Les attentats du 21 avril au Sri Lanka
Alain RODIER
Depuis 2009, date de la fin de la guerre intérieure menée contre les Tigres de libération de l’Eleam tamoul (LTTE) – un mouvement marxiste-léniniste séparatiste défait après 33 ans d’affrontements -, le Sri Lanka n’avait plus connu d’attentat même si la tension intercommunautaire semblait s’amplifier depuis plusieurs mois. C’était si perceptible que le ministère français des Affaires étrangères français, sur son site de conseil aux voyageurs, n’écartait pas la possibilité d’actions terroristes. « Le risque de reprise d’actes violents ne peut toutefois être écarté et des tensions ethniques et/ou religieuses sont perceptibles dans l’ensemble du pays« . À noter que leGuide du routard, plus optimiste, classait le Sri Lanka comme un pays « pas dangereux« .
Le dimanche 21 avril, jours de Pâques, sept attentats coordonnés ont été commis contre quatre hôtels (Kingsbury, Shangri-la et Cinnamon Grand dans la capitale Colombo et le Tropicalà à Deliwala-Mount Lavinia) et contre les églises Saint Antoine (Colombo), Saint Sébastien (Negombo) et celle de Zion (évangélique) à Batticaloa. Enfin, un suspect s’est fait exploser dans un complexe résidentiel à Dematagoda alors que la police procédait à des investigations. Trois policiers ont alors été tués. Le bilan global mais non définitif est très lourd : au moins 290 tués et plus de 450 blessés. Une douzaine de suspects dont plusieurs femmes auraient été interpellés.
Maithripala Sirisena, le président sri lankais, a ordonné le déploiement de l’armée dans la capitale, l’établissement d’un couvre-feu ainsi que la constitution d’une unité d’enquête spéciale dédiée à cette affaire. Les autorités n’écartent pas la possibilité du déclenchement d’autres attentats.
Le Sri Lanka, carrefour de toutes les religions, aujourd’hui causes de conflits
Le Sri Lanka compte quelques 21 millions d’habitants. 70% sont bouddhistes, 12,6% hindouistes, 9,7% musulmans et 7,6% chrétiens (catholiques et protestants). Ces derniers sont présents aussi bien dans les communautés tamoules que chez les Cinghalais et sont donc considérés comme un élément fédérateur. En effet, il ne semble pas que les attentats annoncent une résurgence du conflit qui a ensanglanté le pays jusqu’en 1999 faisant 70 000 morts et 140 000 disparus. Il est intéressant de souligner que les terroristes du LTTE avaient été les premiers à prôner l’attentat suicide avant que cette technique de combat ne soit reprise par le Hezbollah, par les Palestiniens puis les salafistes-djihadistes. Toutefois, l’état d’urgence a été décrété dans le pays en 2018 suite à des heurts survenus à en 2017 entre bouddhistes et musulmans.
Le 18 janvier dernier, suite à l’arrestation de quatre activistes appartenant à un « nouveau groupe islamique radical », la police sri-lankaise avait saisi 100 kilos d’explosifs C4 et des détonateurs. À l’époque, des statues de Bouddha avaient déjà été les cibles d’attaques, ce qui expliquait l’état d’urgence. Un responsable de la police avait alors déclaré à l’AFP : « L’information que nous avons pour le moment est qu’un groupe local radicalisé de musulmans est derrière les explosifs saisis. […] Nous essayons de voir s’ils ont des liens avec des extrémistes à l’étranger« . Cette affaire intervient dans le cadre de la crise des Rohingyas, des musulmans de Birmanie considérés comme des étrangers et rejetés par les Bama[1] pour qui l’identité birmane est inséparable de la religion bouddhiste. Après avoir pris les armes contre le gouvernement de Rangoon, les Rohingyas ont fait l’objet d’une répression féroce qui a provoqué leur exode massif, dans des conditions effroyables, vers le Bangladesh voisin.
Les terroristes changent de cibles
Début avril, l’inspecteur général de la police, Pujith Senadhi Bandara Jayasundara, aurait été averti par un service de renseignement étranger que le Sri Lanka Thaweed Jamath (SLJT) – peut-être aussi appelé National Thaweed Jamath » (NTJ) -, une organisation islamique active depuis des années dans le pays, « envisageait de commettre des attentats-suicides contre des églises importantes et la Haute commission indienne à Colombo« . Or, le 21 avril, les cibles étaient claires : les chrétiens célébrant les fêtes de Pâques d’un côté, et les touristes fortunés de l’autre (35 étrangers dont des Américains et des Britanniques auraient été tués). L’antagonisme entre bouddhistes et musulmans ne semble pas être à l’origine des attentats, sauf à imaginer une provocation machiavélique peu probable.
Bien que les Sri Lankais ne semblent pas être particulièrement présents au sein de Daech, un activiste a tout de même été tué sur le théâtre syro-irakien en 2016. Les autorités estiment à une trentaine les combattants originaires du Sri Lanka partis sur le front syro-irakien. Le professionnalisme cette action coordonnée laisse à penser à un commando bien préparé, même si une partie de l’opération est vraisemblablement locale[2].
Si Daech venait à reconnaitre la paternité de ces explosions – aucune revendication n’a encore été formulée[3]-, elles entreraient vraisemblablement dans le cadre de l’opération Vengeance pour le Levantdéclenchée le 9 avril pour répondre à la chute de la dernière entité territoriale du califat en Syrie, la localité de Baghouz.
En effet, Daech lance désormais des opérations coup de poing sur le théâtre syro-irakien – plus de 60 tués ces derniers jours même si Al-Qaida est aussi « dans le coup »- mais également dans ses wilayas extérieures comme la Libye, le Sinaï, le Sahel, la Somalie, etc.
Le fait nouveau est que le Sri Lanka soit ciblé. Le pays avait été épargné jusqu’à présent, n’étant à priori pas classé comme un théâtre opérationnel primordial. En fait, Daech joue sur la surprise et frappe là où on ne l’attend pas. Malheureusement, de nouveaux attentats pourrait bien se produire dans un proche avenir. Cela vient illustrer le fait que Daech, là où il est faible, mène des actions terroristes relativement faciles à organiser ; et là où il est fort, lance des opérations de guérilla selon le vieux principe de la guerre révolutionnaire. Mais il n’est pas prêt à retrouver le niveau qu’il a connu de 2014 à 2019, celui de la guerre conventionnelle.
[1] Les Bama (ou Birmans)sont le principal groupe ethnique de la Birmanie ou Myanmar.
[2] Le Sri lankais kamikaze de l’hôtel Cinnamon s’était fait enregistrer la veille sous le nom de Mohamed Azzam Mohamed avant de se faire exploser au milieu de clients
[3] On peut s’étonner de ce fait d’autant que les réseaux sociaux islamistes radicaux se félicitent de ce carnage