Les services de renseignement de la République populaire de Chine. Première partie : la Commission centrale de Sécurité nationale (CCSN)
François Yves DAMON
Docteur de l’EHESS, ancien maître de conférences habilité à diriger des recherches en Histoire contemporaine (Géopolitique, Chine) de l’Université Charles de Gaulle – Lille III, ex chercheur associé au Centre de recherches sur le droit et les institutions pénales (CESDIP, CNRS-ministère de la Justice, UMR 2190) et ancien collaborateur d’un service de renseignement français.
Les services de sécurité et de renseignement de la République populaire de Chine étaient, jusqu’en 2013, placés sous l’autorité de différentes hiérarchies, civiles ou militaires, dont les échanges d’informations et la coordination opérationnelle demeuraient aléatoires. Le 3e Plénum du Comité central issu du 18e Congrès du Parti communiste chinois, a, en novembre 2013, institué une « Commission de la Sécurité d’Etat » (Guojia anquan weiyuanhui) , destinée à remédier à cette insuffisance. Inspirée du Directorate of National Intelligence (DNI) américain, cette nouvelle commission a, en effet, été dotée de l’autorité nécessaire et des attributions suffisantes devant lui permettre de centraliser les échanges d’informations et coordonner l’action de tous les services.
Le Bureau politique a ensuite, en janvier 2014, confié au Président de la République et secrétaire général du parti, Xi Jinping, la présidence de cette commission. Deux vice-présidences ont été attribuées, à Li Keqiang, Premier ministre et secrétaire du parti du Conseil d’état, et à Zhang Dejiang, Président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire. Tous deux sont membres du Comité permanent du Bureau politique, l’instance suprême du parti.
Intitulée Commission centrale de sécurité nationale (CCSN) – la mention centrale (zhongyang) signifiant son émanation du comité central – la nouvelle commission est placée sous l’autorité du Bureau politique et de son comité permanent, les trois organes étant présidés par Xi Jinping. Elle coordonne désormais neuf organismes : trois ministères civils, trois services militaires, la police armée populaire et deux commissions du Comité central.
Tableau 1 : les ministères et services civils et militaires sous autorité de la CCSN
Les ministères civils
Les trois ministères civils ayant des activités de renseignement sont :
- Le ministère des Affaires étrangères.
- Le ministère de la Sécurité publique (Gonganbu), établi en 1954, placé comme tous les ministères du conseil des affaires d’Etat, sous l’autorité du Premier ministre.
- Le ministère de la Sécurité d’Etat (Guojia Anquanbu), créé en 1983, également placé sous l’autorité du Premier ministre.
Les services militaires
L’Armée populaire de libération (APL) est l’armée du parti. Le commandement en est exercé par le président de la République – secrétaire général du parti en tant que président de la Commission militaire centrale (CMC). L’instance d’exécution des ordres opérationnels de la CMC est l’état-major général (EMG) de l’APL.
Bien que le ministre de la Défense soit membre de la CMC, ainsi d’ailleurs que du Conseil des affaires d’Etat, il n’a pas autorité sur les missions de l’APL, son rôle se limitant à la gestion ? de la conscription et à la représentation, surtout à l’étranger, ce qui fait de lui un ministère des « Affaires étrangères militaires » bis à côté du ministère civil.
Ainsi, les trois services militaires sont donc placés sous l’autorité de la Commission militaire centrale. Ce sont :
- Le Deuxième département de l’état-major général est celui du renseignement (Qingbaobu).
- Le Troisième département de l’état-major général, dont la dénomination officielle est « Département technique » (Jixiebu), commande les télécommunications de l’Armée populaire de libération et les écoutes des télécommunications étrangères.
- Le Bureau de liaison (Lianlaobu) de la Direction générale de la politique – autrement dit le Commissariat politique aux armées – se présente à l’étranger sous l’appellation d’ « Association chinoise de l’amitié entre les peuples ». Ses agents sont formés à l’intrusion dans les organisations de masse à l’étranger.
A noter que deux services de renseignement militaires n’ont pas été placés sous l’autorité de la CCSN, il s’agit du Quatrième département de l’état-major général, en charge des contre-mesures électroniques, et des services de renseignement de l’Armée de l’air (Sixième bureau de l’air à Pékin).
La police populaire armée
- La police populaire armée (PAP) est une force militaire spécialisée dans le maintien de l’ordre, placée sous l’autorité de la Commission militaire centrale – dans laquelle elle n’est pas représentée – et non sous celle de l’état-major général de l’Armée populaire de libération. Elle dispose d’ailleurs de son propre état-major et d’instituts spécifiques (formation, commandement, ingénierie, police). Son Institut de formation politique de Shanghai lui permet de former ses commissaires politiques spécialisés dans l’accompagnement de la répression. Une moitié environ des effectifs de la PAP sont détachés en permanence auprès du ministère de la Sécurité publique.
Les commissions du comité central
La nouvelle CCSN s’est également attribuée des compétences auparavant dévolues à deux commissions du comité central :
- La commission des Affaires judiciaires de la commission centrale d’inspection et de discipline, chargée des enquêtes sur les membres du parti, fonctionnaires et entrepreneurs privés soupçonnés ou inculpés de corruption ;
- 9. La commission des Affaires étrangères du Comité central, responsable de définir la politique devant être menée par le ministère des Affaires étrangères, puis de veiller à la bonne exécution de ses directives.
