Les services de renseignement de la république populaire de Chine. Deuxième partie : le ministère de la sécurité d’Etat (Guojia Anquanbu)
François Yves DAMON
Docteur de l’EHESS, ancien maître de conférences habilité à diriger des recherches en Histoire contemporaine (Géopolitique, Chine) de l’Université Charles de Gaulle-Lille III, ex chercheur associé au Centre de recherches sur le droit et les institutions pénales (CESDIP, CNRS-ministère de la Justice, UMR 2190) et ancien collaborateur d’un service de renseignement français.
Le ministère de la Sécurité d’Etat (MSE) est l’héritier lointain du Central Department of Social Affairs (CDSA) du Comité central du Parti communiste chinois quand ce dernier était établi à Yan’an, de la fin de la Longue marche, en 1935, au début de la Guerre civile, en 1947. Après la fondation, en 1949, de la République populaire de Chine, le CDSA évolua en Central Investigation Department (CID), dirigé par Kang Sheng. Le huitième Bureau du CID, l’Institute of Contemporary International Relations, ICIR (Xiandai guoji guanxi xueyuan) y était chargé de l’analyse des documents recueillis par les ambassades et missions chinoises à l’étranger.
Au début de la Révolution culturelle, en 1966, le Central Case Examination Group, toujours dirigé par Kang Sheng, est substitué par celui-ci au CID. Ce nouveau groupe est utilisé par son directeur, ainsi que par Lin Biao, ministre de la Défense, et Jiang Qing, épouse de Mao, comme instrument de lutte contre les opposants à la ligne politique maoïste.
Le CID est rétabli à la mort de Lin Biao, en 1971. Après la mort de Kang Sheng, en 1975, et son exclusion à titre posthume du parti communiste, le CID est rattaché, par Deng Xiaoping, au ministère de la Sécurité publique (MSP). En 1983, il est absorbé par le nouveau ministère de la Sécurité d’Etat.
Ce service dispose d’effectifs considérables : dans un discours prononcé en septembre 1996 lors d’une conférence de cadres du ministère, un vice-Premier ministre du moment, Zou Jiahua, salua « les camarades en missions spéciales et les dizaines de milliers de héros anonymes qui servent loyalement leur mère patrie en occupant leurs postes à l’étranger ».
Organisation du MSE
Les tâches dévolues au MSE sont réparties en 18 bureaux regroupés en 7 départements : les départements 2, 3 et 4 se consacrent aux opérations, les autres (départements 1, 5, 6 et 7), à la gestion.
– 1er bureau
Cryptographie des communications.
Enquêtes sur les étrangers entrés en Chine continentale suspectés d’activités d’espionnage : membres du personnel des ambassades étrangères à Pékin et des agences de renseignements étrangères présentes en Chine, ainsi que tous suspects d’espionnage.
Direction du personnel de sécurité du ministère chargé de diligenter les enquêtes internes.
– 2e bureau
Renseignement international.
Recueil des renseignements collectés par les agents du MSE sur les décisions à caractère stratégique des gouvernements étrangers, les décisions politiques de leurs ministères et de leurs centres de recherches stratégiques et leur stratégie internationale.
Opérations à l’étranger : le 2e bureau détermine les renseignements à rechercher en priorité, envoie les agents clandestins et fournit les couvertures : banques, assurances, sociétés commerciales, compagnies aériennes ou de navigation, ambassades et consulats, correspondants de presse, professeurs chinois invités ainsi qu’étudiants chinois dans les universités étrangères.
Recrutement des agents à l’étranger : diaspora chinoise essentiellement. Les membres de la communauté chinoise des Etats-Unis – c’est-à-dire les individus d’origine chinoise ou en provenance de Chine, nés aux Etats-Unis ou naturalisés, ou encore titulaires d’une carte verte – parce qu’ils acceptent de servir leur mère patrie d’origine, sont dénommés « patriotes » par leurs recruteurs.
– 3e bureau
Renseignements économiques et technologiques collectés en pays étrangers (R&D). Le 3e bureau traite les informations scientifiques et techniques saisies (sources ouvertes ou dérobées) sur la toile, les fait suivre à l’autorité (SASTIND[1]) chargée de les transmettre aux entreprises concernées.
