Succès pour le FSB dans la lutte engagée contre les indépendantistes tchétchènes
Alain RODIER
Les éliminations de Sadouyalev et de Bassaïev
Nikolaï Patrouchev, le chef des services de sécurités intérieurs russes (FSB), a annoncé le 10 juillet que Chamil Bassaïev – alias cheikh Abou Khalim – le plus important et le plus sanguinaire chef de guerre tchétchène, avait trouvé la mort déchiqueté par une explosion lors d'une opération spéciale menée la nuit précédente en Ingouchie, petite république voisine de la Tchétchénie. Responsable de nombreux attentats commis dans le Caucase mais également en Russie, Bassaïev avait remercié le Conseil consultatif des moudjahédines en Irak (émanation d'Al-Qaida) pour avoir enlevé puis assassiné quatre diplomates russes en poste à Bagdad en juin.
Déjà, le 17 juin, le « président » indépendantiste tchétchène1 Abdul-Kalim Sadoulayev avait été tué par les forces spéciales russes dépendant du FSB, appuyées par des unités fidèles au Premier ministre tchétchène Ramzan Kadyrov, dans la ville d'Argoun (son fief historique) située à une quinzaine de kilomètres à l'est de Grozni. Comme cela s'est passé pour Al-Zarqaoui en Irak le 7 juin, un renseignement d'origine humaine, en l'occurrence, la trahison d'un de ses proches soudoyé pour une somme équivalent à 50 euros, afin qu'il puisse s'acheter de la drogue, a permis aux forces de sécurité de monter une opération militaire qui a conduit à l'élimination du chef rebelle. Alu Alkhanov, le président tchétchène en exercice, s'est félicité de ce succès militaire.
Sadoulayev avait succédé à l'ancien « président » Aslan Maskhadov tué en mars 2005. A sa nomination, Sadoulayev était relativement peu connu. Islamologue et ancien du djamat d'Argoun (à l'origine, les djamat sont des communautés musulmanes locales destinées à mener des études spirituelles), il ne possédait pas le charisme de son prédécesseur. Cependant, il avait restructuré en profondeur la résistance tchétchène, particulièrement en ordonnant la création d'un service de renseignement et de contre-espionnage qui couvrait l'ensemble du Caucase. Comme son prédécesseur, il tentait également d'unifier différents mouvements islamistes et nationalistes de la région afin d'étendre le conflit à l'ensemble du Nord-Caucase qu'il désignait officiellement comme le « front caucasien » en ayant l'espoir, de devenir à terme, l'émir du « califat du Caucase du Nord ». Certains lui prêtaient même l'intention d'étendre la guerre à totalité du Caucase. Il est vrai qu'il avait récemment proposé son aide à la Géorgie pour « combattre les activités terroristes de la Russie et ses ambitions impériales ». Son action rencontrait un certain succès. Ainsi, le 13 octobre 2005, une opération de grande envergure nommée « Victoire ou Paradis » avait lieu à Naltchik, capitale de Karbadino-Balkarie. Les combats faisaient état, selon les bilans officiels, d'au moins 108 morts dont 78 assaillants (sur les 217 engagés). L'action était dirigée sur le terrain par un certain Anzor Astemirov, alias Seïfoula, émir de la zone. Le 17 mai 2006, Djabraïl Kostoev, le vice-ministre de l'intérieur ingouche plus particulièrement chargé de la lutte anti-terroriste, trouvait la mort dans un attentat suicide perpétré à Nazran, capitale de cette petite région voisine de la Tchétchénie. Cet attentat qui causa la mort de sept personnes fut également imputé aux rebelles tchétchènes. D'autres actions moins spectaculaires eurent également lieu au Daguestan, et dans les régions d'Adygea, de Stavropol et de Krasnodar.
Fin août 2005, Sadoulayev avait nommé Chamil Bassaïev vice-Premier ministre. Véritable chef opérationnel internationaliste, c'est lui qui supervisait la plupart des opérations déclenchées dans le Caucase. En février 2006, Sadoulayev remaniait son « gouvernement » en demandant à ses « ministres » de résider en Tchétchénie et plus dans un confortable exil à l'étranger.
