Vers une intensification des combats en Afghanistan
Alain RODIER
Dès le printemps 2007, les taliban devraient repasser à l'offensive en Afghanistan. Leurs premiers objectifs seront des installations militaires et gouvernementales situées dans les villes proches de la frontière pakistanaise. Pour cela, des assauts menés par des centaines de combattants et des attentats suicide devraient avoir lieu. Le record de 117 attaques suicide atteint en 2006 devrait être largement dépassé. Les services de renseignement occidentaux craignent que des attentats aient également lieu dans les principales villes du pays, notamment à Kaboul, afin d'obliger les forces internationales à diminuer la pression qu'elles exercent dans les provinces sud de l'Afghanistan.
Fin décembre 2006, le Mollah Mohamed Omar a appelé ses troupes à éviter les pertes de civils musulmans innocents : « nous devons être très attentifs et précautionneux à bien sélectionner nos cibles. Nous devons avoir des relations amicales et sincères avec notre peuple musulman ». Les observateurs retrouvent là les consignes données par le Docteur Ayman Al-Zawahiri, l'idéologue d'Al-Qaida. L'objectif est simple : ne pas s'aliéner la population afghane qui apporte de plus en plus son soutien aux moudjahédines taliban.
Organisation et objectif des taliban
Le Mollah Mohamed Omar préside la Choura Rabari (Conseil suprême) des « étudiants en religion ». Cet organisme, qui a été créé en juin 2003, à Quetta au Pakistan, est chargé de coordonner le djihad. Il est composé théoriquement de dix membres. L'un d'entre eux, le mollah Akhtar Mohamed Osmani, a été tué par les forces américaines à la fin décembre 2006. Quatre autres chefs militaires Pachtounes sunnites dominent la scène, tous considérés comme très proches d'Oussama Ben Laden :
- Jalaluddine Haqqani, un vétéran de la guerre contre les Soviétiques, qui est considéré comme le numéro deux du mouvement. Ancien ministre des Frontières et des Affaires tribales sous le régime des taliban, il dirige les opérations dans l'est de l'Afghanistan, dans la région frontalière avec le Pakistan (provinces de Khost et de Paktia) ;
- le mollah unijambiste Dadullah (il a perdu une jambe lors de combats en 1994) est chargé des opérations dans le sud du pays. En 2001, il aurait participé à la destruction des bouddhas de Bamyan et surtout, il serait le responsable du massacre de centaines d'Hazaras chiites, en 2000, dans la même région;
- Saifur Mansour, également vétéran de la guerre contre les Soviétiques, dirige la lutte dans la région de Gardez.
- le mollah Obaidullah Akhund, ancien ministre de la défense des taliban, serait également actif. C'est vraisemblablement lui qui aurait en charge la région de Kaboul.
Enfin, agissant pour son propre compte, Gulbuddine Hekmatyar qui dirige le Hezb-i-Islami (le parti islamique) est implanté dans le nord et le nord-est du pays. Coopérant épisodiquement avec les taliban, il entretiendrait des liens privilégiés avec Téhéran, bien que le régime des mollahs prétende l'avoir expulsé d'Iran.
L'objectif des taliban est la reprise du pouvoir à Kaboul afin d'y rétablir un Etat islamique qui ait une interprétation stricte de la Charia (Deobandi et wahabbite). Leurs effectifs sont difficiles à estimer car, comme dans toute guerre de guérilla, un paysan le jour peut devenir un combattant la nuit. De plus, de nouvelles recrues viennent grossir sans cesse les rangs des taliban après avoir reçu une formation dans certaines écoles religieuses (madrasas) pakistanaises.
Rôle de Téhéran dans le conflit afghan
Lorsqu'en 1992 les moudjahédines afghans ont renversé le président Mohamed Najibullah1 qui avait été soutenu par les Soviétiques jusqu'à leur départ en 1989, Téhéran a craint qu'un régime radical sunnite ne s'installe à Kaboul. En conséquence, l'Iran a discrètement soutenu les Hazaras (chiites) et le chef de guerre tadjik de la région d'Herat : Ismail Khan.
En 1996, la prise du pouvoir par les taliban a été ressentie par Téhéran comme un complot américano-sunnite destiné à isoler l'Iran. Les relations avec Kaboul se sont encore plus détériorées quand sept diplomates iraniens en poste à Mazar-i-Sharif ont été assassinés en août 1998. Téhéran a donc décidé de s'opposer aux taliban par tous les moyens. C'est pour cette raison qu'ils ont accueilli sur leur sol le leader pachtoune Gulbuddin Hekmatyar ainsi que des membres des Hazaras auquels ils ont apporté une importante aide logistique et de formation.
Toutefois, en 2001, Téhéran a condamné l'intervention internationale en Afghanistan considérant que la menace représentée par la présence de forces américaines dans ce pays était beaucoup plus dangereuse pour l'Iran que celle représentée par les taliban. Depuis, l'Iran soutient tous les groupes qu'ils soient sunnites ou chiites, qui s'opposent à la présence américaine.
Politiquement, en raison des différents qui opposent Kaboul à Islamabad, Téhéran se présente aux autorités afghanes comme le seul débouché fiable pour tout commerce extérieur. C'est donc essentiellement par l'Iran que transitent les marchandises nécessaires à l'économie afghane. Cette situation empêche les Américains de faire trop pression sur le président Karzaï pour qu'il mène une politique moins « amicale » vis-à-vis de Téhéran. Parallèlement, l'Iran est devenu un contributeur financier important ayant apporté une aide de 600 millions de dollars depuis fin 2001. Enfin, Téhéran se livre à une propagande forcenée en direction de la population en défendant l'idée que les Américains n'ont pas apporté le bien-être qu'ils avaient promis et surtout, que le seul but de leur présence est la domination de terres musulmanes. Le centre culturel iranien de Kaboul est particulièrement actif. Il promeut la culture iranienne et se charge d'envoyer des étudiants afghans dans les universités iraniennes de manière à contrer l'influence occidentale. En résumé, Téhéran se sert de l'Afghanistan pour contrer la « menace américaine ».
- 1Najibullah a été horriblement assassiné en 1996 par les talibans qui venaient de prendre le pouvoir : battu, castré vivant, traîné derrière une Jeep avant d'être finalement achevé.