentants de deux clans tchétchènes influents, en l’espèce ceux de Kadyrov et de Yamadaev. A la fin du mois d’août, on le sait, ce conflit s’est résolu de façon inattendue. Les membres du clan Yamadaev, du moins ceux qui ont pu échapper à la mort, ont déclaré publiquement s’être réconciliés avec Kadyrov. Cet événement n’a pas manqué de renforcer l’influence du président tchétchène dans les domaines politique et sécuritaire.
Mais, pour l’heure, Kadyrov représente un cas unique dans le Caucase du Nord. Les autres responsables des républiques nord-caucasiennes ne pourront pas ne pas chercher à travailler étroitement avec le président tchétchène et Alexandre Khloponine.
Khloponine semble incontournable dans la mesure où il a tout pouvoir pour gérer les flux financiers dans la région. Mais, il faut prendre garde au fait que ce monopole est loin de faire l’unanimité dans le Caucase du Nord. Nombreux sont les responsables politiques nord-caucasiens à vouloir suivre l’exemple de Ramzan Kadyrov, lequel a réussi à disposer de ses propres services de sécurité et à contrôler le flux des subsides fédéraux. Dans cette perspective, on notera que d’aucuns estiment que l’attentat de Piatigorsk, où il devrait bientôt élire domicile, constitue un avertissement direct adressé à Khloponine.
Enfin, il ne faut pas oublier que la Tchétchénie a construit son autonomie sécuritaire dans un contexte financier exceptionnellement favorable. Aujourd’hui, la crise interdit de reproduire purement et simplement le schéma tchétchène. Aussi longtemps que le Kremlin disposait de liquidités en suffisance, l’argent parvenait à tous dans le Caucase, non seulement aux fonctionnaires et à la population locale, mais également aux combattants que les fonctionnaires payaient pour garantir leur propre sécurité. Hélas, il n’est pas à exclure, compte tenu des usages en vigueur dans
le Caucase-Nord aujourd’hui, qu’un changement opéré au niveau de la répartition des ressources financières dans la région puisse, tout autant que le Djihad, avoir des conséquences dévastatrices et entraîner de nouvelles pertes humaines.