Sur le plan opérationnel, il bénéficiait de l'aide de combattants internationalistes dont une bonne part dépendait d'Al-Qaida. Parmi eux, trois responsables importants auraient été tués dans la région de Vedeno, en mai 2006 : les Saoudiens Abou Omar Al-Seif, Jabir Al-Taïfi et le Jordanien Abou Hafs Al-Ourdani2. Cependant, ces morts n'ont pas été confirmées ; Al-Seif avait déjà été donné pour tué le 11 mai 2005. Il convient de souligner que le Caucase est non seulement considéré par Oussama Ben Laden comme une terre de djihad, mais aussi comme une zone où ses fidèles peuvent s'aguerrir avant de retourner à d'autres combats. Il est d'ailleurs inquiétant de constater que nombre d'« anciens combattants » ayant fait leurs classes en Tchétchénie sont désormais de retour dans leur pays d'origine : Europe occidentale, Maghreb, etc. Les services de sécurité craignent qu'ils ne se préparent à passer l'action. Pour cela, ils bénéficient de deux atouts : ils connaissent le terrain et ils ont acquis des savoir-faire opérationnels. Par contre, les responsables tchétchènes, pour des raisons évidentes de « reconnaissance internationale », ont toujours tenu à conserver la direction des opérations, les djihadistes internationalistes n'apportant, selon eux, qu'une aide technique et financière à leur combat. A titre d'exemple, le « ministre » des Affaires étrangères tchétchène, Ahmed Zakayev, s'est officiellement désolidarisé de la prise en otage puis de l'assassinat de quatre diplomates russes à Bagdad en juin 2006, alors que Bassaïev, pour sa part, s'en félicitait.
Les succès que représentent les neutralisations de Sadoulayev et de Bassaïev dans la guerre contre le terrorisme islamique international viennent donc s'ajouter à ceux remportés en juin en Irak – avec la mort d'Al-Zarqaoui – et en Afghanistan. D'autre part, au même moment, de nombreuses cellules d'activistes ont été démantelées au Canada et en Europe occidentale, notamment en Italie. Et un attentat d'importance a été déjoué par le FBI dans le métro de New-York.
Quelle poursuite du combat en Tchétchénie ?
Ces succès vont à l'encontre de la vision pessismiste de nombreux « experts » qui font preuve d'un défaitisme chronique lorsqu'ils ne s'opposent pas directement aux efforts consentis par les forces de sécurité, par exemple, en dévoilant et condamnant certaines activités de la CIA ou du FSB qui sont engagés en première ligne dans la guerre contre le terrorisme. Il n'en reste pas moins vrai que l'hydre terro-religieuse inspirée par la nébuleuse Al-Qaida n'est pas vaincue. Pour la Tchétchénie et le Caucase, la guerre est loin d'être terminée. Hors de Tchétchénie, les exécutants sont généralement des « locaux » dont certains ont reçu une instruction militaire de base dans les gorges du Pankisi, mais leurs chefs, les émirs, sont majoritairement d'origine tchétchène. De plus, les activistes qui tombent sont rapidement remplacés. Pour sa part, Sadoulayev laisse sa place au vice-président qu'il avait nommé en 2005 : Doku Oumarov. Ce vétéran de 42 ans a connu la première guerre de Tchétchénie qui a débuté en 1994.
Le combat peut donc continuer. Il est d'ailleurs probable que des opérations spectaculaires aient lieu dans le Caucase, mais également en Russie même, de manière à venger la mort des deux chefs tchétchènes. Mais les nouveaux responsables manquent d'expérience et sont donc plus vulnérables. Quant au « président » Oumarov, il semble qu'il ne soit peu enclin à négocier avec Moscou. En effet, son premier geste politique a consisté à élever Bassaïev au rang de vice-président, poste qu'il n'a tenu que peu de temps.
Toutefois, pour les Russes, la guerre ne se gagnera pas uniquement en remportant des victoires militaires mais aussi et surtout, en gagnant l'esprit des populations. Pour cela, ils doivent s'attaquer à la corruption d'une grande partie des responsables politico-religieux locaux et à la situation socio-économique lamentable qui règne dans ces régions. C'est là un des principes fondamentaux de la guerre révolutionnaire. Quoi que puissent dire de nombreux « intellectuels », historiquement, ces principes ont été édictés et pratiqués à l'origine par les membres du Komintern, l'internationale communiste dont s'est inspiré Ben Laden en suivant les enseignements de son maître à penser de l'époque : Abdullah Azzam.