– 4e bureau
Renseignement sur Hong Kong, Macao et Taiwan : définition des priorités et recueil des renseignements collectés, recrutement des agents, direction opérationnelle sur le terrain.
Le réseau « Chrysanthème d’automne » (Juhua dongtian) est chargé d’activités spécifiques à Hong Kong et Macao :
– recueil de renseignements sur les entreprises taiwanaises opérant dans les deux anciennes colonies ;
– recueil de renseignements sur les activités des organisations politiques hongkongaises et celles d’hommes et femmes politiques étrangers.
– pénétration des institutions hongkongaises, recueil de renseignements sur leurs activités, leurs projets et leurs relations avec des institutions politiques étrangères.
– 5e bureau
Analyse et transmission aux bureaux concernés ou à l’échelon hiérarchique supérieur des renseignements de première main recueillis de toutes sources.
Directives opérationnelles pour la recherche des renseignements.
– 6e bureau
Chine continentale : directives opérationnelles et orientation de la recherche intérieure à tous les échelons administratifs provinciaux.
– 7e bureau
Opérations/Contre-espionnage offensif, défection : recueil de renseignements. Incitation à la défection des membres du personnel d’entreprises étrangères opérant en Chine continentale, d’étudiants étrangers, de tous ceux possédant des capacités d’espionnage et des membres du personnel des agences de renseignement étrangères installées en Chine confrontés à des difficultés financières.
– 8e bureau
Opérations/Contre-espionnage défensif : détection, identification et surveillance des agents de renseignements étrangers et des membres des agences de renseignements étrangères opérant en Chine continentale ; si nécessaire, filature, surveillance rapprochée, arrestation.
Traque des agents de renseignement étrangers entrés clandestinement en Chine continentale.
Moyens : dissuasion, application de la loi, contrainte par force. (article 110 du code pénal de la République populaire de Chine)
– 9e bureau
Opérations/Sécurité intérieure et surveillance du territoire : détection et surveillance des membres d’institutions et d’entreprises étrangères, ainsi que des étudiants étrangers soupçonnés d’être membres ou d’apporter une assistance à des organisations pro-démocratiques. Traque des organisations terroristes sur le territoire chinois.
– 10e bureau
Opérations/Sécurité extérieure et anti défection : surveillance du personnel des institutions chinoises et des étudiants chinois à l’étranger afin d’empêcher leur participation aux activités d’organisations pro-démocratiques ou réactionnaires ou leur enrôlement par des services de renseignement étrangers.
Surveillance de l’activité des organisations terroristes à l’étranger.
– 11e bureau
Archives : recueil, archivage et gestion des données recueillies. Fourniture des données requises par les autres bureaux. Le 11e bureau chaperonne le China Institutes of Contemporary International Relations (CICIR) (cf. infra).
– 12e bureau
Surveillance sociale : surveillance de l’opinion publique et des différents secteurs de la société chinoise.
– 13e bureau
Technologie : étude et développement des équipements d’écoutes, des transmissions électroniques et des contre mesures. Recherche.
– 14e bureau
Contrôle technologique : inspection du courrier et surveillance des télécommunications.
– 15e bureau
Analyse, évaluation et diffusion des renseignements.
– 16e bureau
Imagerie : photo et vidéo. Renseignement images tous pays : politiques, économiques et militaires, y compris interprétation des images satellites. Propose des avis à l’échelon supérieur.
– 17e bureau
Gestion des propriétés, entreprises, sociétés et œuvres du ministère,. Conformément à la réforme des organismes gouvernementaux, le MSE a dû diviser la responsabilité de la gestion de ses propriétés entre le 17e bureau et les entreprises concernées.
– 18e bureau
Contre terrorisme. Activité principale : marches de l’empire: autonomistes tibétains et surtout activistes ouighours du Xinjiang ayant de plus en plus recours à des actes terroristes.
Le contre-terrorisme n’est pas, selon les sources chinoises, toujours attribué au 18e bureau, mais parfois à une entité du MSE sans autre dénomination que « contre terrorisme ».
