Évolution prévisionnelle des armements et de la guerre (3)
Jean-François GENESTE
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Nous allons nous rapprocher de la terre maintenant en abordant le sujet des lanceurs. Historiquement, ils sont issus des V1 et V2 allemands conçus pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les savants germaniques ont été « volés » par les Américains et les Soviétiques et leur ont permis de développer un accès à l’espace qui s’est soldé par une compétition acharnée.
Au milieu des années 1970, le satellite de télécommunications franco-allemand Symphonie est tiré sous conditions draconiennes par les Etats-Unis (interdiction d’activité commerciale). Cela déclenche la création de la filière Ariane pour un accès européen indépendant à l’espace.
Après les succès du programme Apollo, les Américains commettent une erreur stratégique importante en optant pour leur navette. Les montants sont exorbitants. Cela amène Ariane à devenir le leader mondial du lancement commercial, positionnement qui sera gardé plusieurs décennies. Néanmoins, malgré ce leadership, l’Europe ne proposera aucune innovation dans le secteur. Il faudra attendre l’arrivée d’Elon Musk et de Space X pour voir advenir, entre autres, à la fois des coûts en forte baisse (divisés par 5 pour le kg en orbite) et des parties récupérables.
Cet épisode témoigne de deux choses. D’une part que les monopoles avec le retour géographique (aussi imposé à Lockheed et Boeing) ne sont pas de bons plans et que la liberté (qui n’existe pas en Europe) est susceptible de générer des avancées. Que n’a dit la nomenklatura européenne sur Elon Musk à ses débuts ! Pour ne pas faire honte aux protagonistes, nous tairons ici leurs noms, mais l’histoire se souviendra quand même d’eux.
Pour donner une idée du gâchis au lecteur, racontons brièvement l’épopée d’Ariane 4 vs Ariane 5. Ariane 4 était un lanceur très performant, mais, comme toujours en Europe, il fallait imiter le maître. On décida donc d’un programme de navette, Hermès. Elle ne vit jamais le jour, la velléité budgétaire étant une caractéristique de notre continent. Mais on avait développé Ariane 5 entre temps pour l’occasion. Et bien entendu, elle était optimisée pour les vols habités et non l’activité commerciale. Que faire ? Il fut résolu de favoriser Ariane 5 contre toute logique industrielle et commerciale d’une part, mais pis, il fut convenu que l’on détruirait les outillages de fabrication d’Ariane 4, ce qui fut fait. Face à Space X, on élabora bien plus (trop !) tard, un nouveau concept baptisé Ariane 6 qui n’est, peu ou prou, qu’une Ariane A4 modernisée. Bien joué et avec bien des milliards à la clé !
Entre-temps, il y eut les attentats du 11 septembre 2001. Dès janvier 2002 était sorti un gros pavé dont un des points saillants était une décision unilatérale américaine de « Space Dominance ». C’est-à-dire que les États-Unis s’arrogeaient le droit d’interdire l’accès à l’espace à qui ils voulaient. Le lecteur devrait prendre toute la mesure d’une telle doctrine, car le segment spatial ne fut jamais impliqué en quoi que ce soit dans les attaques terroristes. C’est donc quelque chose qui avait été pensé à l’avance.
De son côté l’Union soviétique avait « civilisé » ses missiles balistiques pour en faire des lanceurs, très peu chers, qui arrivèrent sur le marché sous le nom, par exemple, de Proton. On put s’apercevoir en cette occasion de la fiabilité de ces engins. On constata aussi que la technologie russe de propulsion était meilleure que celle disponible en Occident. Le fameux moteur RD180 équipa donc les Atlas et Delta de Lockheed Martin et Boeing.
La situation actuelle est la suivante. Les leaders mondiaux incontestés du lancement sont les États-Unis avec une capacité inégalée. La Chine est en compétition avec eux et il est relativement difficile de prévoir si elle représentera à terme un sérieux rival ou non. Les Russes ont pour l’instant perdu pied. L’Europe est laminée et a montré une certaine insuffisance à la réactivité compte tenu des retards de développement sur Ariane 6 et un déficit conceptuel sinon technologique concernant la réutilisation au moins partielle.
Puis est arrivé le « New Space » qui a vu fleurir de nombreux projets de petits lanceurs. Il est encore trop tôt pour prédire l’avenir de ces projets. Ils ont un risque, pour ceux qui auraient du succès, de finir par se faire racheter par les grands du secteur, ce qui serait un comble, mais c’est ainsi que marche le « système ». Une échappatoire pour eux pourrait donc consister à trouver des « petits pays » en mal d’indépendance et qui seraient prêts à investir pour avoir, à leur tour, un accès souverain à l’espace. Et c’est probablement ce qui se passera en partie.
Quelle conséquence cela aura-t-il ? En réalité, sous couvert d’activités civiles, c’est la technologie des missiles, balistiques le cas échéant, qui va se diffuser dans le monde entier. La Corée du Nord et l’Iran ont d’ores et déjà des capacités spatiales, mais à terme, ce sera toute l’Afrique qui en aura. Il faudra alors observer de près ce que cela entraînera en termes d’équilibre global. Mais force est de constater que moralement, la position américaine de « Space Dominance » n’est pas tenable. L’Oncle Sam va donc devoir sérieusement réviser sa doctrine.
Nous avons abordé dans la partie 2 de cette saga la question des constellations de type Starlink, c’est-à-dire avec de très nombreuses composantes. Cela est un phénomène de nature à accélérer la compétition dans le domaine des fusées, car l’industrie doit suivre pour à la fois mettre en orbite des dizaines de milliers d’objets, mais aussi les renouveler, puisque leurs durées de vie sont relativement faibles. Le conflit Russie/OTAN en cours a montré des capacités insoupçonnées de l’industrie russe. La Chine, elle, est l’atelier du monde comme on se plaît à le dire parfois. En conséquence, quel sera le positionnement de ces trois pays dans les années à venir ? Plus précisément, les États-Unis arriveront-ils à conserver leur leadership, eux qui ont perdu leur base manufacturière ? Or, et c’était sous-jacent à notre discours, il y a des aspects de défense majeurs en jeu et les États-Unis se veulent être la première puissance militaire au monde. De plus, nous l’avons largement déjà dit dans les épisodes précédents, le spatial est l’outil idéal pour se projeter en territoire adverse. Certes, cela a très peu de chances de marcher dans un contexte de conflit symétrique comme expliqué, mais c’est un outil néocolonial puissant et la puissance coloniale majeure de ce début de XXIe siècle reste les Etats-Unis. Quid, donc de leur positionnement en la matière ?
Nous laisserons le lecteur sur cette question d’actualité qui verra un embryon de solution avant 2030.