Washington désigne les Gardiens de la Révolution islamique iranienne comme mouvement terroriste
Alain RODIER
Début avril, Washington a décrété que les pasdaran – la garde prétorienne du régime iranien forte de 125 000 hommes – constituaient un mouvement terroriste. Déjà, début janvier de cette année, c’est le ministère du Renseignement de la République islamique d’Iran (VAJA) qui avait été déclaré comme « terroriste » par l’Union européenne, suite à des accusations d’assassinats et de tentatives de meurtres sur des opposants. À la connaissance de l’auteur, c’est la première fois dans l’Histoire que des entités étatiques étrangères se voient qualifiées officiellement par des pays tiers de « terroristes ».
Certes, les dirigeants iraniens, leurs services secrets (VAJA) et les pasdaran (Gardiens de la Révolution islamique d’Iran) – qu’il convient de distinguer des forces armées régulières (Artesh) -, ne sont pas des enfants de chœur. L’auteur a rappelé à plusieurs reprises dans ses écrits les exactions dont ils ont la responsabilité à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran, visant leur propre opposition et les intérêts occidentaux, particulièrement français et américains. Surtout, les diatribes répétées et les nombreuses actions terroristes lancées contre Israël – dont l’existence même est remise en cause au plus haut niveau à Téhéran -, ne font rien pour améliorer les choses. Ainsi, un certain nombre de responsables politiques, religieux, militaires et des pasdaran font aujourd’hui l’objet de diverses poursuites judiciaires pour leurs activités présentes et passées.
Enfin, la volonté affichée de l’Iran d’enraciner son influence au Proche-Orient -principalement via la force Al-Qods, le « Service Action » des pasdaran – inquiète au plus haut point les pays sunnites et les Américains. C’est dans ce cadre que Washington encourage la création d’un « OTAN arabe » (Middle East Security Allianceou MESA) regroupant l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Bahreïn, Oman, la Jordanie et le Qatar. L’Égypte s’est retirée du processus et le Qatar, toujours ostracisé par Riyad, et ses alliés pourrait en faire de même à l’avenir.
Les objectifs de la politique de Trump
La décision prise par le président américain Donald Trump dépasse le cadre purement sécuritaire. Elle vient s’inscrit dans le cadre de sa politique étrangère au Proche-Orient, qui se caractérise par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, la rupture de l’accord international Joint Comprehensive Plan of Actionportant sur le nucléaire iranien et enfin par la reconnaissance officielle de l’annexion du plateau du Golan par Israël. Souhaitant toujours retirer les États-Unis du Proche-Orient[1], Trump doit d’abord s’assurer que la sécurité de l’État hébreu soit garantie, car Israël doit rester un bastion occidental implanté au coeur du monde arabo-musulman.
Il semble que le président Trump, peu au fait des subtilités diplomatiques – ou plus vraisemblablement s’en moquant éperdument -, soit déterminé à désigner l’Iran comme « État terroriste » puisqu’il a déjà affirmé à plusieurs reprises que Téhéran sponsorisait ce phénomène. À ce titre, tout pays, même allié, qui s’aventurerait à entretenir des relations commerciales avec Téhéran s’exposerait à de lourdes sanctions de la part des États-Unis.
Leur but est clair : marginaliser l’Iran tout en poussant sa population à une révolte intérieure qui permettrait de chasser les mollahs du pouvoir. Ce qui se passe en Algérie et au Soudan – même si la situation y est différente -, ne va certainement pas faire changer d’idée Donald Trump Mais là encore, Washington fait une erreur de diagnostic. Les mesures punitives adoptées à l’encontre de l’Iran ne font qu’unir le peuple perse, non derrière ses dirigeants – qui ne sont pas forcément appréciés pour de multiples raisons – mais contre les États-Unis en particulier, et contre l’Occident en général. Preuve en est, en réponse à cette condamnation américaine, de nombreux députés iraniens ont assisté aux dernières cessions officielles du parlement en revêtant l’uniforme des pasdaran même s’ils n’en sont pas tous membres.
