Tactique employée par le Hezbollah au Liban
Alain RODIER
Au grand étonnement des experts, au cours de l'étét 2006, le Hezbollah a réussi à résister aux assauts de l'armée israélienne qui est considérée comme l'une des meilleures du monde. Ce fait s'explique en grande partie par la tactique que le mouvement chiite libanais a développé, particulièrement depuis l'évacuation du Sud Liban par Tsahal en 2000, sous l'impulsion de son secrétaire général Hassan Nasrallah.
En effet, le commandement militaire du Hezbollah a tout d'abord soigneusement examiné les raisons des défaites rencontrées par les armées des pays arabes lors des derniers conflits. Il a particulièrement su tirer les leçons de l'invasion du Liban par les Israéliens, en 1982. A l'époque, Tsahal avait pris Beyrouth en seulement quelques jours.
La première mesure a consisté à donner une grande autonomie aux combattants sur le terrain, divisant le Sud Liban en plusieurs zones militaires, déléguant l'autorité aux plus bas échelons sans tomber dans le piège d'une centralisation systématique1. Cette manière d'opérer autorise une grande flexibilité et une réactivité extrêmement rapide.
Parallèlement, les combattants ont été regroupés en unités de petite taille allant du niveau du groupe de combat (une dizaine d'hommes) à la section (une trentaine d'hommes).
Ces combattants ont subi un entraînement intensif au combat d'infanterie, utilisant avec maîtrise les armes dont ils sont dotés : fusil d'assaut AK 47, fusils à lunette Dragounov2, lance-roquettes RPG 7, mortiers de 60, 81 et 120 mm, missiles anti-chars AT-3 Sagger et AT-4 Spigot, ainsi que quelques TOW récupérés auprès des Iraniens qui les avaient obtenus lors du scandale Contragate dans les années 1985. Bien que ne pouvant réellement rivaliser sur ce plan avec ses adversaires israéliens, la capacité de combat de nuit des activistes du Hezbollah a été renforcée ces derniers temps avec l'arrivée d'appareils de vision nocturne.
Pour ce qui est des armements lourds utilisés contre l'Etat d'Israël, le Hezbollah bénéficiait à l'origine de 10 000 à 12 000 roquettes Katiousckha de 122 mm dérivées des BM-21 GRAD soviétiques (portée : 20 kilomètres), fournies majoritairement par la Syrie. Leur principal avantage est la facilité avec laquelle elles peuvent être transportées depuis les caches où elles sont entreposées, puis mises en œuvre, soit à terre soit à partir de camions banalisés. Dans certains cas, des dispositifs de mise à feu à retard ou à télécommande ont été employés, ce qui permettait aux servants d'être à l'abri des frappes adverses au moment du tir. Le Hezbollah bénéficie également de missiles de fabrication iranienne (Raad-2 et Raad-3) qui ont été utilisés contre la ville d'Haïfa, de Farj-33 (portée : 45 kilomètres) et Farj-5 (portée : 75 kilomètres) et peut-être de quelques Zelzal-2 (une copie du Frog-7) qui peuvent emmener une charge de 600 kilos à environ 200 kilomètres. A noter que pour éviter toute détection visuelle de la part des Israéliens, les tirs ont lieu de jour, généralement à l'aube ou en début d'après-midi. L'arme utilisée contre un navire de guerre israélien et qui a causé la mort de quatre marins serait un missile de défense côtière terre-mer iranien C 802 Noor. La défense anti-aérienne est essentiellement assurée par des missiles portables SA-7 et des canons ZU-23 employés à terre ou sur les plates-formes de camions. Il est fort probable que les missiles les plus sophistiqués sont servis avec l'aide technique de Pasdarans.
Sur le plan du renseignement, Israël a été mis en échec car il est extrêmement difficile de pénétrer les cellules opérationnelles du Hezbollah qui cultivent la culture du secret imposée par le Cheikh Nasrallah. Les groupuscules sont généralement constitués de personnes qui se connaissent depuis leur plus tendre enfance, voire qui sont de la même famille. Tout nouveau venu est donc suspect. Par contre, le Hezbollah bénéficiait d'excellents renseignements fournis par la population du Sud Liban qui leur était totalement favorable. Tous les « civils » étaient les oreilles et les yeux du mouvement, ce qui explique en grande partie pourquoi Israël s'est efforcé de repousser ces populations plus au nord (et pas uniquement pour des raisons humanitaires). Quelques agents de renseignement avaient été également infiltrés du côté israélien comme ce citoyen canado-israélien arrêté pour espionnage alors qu'il photographiait des installations militaires au Nord du pays.
Depuis 2000, le Sud Liban avait été aménagé très discrètement avec des bunkers, des caches d'armes, des souterrains de communications, des réseaux de transmissions sophistiqués, etc. De plus, le terrain rocailleux n'est pas favorable à la progression de forces mécanisées, les rares routes et chemins empierrés permettant aisément de monter des embuscades. Le Hezbollah est aussi passé maître dans l'utilisation de mines et autres engins explosifs improvisés (techniques enseignées en Iran et déjà exportées en Irak) qui rendent toute progression des troupes adverses délicate. Les caches aménagées permettent aussi aux combattants islamiques de laisser passer les forces israéliennes et de réapparaître sur leurs arrières un peu comme le faisaient les soldats nippons contre les Américains lors de la reconquête des îles du Pacifique sud lors de la II ème guerre mondiale.