Une évolution significative
Si l’état-major général, la Direction générale de la politique et l’état-major de la Police armée populaire ont toujours été placés sous une autorité unique, la Commission militaire centrale, il n’en allait de même pour les ministères civils. L’autorité du Premier ministre et secrétaire du parti du Conseil des affaires d’Etat ayant en effet été amenée à s’effacer devant celle de la Commission politique et judiciaire du Comité central et des groupes restreints spécialisé qui en étaient issus : le Groupe central chargé de la Sécurité nationale chapeautait les deux ministères civils, mais celui de la Sécurité d’Etat rendait également compte aux groupes « Affaires étrangères » et « Contre terrorisme ».
Dans le cas de la Police armée populaire, les effectifs détachés auprès du ministère de la Sécurité publique passaient sous son autorité ou sous celle du Comité central, pendant que les effectifs non détachés demeuraient sous celle de la CMC.
La nouvelle CCSN devient donc la cinquième des grandes institutions permanentes de la République populaire de Chine, après le Comité central, le Conseil d’Etat, le Congrès national populaire et la Commission consultative politique du peuple chinois.
La création de cette CCSN aurait été évoquée dès 1997, mais empêchée par les résistances efficaces des organes et institutions menacés d’être dépouillés d’une partie de leurs attributions par l’instauration de cette nouvelle commission. Il a fallu attendre la désignation du nouveau président, Xi Jinping, et de sa faction, pour museler, au moyen d’une virulente campagne anti-corruption, les oppositions les plus fortes, en l’occurrence celle de la faction Bo Xilai et Zhou Yongkang. Membre du Comité permanent du Bureau politique, Zhou Yongkang était secrétaire général de la Commission politique et judiciaire du Comité central. Pour lui succéder à la tête de cette commission le 18e Congrès a nommé Meng Jianzhu, jusqu’alors ministre de la Sécurité publique, et l’a adjoint au groupe chargé d’établir la CCSN.
La détermination du nouveau président a sans doute été renforcée par les trois menaces, principales, auxquelles il s’est trouvé confronté.
– La première, interne, est due aux remises en cause de la légitimité du pouvoir dont le parti conserve le monopole depuis 1949, cette légitimité apparaissant fragilisée. La corruption endémique qui gangrène le parti constitue la cause principale de cet affaissement et de la moindre pertinence idéologique de son discours. Les remises en cause qui s’ensuivent vont des émeutes rurales à la mise en ligne d’éléments d’information, visuels ou sonores, sur la corruption sur Internet. Ces actes sont les plus inquiétants pour le pouvoir à cause des difficultés rencontrées pour les empêcher, du nombre considérable d’internautes ainsi informés et de la diffusion de ces données à l’étranger.
– La seconde, extérieure, est fournie par le « pivot » américain en Asie[1], et son soutien aux Etats riverains des mers de Chine méridionale et orientale contestant l’appropriation de ces espaces maritimes par la Chine.
– La troisième, intérieure, mais en lien avec l’extérieur, est la permanence des revendications d’autonomie dans les territoires des peuples allogènes, Xinjiang en premier lieu, et de l’action terroriste à laquelle ont été réduites ces revendications par l’absence de concertation, ainsi que des liens tissés par ces activistes avec le terrorisme global.
Cinq tâches ont donc été confiées à la CCSN afin de contrer ces trois menaces :
– premièrement : dégager les convergences de vues des organes travaillant à l’international ;
– deuxièmement : veiller à l’efficacité de l’utilisation des ressources, à la coordination active des forces chargées de la Sécurité nationale, à la connexion des politiques extérieures menées par les organes travaillant à l’international ;
– troisièmement : améliorer le fonctionnement de l’ensemble des think-thank (sixiang ku) et brain-trust (zhinangtuan) chinois et la prise en compte de leurs avis ;
– quatrièmement : avoir la capacité de réaction et répondre avec les moyens appropriés aux situations sécuritaires d’urgence ;
– cinquièmement : maintenir un haut degré de vigilance antiterroriste, veiller à la sécurité des réseaux internet et à la sécurité de la périphérie du territoire national en prenant les mesures qui s’imposent.
Si l’on s’en tient au texte de loi, le maintien de l’ordre – juguler protestations et revendications – est du ressort du ministère de la Sécurité publique, mais il serait aussi difficile que vain de séparer Sécurité publique et Sécurité d’Etat, que ce soit en matière de contre-terrorisme ou de contre-dissidence, domaines où les limites de compétences des deux ministères deviennent floues. Le terrorisme s’attaque à l’Etat chinois, tandis que les dissidents, pro-démocratie et pro-droits de l’homme – Falungong, entre autres – remettent en cause le monopole politique du parti, celui-ci, détenant la totalité des fonctions régaliennes. La sécurité de l’Etat se confond, dans les deux cas, avec la sienne.
Sources :
http://zglnwq.com/html/fagui/20131113/4174.html
http://theory.people.com.cn/BIG5/n/2013/1114/c49150-23535875-2.html
http://www.21ccom.net/articles/qqsw/zlwj/article_2013111495309.html
http://thediplomat/2013/11chinas-new-state-security*committee/
English.news.cn 2014-01-24, “Xi Jinping to lead national security commission”.
The Diplomat ,April 16, 2014, “Shannon Tiezzi, China’s National Committee Holds First Meeting”.
Marc Julienne, « Quelles perspectives pour la Commission de Sécurité nationale ? » China Analysis, Février 2014, n°47, pp. 32-36.
[1] Terme désignant le renforcement de la présence américaine en Asie au détriment des autres théâtres, notamment de l’Europe.