D’ailleurs, s’ils poursuivent dans cette logique, les Américains devraient également déclarer les bassidji – réserve populaire estimée à plusieurs millions de miliciens encadrés par des pasdaran – comme organisation terroriste, car elle sert de vivier aux Gardiens de la Révolution tout en encadrant le pays.
Des conséquences inattendues
Le fait d’avoir désigné les pasdaran comme mouvement « terroriste » va poser quelques problèmes aux Etats-Unis.
En premier lieu, plusieurs pays, déjà désignés par Washington comme adversaires – la Chine et la Russie en particulier – se font un devoir de voler au secours de Téhéran soit en lui achetant son pétrole (Chine), soit en lui livrant armements et pièces de rechange (Russie).
Si cette décision ne sera d’aucun effet en Syrie – où, de toute façon, la « messe est dite » -, puisque jamais l’administration américaine actuelle ne prendra langue avec le régime, la chose est différente en Irak. Ce pays est soutenu par Washington et les Occidentaux mais les pasdaran y sont aussi présents aux côtés des milices chiites gouvernementales, les Hachd al-Chaabi(Unités de mobilisation populaires). Il leur arrive même de croiser sur l’aéroport de Bagdad leurs homologues des forces spéciales américaines. Que vont faire ces derniers ? Vont-ils continuer à regarder ailleurs comme ils le font depuis 2014 ? À noter que chez les Kurdes irakiens, le parti Union patriotique du Kurdistan irakien (UPK) du clan Talabani serait aussi discrètement en contact avec les pasdaran.
D’autres difficultés, certes moindres, vont aussi survenir ici et là. Par exemple, les quelques représentations diplomatiques iraniennes qui abritent des Attachés de défense abritent un généralement un officier (souvent le numéro deux de la mission militaire) issu officiellement du corps des pasdaran. On ne peut pas le manquer, il assiste aux manifestations officielles en uniforme. Bien sûr, les diplomates iraniens – dont les militaires – ne sont pas invités à l’ambassade américaine (et inversement), mais ils se croisent par exemple lors de la fête nationale du pays dans lequel ils sont accrédités, comme lors des réceptions officielles organisées par les ambassades des pays tiers. Que va faire Washington ; demander leur expulsion ou leur arrestation ?
Enfin, en réponse à cette mesure, Téhéran a décrété que tous les militaires américains servant au Proche-Orient seraient désormais considérés comme des « terroristes ». Or, il est arrivé dans le passé – comme en janvier 2016 dans le détroit d’Ormuz – que des marins de l’US Navy soient faits prisonniers pour avoir pénétré involontairement dans les eaux territoriales iraniennes (ils avaient été relâchés au bout d’une dizaine de jours). Ils pourraient donc ne plus bénéficier plus de la protection accordée aux militaires par les conventions internationales, même en cas de guerre.
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Les Américains semblent se préparer à un affrontement armé avec l’Iran, à court ou moyen terme. En effet, il n’y aura pas de soulèvement populaire capable de chasser les mollahs du pouvoir sans une intervention extérieure. Dans cette perspective, les règles d’engagement seront édictées par Washington, qui a déjà inventé celle du « combattant illégal » pour incarcérer indéfiniment des prisonniers à Guantanamo, pratiqué la torture par waterboardinget mené des exécutions extrajudiciaires via des frappes de drones dans des territoires étrangers sans trop se soucier des pertes collatérales. Sans exonérer en rien le régime théocratique iranien de ses exactions présentes et passées – et sachant pertinemment que les Américains ne sont pas les seuls à utiliser des méthodes que les conventions internationales réprouvent -, ce sont tout de même de curieuses méthodes pour un pays qui prétend incarner le « Bien » sur terre.
[1] C’est un de ses objectifs très populaire aux Etats-Unis : le « retour des Boys » à la maison. Ajouté au fait que, plus important encore, le taux de chômage dans le pays est aujourd’hui au plus bas (environ 3,5%) et que les salaires sont en augmentation sensible, on voit mal comment il pourrait ne pas être réélu pour un second mandat.