La tactique adoptée par le Hezbollah n'est pas figée comme souvent c'est le cas dans les armées modernes. En effet, les actions passées sont suivies d'examens approfondis qui permettent d'en tirer les leçons de manière à faire évoluer en permanence les techniques devant être employées dans un but de plus grande efficacité.
Enfin, et peut-être surtout, l'état d'esprit des combattants du Hezbollah est totalement différent de celui des soldats israéliens. En effet, le commandement de Tsahal tente, par tous les moyens de minimiser les pertes au sein de ses troupes et d'évacuer au plus vite les blessés, ce qui ralentit souvent le déroulement des opérations. Les Hezbollahis sont prêts à se sacrifier, le « martyre » étant pour eux, un objectif glorieux à atteindre. Ce n'est pas pour rien s'ils ont théorisé puis enseigné à d'autres les techniques des « bombes humaines ».
Ils sont aussi excellents sur le plan de la communication. Ils ont compris qu'il était facile d'agir sur les populations en faisant jouer la corde sensible de la conscience des Occidentaux imbibés de leur héritage historique de source judéo-chrétienne. Alors, curieusement, des images de civils tués parviennent très rapidement à toutes les chaînes de télévision mondiales qui les repassent en boucle. Peu importe si l'on sait après coup que l'objectif visé était un camion qui venait de tirer des roquettes sur Israël et qui se garait, comme par hasard, dans le garage d'un immeuble abritant de nombreux civils. Le résultat psychologique est double : à l'indignation des Occidentaux vient s'ajouter la haine des populations musulmanes qui sont bien sûr extrêmement touchées par ces images surmédiatisées. De même, depuis des années, il est dans l'habitude de groupes du Hezbollah de s'installer à quelques dizaines de mètres de postes d'observation de l'ONU. L'objectif est là également de faire tuer des soldats de la paix dans un but purement psychologique. Bien que le Hezbollah ne reconnaisse aucune « loi de la guerre » (il est vrai édictées par les Occidentaux), il arrive à persuader l'opinion mondiale que se sont les Israéliens qui s'affranchissent de ces règles, d'où les campagnes de presse faisant état de l'emploi d' « armes interdites » par Tsahal : bombes à fragmentation, bombes au phosphore, etc. On retrouve là ce qui se déroule en Irak où les Américains se retrouvent en position d'accusés face aux égorgeurs et responsables d'horribles massacres de civils innocents.
D'après les Israéliens, au début août, environ 200 activistes du Hezbollah ont été neutralisés. Il en reste donc environ 2 800 opérationnels sans compter les renforts qu'ils ont pu recevoir d'Iran, de Syrie et la rumeur dit même d'Indonésie. Leur seul grand problème reste que leur réapprovisionnement en armes et en munitions va devenir de plus en plus problématique car le chemin emprunté depuis la Syrie est devenu extrêmement périlleux.
En conclusion, les Etats-Unis et Israël ont tous deux été habitués à affronter des armées conventionnelles et des organisations terroristes. Le Hezbollah est une sorte d'hybride. Il a presque la puissance d'une armée conventionnelle et la capacité létale d'une guérilla invisible. La question qui se pose est ce que compte faire maintenant ce mouvement, particulièrement avec les infrastructures qu'il a développé depuis de longues années à l'étranger : Canada, Amérique Latine, Afrique, etc. ? Si Téhéran l'autorise, le Hezbollah peut déclencher des opérations terroristes dirigées principalement contre les intérêts israélo américains, reprenant à son compte le djihad mondial initié par Al-Qaida. En cela, le Cheikh Hassan Nasrallah dont la popularité dans le monde musulman est en train de concurrencer très sérieusement celle d'Oussama Ben Laden, peut devenir le nouveau leader de la lutte destinée à s'opposer aux « juifs et aux croisés ». Si les Hezbollahis se décident à passer à l'action terroriste, les résultats risquent bien d'être pires qu'avec Al-Qaida. Il est en effet admis que leur formation technique acquise en Iran et les moyens dont ils disposent dépassent largement ceux des islamistes sunnites.
- 1Ce qui rappelle un peu la tactique prônée par le général De Lattre de Tassigny en Indochine qui déclarait que c'était une « guerre de lieutenants et de capitaines et pas de généraux ».
- 2Il est loin le temps où les combattants libanais tiraient plus pour faire du bruit que pour atteindre une cible. Les militants du Hezbollah ont compris l'utilité des tireurs d'élite dans le combat retardateur et de guérilla. Curieusement, il en est de même pour certains activistes agissant en Irak. Vraisemblablement, les Pasdarans iraniens ont été de bons instructeurs.
- 3Les roquettes Raad sont très semblables aux Farj-3 ;