Plusieurs communiqués de l’agence Chine nouvelle datés du 10 et du 27 octobre 2014 ont annoncé, d’une part, un renforcement des lois antiterroristes – lesquelles prévoient de renforcer le contrôle du réseau Internet, les contrôles aux frontières et le transport des matières dangereuses -, d’autre part, la création d’un « Centre antiterroriste ». Ces nouveaux dispositifs sont destinés, pour le premier, à élargir l’éventail des lois destinées à poursuivre les auteurs d’attentat, et pour le second, à remédier aux insuffisances des ministères de la Sécurité d’Etat et de la Sécurité publique, principaux organismes en charge du contre terrorisme. En effet, ceux-ci ont été pris au dépourvu par la succession d’actions terroristes menées au Xinjiang durant ces deux dernières années. Ce nouveau centre est donc appelé à favoriser la collecte des renseignements, le partage des informations, ainsi que la coopération internationale.
Etablissements et organismes en liaison avec le MSE
– The China Institute of Contemporary International Relations (CICIR) (Zhongguo xiandai guoji guanxi xueyuan), Pékin.
La première mission de l’institut est de fournir les abonnements à la presse internationale aux secrétariats des sept membres du Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste (presse en langue anglaise, presse de provenance occidentale, presse de Hong Kong et de Taiwan). Il est également chargé de traduire les articles collectés (sources ouvertes) dans les agences de presse et la presse étrangère, puis de les synthétiser en rapports afin de les transmettre au MSE.
Sa seconde mission est la recherche et la formation à la recherche. Le CICIR propose des diplômes de master et de doctorat en relations internationales destinés aux cadres dirigeants du MSE ou du ministère des Affaires étrangères. Il s’appuie pour cela sur vingt et un instituts, centres et sections de recherches, à compétences géographiques ou thématiques : sécurité et contrôle des armements, ethnicité et religion, contre-terrorisme, gestion des crises, stratégie maritime, etc.
Sa troisième mission est l’organisation de conférences et d’échanges internationaux. La stratégie d’influence de l’Institut, très active, conduit ses chercheurs à participer à un grand nombre de rencontres internationales, plusieurs par mois, aussi bien avec des dirigeants politiques et des représentants diplomatiques étrangers, qu’avec des institutions académiques étrangères : par exemple, l’invitation, en mai 2013, à une journée d’études par l’Institut polonaise des affaires internationales de Varsovie, afin d’y débattre des relations entre la Russie, l’Union européenne et la Chine ; ou encore, à Rangoon, en juillet 2014, à l’invitation du Myanmar Institute of Strategic and International Studies (Myanmar ISIS), les chercheurs de l’ISIS et du CICIR ont procédé à un échange de vues portant sur les problèmes de la coopération Chine-Birmanie,
la sécurisation de la frontière sino-birmane, les relations de la Birmanie avec les Etats-Unis et avec l’ASEAN, et enfin, la question sensible de la mer de Chine méridionale.
La quatrième mission du CICIR est la publication de revues, de livres et de rapports. Xiandai Guoji guanxi (Relations internationales contemporaines) est une revue à parution mensuelle en langue chinoise. Plus de la moitié des articles porte sur les relations internationales et sur les Etats-Unis. Revue de référence, elle contient des biographies de dirigeants politiques étrangers, des données économiques et statistiques, y compris sur la production, la consommation d’hydrocarbures et de charbon des grandes puissances. Contemporary International Relations est une revue bimensuelle en langue anglaise. Plus de la moitié des articles porte sur des questions internationales, par exemple, la politique des Etats-Unis envers la Chine, les relations américano-russes, ou encore, comment les Etats européens font face à la croissance de leur population d’origine musulmane.
L’Institut est actuellement classé au sixième rang des dix think-tanks les plus influents de Chine continentale par China.org.cn
Les liens de l’Institut avec le MSE sont peu aisés à établir, cependant, nombre des chercheurs du CICIR enseignent à l’Université des relations internationales et l’actuel ministre du MSE, Geng Huichang, a dirigé le CICIR de 1990 à 1993. Les chercheurs de l’Institut publient beaucoup, notamment un annuaire Guoji Kongbuzhuyi yu fankongzhuyi douzheng (Terrorisme international et lutte anti-terrorisme), produit par le Centre de recherches sur le contre-terrorisme.
