Comment contrer les armes laser ?
Olivier DUJARDIN

Le DragonFire, un programme britannique de laser[1] de puissance, a fait la « une » des journaux il y a quelques semaines[2]. Qu’est-ce que ce laser apporte de nouveau par rapport aux nombreux programmes équivalents existant dans le monde ? Absolument rien, si ce n’est qu’il les bat tous sur le plan de la communication dont il bénéficie. Cela fait plus de dix ans déjà que les premiers lasers de puissance sont testés. Etats-Unis, Israël, Chine, Russie, France, Allemagne, Inde… ont déjà, au moins en test, de telles armes dont la puissance varie de quelques kilowatts pour les moins puissantes, à 300 kilowatts pour le laser High Energy Laser Scaling Initiative de Lockheed Martin.
Il faut dire que les armes laser présentent, au moins sur le papier, des atouts intéressants :
– le coût de chaque tir est ridiculement faible, équivalent à la valeur d’une balle de fusil, ou à peine plus élevé ;
– la grande directivité d’un laser permet des tirs d’une très grande précision, limitant de facto les risques de dommages collatéraux et permettant une grande sélectivité des cibles ;
– avec un laser, pas besoin d’assurer les approvisionnements en munitions, la logistique se limite à la production d’énergie. Tant que celle-ci est disponible, pas de risque d’être à court de munitions ;
il est possible de moduler la puissance du laser en fonction des effets recherchés, de la distance d’engagement ou de l’environnement ;
les laser de puissance permettent des cas d’application très variés et ne sont pas spécifiques à un type de cible en particulier.
Le côté futuriste de ces armes, qui renvoie à la science-fiction, aurait tendance à faire penser que ce sont des équipements ultimes et imparables. Néanmoins, si on connaît bien leurs limites et leurs contraintes, il est possible de trouver des contre-mesures permettant, non pas de parer complètement un laser, mais d’en atténuer les effets.
Limites physiques et contraintes des lasers
Le principe de fonctionnement des armes laser est assez simple. Un faisceau lumineux concentré vient frapper une surface. Cela engendre un échauffement qui provoque, au bout d’un temps plus ou moins long selon le matériau et la puissance du laser, une fusion ou une combustion de la matière qui finit par être transpercée.
Un faisceau laser, pour conserver au maximum sa densité de puissance (nombre de watts au cm²) sur la distance, doit diverger le moins possible, ce qui exige un pointage du rayon particulièrement rigoureux. On parle de moins d’un centimètre pour 1 000 m. Ce niveau de précision de pointage nécessite donc de disposer, au préalable et à minima, de la position de la cible en site et azimut, avec une extrême exactitude. Or il existe assez peu de capteurs capables de donner un tel niveau de mesure. Cela implique d’utiliser plusieurs dispositifs complémentaires. Par exemple, la position donnée par un radar est ensuite affinée par un LiDAR[3] ; mais on peut aussi avoir recours à un système optique à haute résolution (le niveau de précision sera déterminé par le nombre de pixels de la caméra). Bien entendu, on comprend alors que la portée efficace de tir dépendra de la distance sur laquelle les capteurs pourront maintenir le niveau de précision requis, en fonction de la taille de la cible : l’exigence ne sera pas la même s’il s’agit de toucher un drone ou un aéronef de plusieurs dizaines de mètres d’envergure. Donc, plus la cible sera imposante et plus elle pourra être frappée par un laser situé à grande distance.
Cet impératif de précision impose également une très grande réactivité de stabilisation du pointeur laser. Les effets du vent, des vibrations ou de tout autre mouvement doivent être compensés avec une très grande minutie durant tout le temps du pointage de la cible, qui elle-même peut se déplacer. Cela rend ce type de système particulièrement délicat à utiliser sur une plateforme mobile (véhicule, navire, aéronef), nécessitant des dispositifs de pointage et de stabilisation très perfectionnés. Même sur une cible de grande taille, le faisceau laser doit toujours viser le même endroit pour créer un échauffement suffisant et être efficace.
Un point très important est aussi la capacité du système laser à compenser les effets de la réfraction du faisceau qui, en fonction du passage dans des couches d’air de différentes températures et hygrométrie, n’aura alors plus une trajectoire rectiligne. Plus la distance entre la source et la cible est grande et plus le phénomène est susceptible d’être important.
Bien entendu, un laser reste également vulnérable aux conditions aérologiques et météorologiques. Afin de limiter ces effets, la plupart des Laser de puissance utilisent les longueurs d’ondes en bande SWIR (Short Wave Infra Red) qui est moins sensible à ces effets. De fait la longueur d’onde utilisée est souvent autour de 1 064 nm. Néanmoins, la pluie peut rendre un laser totalement inefficace tant le niveau de diffraction peut être important.
N’oublions pas, même si cela paraît logique, que le tir laser nécessite de maintenir l’intervisibilité avec son objectif, contrairement à un missile qui, selon son mode de guidage, peut être autonome dans la poursuite de la cible, même si celle-ci s’est cachée du tireur (mode « tire et oublie »).
