Exfiltration d’un responsable iranien de haut rang
Alain RODIER
Le général des Pasdarans, Ali Reza Asghari, a vraisemblablement été exfiltré par les services secrets américains début février 2007, depuis Istanbul. Cette opération s’inscrit dans le cadre de la guerre secrète que livrent actuellement les Etats-Unis et Israël à la République islamique d’Iran.
En tant que Conseiller pour les affaires stratégiques et les équipements militaires du ministère de la Défense iranien, Asghari s’est rendu en voyage officiel à Damas, début février, afin de négocier des marchés d’armement. Comme tout Iranien de haut rang, il avait obtenu l’aval du service de sécurité des Pasdarans pour se rendre à l’étranger. En effet, tous les voyages extérieurs de responsables sont étroitement contrôlés. Les Pasdarans sont chargés de cette mission car ils sont considérés comme les plus fiables par le régime. Dans le cas précis d’Asghari, il semble cependant qu’ils aient fait preuve au minimum d’incompétence.
Une fois rendu à Damas, Asghari aurait prétexté devoir rencontrer un intermédiaire à Istanbul, ce qui peut paraître normal, cette mégapole étant au centre de nombreux trafics internationaux. Il aurait alors été autorisé par sa hiérarchie à se rendre dans cette ville. Une suite à l’hôtel Ceylan Inter-Continental lui aurait même été retenue par l’attaché de Défense iranien en poste à Ankara. Prétextant des raisons de sécurité, il aurait demandé à changer d’établissement. Arrivé le 7 février dans un nouvel hôtel, il aurait quitté sa chambre vers 18 h 30 en y laissant toutes ses valises, de manière à ne pas attirer l’attention. Depuis, il n’a plus donné signe de vie.
Bien que Téhéran prétende qu’Asghari ait été enlevé par le Mossad ou la CIA, il semble beaucoup plus probable que nous soyons en face d’une exfiltration prévue de longue date.
Asghari aurait vendu sa maison fin 2006. Puis, sa famille aurait quitté l’Iran pour une destination inconnue, deux jours avant son départ. Ce sont là des fautes impardonnables des services de sécurité iraniens qui ne semblent pas avoir fait le rapprochement. En effet, pour tout régime autoritaire, la meilleure manière de s’assurer de la fidélité d’un collaborateur en déplacement à l’étranger est de garder sa famille en otage (méthode employée systématiquement par les Soviétiques et par les Chinois).
Le prétexte de son déplacement à Istanbul parait avoir également été monté de toutes pièces, ainsi que le changement d’hôtel à la dernière minute. Ces mesures étaient vraisemblablement destinées à semer la surveillance dont Asghari était l’objet de la part des services de sécurité iraniens, qui possèdent une très importante représentation diplomatique en Turquie et donc de nombreux agents opérationnels dans ce pays.
La ville d’Istanbul – qui n’est pas la capitale politique de la Turquie, mais le centre économique – abrite des consulats généraux de toutes les grandes nations. Celui des Etats-Unis y est particulièrement important. Il est certainement le siège d’une antenne de la CIA. Ce sont sans doute ses membres qui ont organisé l’exfiltration. Cette opération secrète n’a pu se dérouler sans l’aval et le soutien des services secrets turcs (MIT). En effet, Ankara est très jaloux de ses prérogatives sur son propre sol et les Américains ne souhaitent pas froisser leur allié.
Où Asghari se trouve-t-il aujourd’hui ? Où est sa famille ? Les Pasdarans et le VEVAK (service de renseignement iraniens) doivent être sur les dents. Leur spécialité reste l’élimination physique d’opposant et de tout « traître à la cause ». Les Américains le savent et possèdent les structures et les moyens pour mettre à l’abri ce type de personne. Il est même possible qu’ Asghari ne se trouve pas aux Etats-Unis, mais dans un autre pays. Après un très long débriefing qui peut durer des mois, il faudra lui constituer une nouvelle identité, lui fournir un travail, pour qu’il puisse se construire une nouvelle vie (les tueurs iraniens sont réputés pour leur ténacité). Cela coûte extrêmement cher, mais c’est le prix à payer pour obtenir des renseignements d’exception.
Ali Reza Asghari est une recrue de choix pour les Américains. En effet, cet ancien général des Pasdarans a été en poste au Liban dans les années 1990. Il était alors chargé des relations entretenues entre Téhéran et le Hezbollah libanais. Il a ensuite occupé les fonctions de vice-ministre de la Défense sous l’autorité d’Ali Shamkhani, alors que le président « modéré » Khatami était au pouvoir (1997-2005). Agé aujourd’hui de 63 ans, il occupait encore, dans les années 1980, des fonctions officielles au sein du ministère de la Défense dirigé par Moustafa Mohamed Najjar, un ancien Pasdaran comme lui ; qui l’avait précédé au Liban. Les hautes responsabilités qu’il a occupé durant sa carrière peuvent éclairer les services américains sur de nombreux points :
- les relations entretenues avec le Hezbollah libanais ;
- les approvisionnements d’armes de l’Iran (d’où viennent-elles ? qui sont les intermédiaires ?)
- éventuellement, l’état d’avancement du programme nucléaire iranien. Toutefois cela ne semble pas être sa spécialité car il s’occupait surtout d’armements classiques. Il peut néanmoins donner des renseignements intéressants concernant les missiles sol-sol).
Toutefois, une question essentielle se pose : Asghari est-il un vrai transfuge, avec des informations importantes à livrer, ou s’agit-il d’une tentative d’intoxication des services iraniens ? En effet, les conditions d’exfiltration de sa famille et de la vente de sa maison semblent un peu « étranges ». Seuls les officiers traitants chargés de son débriefing pourront le dire.