– L’Université des Relations internationales (Guoji guanxi Xueyuan) sise à Pékin, est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche chargé de la formation des étudiants sélectionnés par le MSE.
La classification des entités de l’enseignement supérieur de la République populaire n’est pas toujours aisée à appréhender. Ainsi, bien que qualifiée d’« Université des relations internationales », celle-ci apparaît parfois, non comme université de plein exercice (daxue) mais comme Institut (xueyuan), donc de rang subalterne, dépendant de l’Université Renmin Daxue de Pékin.
Les spécialités des divers départements et Instituts de recherche de l’Université incluent, entre autres : les relations internationales, le socialisme, les relations de la Russie avec l’Europe orientale et le Moyen-Orient, l’Europe, l’ONU, les Etats-Unis.
Des liens, prévoyant échange de professeurs et d’étudiants, ont été établis avec onze universités étrangères, dont l’Université libre de Bruxelles, mais aucun établissement supérieur français.
La formation linguistique des futurs agents destinés à opérer à l’étranger ou à être affectés aux écoutes est dispensée par le Center for International Education (Guoji jiayu jiaoliu zhongxin), une annexe de l’Université des relations internationales, également située à Pékin.
– L’Institut de formation des cadres du MSE, à Suzhou. Son nom exact est Jiangnan[2] shehui xueyuan (Jiangnan Social University). Il fournit la formation et l’entraînement spécifique au métier d’agent de renseignement. Les rares données accessibles ne permettent pas de recoupement et manquent donc de fiabilité.
L’Institut publie une revue, trimestrielle, fondée en 1999 : Jiangnan shehui xueyuan xuebao. Les articles portent sur l’étude du marxisme, la pensée de Mao,
la théorie de Deng Xiaoping et celle des Trois représentations, le discours de Mao, « Que cent fleurs s’épanouissent », la politique du processus fondamental de modernisation socialiste, et le traitement de questions internationales et bilatérales.
Après les Etats-Unis, les relations de la République populaire de Chine avec celle de Corée du Nord occupent une place privilégiée. La Corée du Nord est, en effet, un état-tampon (huanchongqu) placé entre la Chine continentale et les forces alliées des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Sa pérennisation reste un élément fondamental de la stratégie de défense chinoise, la Corée du Nord étant rendu inviolable, donc effectivement pérenne, par sa nucléarisation. De manière comparable l’ex Stasi en Allemagne fédérale, les services de renseignements nord-coréens disposent d’un nombre considérable d’espions disséminés en Corée du Sud et parmi la vaste communauté coréenne présente au Japon. La transmission de ces renseignements au MSE peut ainsi être marchandée contre la continuation de la bienveillance chinoise envers la Corée des Kim.
Sources chinoises
http://nccur.lib.nccu.edu.tw/bitstream/140.119/67487/1/401501.pdf
http://wenku.baidu.com/view/31068829dd36a32d737581c7.html
http://wenku.baidu.com/view/752d6b00a5e9856a5612603c.html
http://sis.ruc.edu.cn/static/exco/dw/
http://baike.baidu.com/view/4418690.htm
http://www.miit.gov.cn/n11293472/n11295344/n13013001/13887638.html
– Centre éducatif sur la Sécurité nationale : accès réel interdit aux étrangers :
http://www.sitedu.cn/bkfrzmavt/
Sources occidentales
– I.C. Smith and Nigel West, Historical Dictionary of Chinese Intelligence, The Scarecrow Press, 2012.
– Marc Julienne, « Le terrorisme en Chine, un phénomène en expansion », China Analysis n°51, octobre 2014, pp. 33-37.
http://www.refworld.org/docid/3f51ef944.html
http://www.fas.org/irp/dni/osc/cicir.pdf
http://www.china.org.cn/top10/2011-09/26/content_23491278_5.htm
[1] La SASTIND, State Administration of Science, Technology and Industry for National Defence (Kexue jishu gongye weiyuanhui) est une agence du ministère de l’Industrie et de l’Information technologique de la République populaire de Chine. Sa mission est de programmer la modernisation des industries liées à la défense nationale. Voir SASTIND sur en.wikipedia.org.
[2] Jiangnan désigne les territoires situés au sud du Changjiang (Yang’zi).