Enfin, la cadence de tir d’un laser est aussi conditionnée par la puissance émise : de toute l’énergie fournie, le faisceau n’en utilise pas plus de 50% ; le reste est dissipé sous forme de chaleur ; donc, plus un laser est puissant, plus les besoins en refroidissement sont importants. En conséquence plus un laser sera puissant et plus il est probable que sa cadence de tir et son temps d’illumination seront faible.
Quelles contre-mesures face aux lasers ?
Cette question ne se pose pas encore mais, à partir du moment où ce type d’armes se généralisera, que ce soit dans la défense sol/air ou contre les navires ou les véhicules, elle deviendra cruciale. Cependant, quand on étudie les contraintes et les limites de cette technologie, il est possible de déterminer au moins quatre axes de travail pour élaborer des contre-mesures.
– Le premier axe est le plus simple et le plus évident. Il s’agit de brouiller le radar chargé de la détection et de l’acquisition de la cible. Comme pour n’importe quel autre système d’armes, empêcher cette étape, c’est se prémunir de l’attaque. Cette solution n’est accessible qu’aux grosses plateformes comme les avions d’armes ou les navires de combat qui disposent d’une suite de contre-mesures. Cela signifie aussi que les systèmes existants peuvent déjà offrir une protection contre les lasers de puissance.
– Le deuxième axe consiste à jouer sur l’albédo, c’est-à-dire le pouvoir réfléchissant de la matière. Il existe des peintures (à l’oxyde de titane par exemple) offrant un très bon albédo et résistant bien à la chaleur sans que cela n’alourdisse significativement le porteur. De même, il existe des polymères et des céramiques ayant d’excellentes propriétés de réflexion de la lumière et de tenue à la température. Cela permet de renvoyer une part importante de l’énergie lumineuse et donc de limiter l’échauffement généré. De cette manière, il est possible de retarder l’effet « falaise », le moment où le matériau perd ses propriétés réfléchissantes sous l’effet de la chaleur, et de rendre bien plus longue sa destruction. Cette approche limite les effets du laser et permet, soit de retarder suffisamment la destruction pour que l’objet visé (obus, roquettes, missiles ou drones) atteigne son but, soit, dans le cas d’un aéronef ou d’un véhicule, de lui permettre de se dérober. Retarder les effets c’est aussi empêcher le laser de pouvoir traiter d’autres menaces pendant ce temps, rendant les attaques de saturation d’autant plus efficaces.
– Le troisième axe peut être combiné avec le précédent. Il s’agit de varier les expositions de la cible de façon à ce que ce ne soit pas le même endroit qui soit pointé, permettant ainsi à sa surface de refroidir. Cela peut prendre plusieurs formes : autorotation pour les obus, les roquettes ou certains missiles, trajectoire erratique avec changement de direction pour les drones ou les aéronefs, par exemple.
– Le quatrième et dernier axe propose d’utiliser des fumigènes générant des nuages de carbone opaques autour de la cible visée. Ceux-ci auront pour effet d’absorber et de dévier une très grande partie de l’énergie laser. Ces types de fumigènes existent déjà et sont utilisés par la marine russe pour masquer ses navires, ceux équipés d’un détecteur laser Spektr-F (Half Cup), d’une désignation par faisceau laser. Ils sont lancés à partir des lance-leurres (PK-2, PK-10 et PK-16) du navire et permettent de le cacher dans son intégralité. Bien entendu ces équipements ne sont adaptés qu’aux plateformes lentes et suffisamment volumineuses pour permettre leur emport, comme les navires, les véhicules terrestres, mais aussi les hélicoptères qui pourraient tirer ce genre de fumigènes derrière eux dans une manœuvre d’éloignement par rapport au laser. Dans le domaine naval, il serait également possible, par un arrosage, de créer une diffraction du faisceau lui faisant perdre toute efficacité.
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Les armes laser présentent un certain nombre d’avantages expliquent qu’elles arrivent progressivement dans les arsenaux ; leur entrée en service ne devrait pas tarder dans certains pays comme Israël, par exemple, pour la lutte contre les drones. A mesure que leur puissance augmentera, leur panel de cibles potentielles augmentera également. Pour autant, les lasers ne sont pas dénués de certains défauts, ni de certaines limites, qui font qu’ils ne remplaceront probablement ni les canons, ni les missiles mais les compléteront.
Les lasers ne sont pas non plus invincibles ; à mesure que ces armes rentreront en service, des contre-mesures se mettront naturellement en place. A terme, les armes laser feront partie de l’équipement des armées, aux côtés des armements existants et trouveront leur place comme un effecteur parmi d’autres.
[1] Acronyme de l’anglais Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation (amplification de la lumière par émission stimulée de radiation). C’est aujourd’hui devenu un nom commun.
[2] https://www.defensenews.com/industry/techwatch/2024/01/19/in-first-uk-downs-aerial-drone-with-test-shot-from-dragonfire-laser/
[3] Acronyme de l’anglais Laser Imaging Detection and Ranging (détection et estimation de la distance par laser), est une technique de mesure à distance fondée sur l’analyse des propriétés d’un faisceau de lumière renvoyé vers son émetteur.